Digitized by the Internet Archive in 2010 with funding from University of Ottawa http://www.archive.org/details/ernestrenanenbreOOysre RENÉ D'YS ERNEST RENAN J EN BRETAGNE d'après des documents nouveaux Préface de Jules CLARETIE De l'Académie française. De-uxième édition PARIS EMILE-PAUL, ÉDITEUR 100, Faubourg-Saint-Honoré, 100. 1904 -^tMversitas r BIBLIOTHECA ] ERXEST REXA>: EN BRETAGNE Il a été tiré de cet ouvrage : 1 exempaire sur papier Japon. 10 — — Hollande. RENK D'YS ERNEST RENAN EN BRETAGNE d'après des documents nouveaux Préface de Jules CLARETIE De l'Acaclémie française. Deu-xième éciition PARIS EMILE -;PATJL, ÉDITEUR 100; Faubourg-Saint-Honoré, JOO. 190i Fa LETTRE DE M. JULES CLARETIE DE LACADÉMIE française A René dTs Une préface à un tel livre, si intéressant ^ si curieux et si étudié, mon cher confrère, deman- derait un temps qiie^ présentement, je n'ai pas. Il y aurait à préciser certains faits, tels détails que vous avez pu recueillir avec un soin et une patience vraiment admirables; à montrer dans les origines et les études de ce très grand esprit, do7it vous avez étudié les débuts, compté les premiers pas, dit la rude et patiente vie laborieuse, tout ce qui déjà promettait, décelait le maître-écrivain, le délicieux et profond penseur, l'homme excellent que nous avons aimé. Ce serait un portrait de Renan enfant, adolescent, puis adulte, et toujours jeune dUlme et d'esprit, errant en sa Bretagne, ou plutôt y cher- chant un refuge et y retrouvant le petit coin oii Von rêve, où l'on oublie, où Ion travaille. Et, certes, la tclche serait aisée et tentante. Mais il ne faut 4 LETTRE IDE M. JULES CLARETIE. pas^ pour la mener à bien^ être sollicité, comme je le suis présentement , par mille soucis à la fois. Et, d'ailleurs, votre livre se recommande de lui-même, sans préface, par le talent dépensé, par le sujet abordé, par ces quatre mots qui promettent et disent tant de choses : Ernest Renan en Bretagne. De la poésie, des songes, du labeur, une vie de saint laïque , quelque chose comme le pendant de celle d'un Littré, ce penseur qui aimait la liberté jus- qu'à laisser auprès de soi croire et prier ceux qui gardaient la foi quil n'avait plus. Votre Renaii breton et intime ajoute bien des traits à la physionomie souriante à la fois et son- geuse de l'enfant de Tréguier , dont la gloire est devenue nationale. Et, croyez-moi, votre volume n'a pas besoin de présentation. Il est comme ces vins généreux qui, dit le proverbe, n'ont pas besoin d'enseigne. C'est du cidre breton, clair et sain, et qui « fleure » le pays du blé noir et l'air de la mer. Excusez-moi, cher confrère, et recevez en hâte, mes vœux et mes compliments. Jules Glaretie. 17 octobre. INTRODUCTION L'œuvre d'Ernest Renan abonde en indications personnelles. Nul ne s'est mieux révélé dans ses ouvrages, nul ne s'est autant complu dans son propre portrait — à preuve les Souvenirs (Ten- faiice et les Feuilles détachées. Il est facile, au courant des pages, de refaire la vie et la physio- nomie de Fauteur. Il n'y aurait rien à dire assu- rément, si cette biographie si soignée était encore assez complète. Mais, malheureusement, il n'en est pas ainsi. De fait, que connaît-on bien de la vie de Renan? — Seulement sa vie parisienne, quand il fut quelqu'un; ses missions scientifiques et littéraires à l'étranger, son existence laborieuse de profes- seur ou d'administrateur du Collège de France, ses grands et savants travaux; surtout ses ou- vrages, principalement ceux qui ont occasionné le plus de polémiques — telle la Vie de Jésus — et qui l'ont rendu célèbre dans l'univers entier. Mais son passé et celui de sa famille, sa généa- logie, son enfance au pays natal ou sa vie de INTRODUCTION. brillant écolier à Tréguier, aussi son évolution graduelle et raisonnée vers la vie laïque, — ce qu'on lui a tant reproché; — puis cette nostalgie constante de sa Bretagne tant aimée, qu'accen- tuaient encore les u dîners celtiques » de Paris; son retour triomphal à Tréguier, après y avoir été renié et considéré jadis comme excommunié; ses curieuses pérégrinations, sorte de pèlerinages laïques, en Armorique; enfin ses dernières et consolantes vacances passées à Rosmapamon; tout cela n'est-il pas non moins intéressant à étu- dier, à faire connaître?... La plupart de ces faits ou détails sont ignorés du public, même de beaucoup de Renanistes. Pour- tant, c'est la vraie vie du Grand Celtisant. Et, pour qui sait la part prépondérante prise par l'élément breton dans l'œuvre si célèbre, comme dans le caractère d'Ernest Renan, il nous paraît impos- sible de l'ignorer et de laisser ainsi dans l'ombre tout ce qui concerne « Renan en Bretagne ». C'est une lacune de ses quelques biographes. En écrivant ces lignes, nous n'avons guère eu d'autre but que d'essayer de la combler. Y avons- nous réussi?... Renan est entré vivant dans une légende. Ses ennemis l'ont faussée, dans leur intérêt : c'est l'œuvre de l'intolérance. Si ces faits réels n'ont INTRODUCTION. que le résultat de remettre les choses au point, ce sera déjà une ample satisfaction donnée à la vérité historique. Notre étude, en tous cas, vient à son heure, puisqu'elle coïncide avec l'instant où la Bretagne inaugure le beau monument d'Ernest Renan à Tréguier. Elle n'a d'autre mérite que d'avoir tenté de réunir ou de grouper tous les faits, môme les plus intimes, tous les liens si forts et si chers qui ont uni et qui unissent encore l'écrivain de la Poésie des races celtiques à la Bretagne... Ce livre, que nous présentons à l'attention bien- veillante et éveillée des Bretons, comme de tous les autres admirateurs du génie du grand penseur et de l'illustre écrivain, expliquera de lui-même comment Ernest Renan devait avoir tout naturel- lement sa statue à Tréguier. Car, si on nous accorde que Renan n'en appartient pas moins et d'abord à la France, personne, assurément, ne devrait trouver mauvais qu'on l'honore en Bre- tagne d'une affection plus étroite, plus jalouse et plus particulière... Son sous-titre, d'ailleurs^ n'est aussi que l'ex- pression de la réalité. Ce ne sont ici que des « notes » et des « documents » sur la vie bretonne d'Ernest Renan, avec quelques menus souvenirs glanés dans son pays natal. Ils aideront ses bio- » INTRODUCTION. graphes futurs. N'est-il pas temps de les sauver de l'oubli?... Certes, il y aura encore quelques oublis regret- tables, qui nous sont imputables, car l'heure pres- sante nous a fait hâter cette publication. L'actua- lité n'a pas de lendemains. En dehors de ceux qui sont involontaires, il y en aura d'autres qui pro- viennent de l'inertie ou même de la mauvaise volonté de gens entre les mains desquelles se trou- vent des pièces intéressantes qui ont trait à la mémorable existence d'un Breton illustre. Renan menaçait souvent du Purgatoire ses ennemis ; nous ne pouvons que vouer à ses flammes vengeresses et salutaires, et pour un plus long laps d'éternité, ceux que je viens de signaler comme coupables de lèse-histoire... Nous comptons beaucoup aussi sur tous les admirateurs et les amis du Maître, aussi sur sa famille, pour nous indiquer les lacunes inévi- tables, comme pour nous aider à compléter ainsi ces pages écrites avec sincérité. Il n'y a jamais trop d'ouvriers pour un travail utile et urgent... C'est aussi à eux tous que nous dédions et con- fions cette modeste étude d'un Breton, respec- tueux hommage envers un de ses compatriotes, qui a pris une si haute place dans l'admiration des hommes. ERNEST RENAN EN BRETAGNE Renan et le génie celtique. Il n'est personne, à coup sur, de ceux qui con- naissent la vie de Renan, ou qui ont lu quelques-uns de ses ouvrages, — citons, dans le nombre, les Sou- venh's d'enfance et les Feuilles détachées, — qui n'ait remarqué l'empreinte nette et profonde qu'ont mise sur le caractère et le talent de l'illustre écrivain la race dont il est issu, le pays où il a passé les premières années de sa vie. Ce n'est pas signaler un fait nouveau, assurément, que d'appeler l'attention du public sur cette influence lente, insensible, mais d'autant plus efficace, de la pa- renté, de la famille, de la race, sur la formation d'un être humain, quel qu'il soit d'ailleurs. Mais, ici, le fait se présente dans de telles conditions de vérité et d'éclat que tout le monde en a été frappé. C'est, d'abord, M. E. Deschanel, qui écrivait, vers 1865, dans sa Physiologie des écrivains et des ai^tistes : ft Chateaubriand, Lamennais, Renan sont des Bretons.,., 1. 10 ERNEST RENAN avides de foi et d'idéal, et, cependant, en proie au doute, artistes et sceptiques, opiniâtres et inquiets, hauts comme les arbres de leurs forêts centenaires, agités et tumultueux comme les flots qui battent les rivages de TArmorique. » C'est encore Renan lui-même qui, dans ses Essais de morale et de critique, nous parle ainsi de sa vie mo- rale : « C'est aux humbles clans de laboureurs et de marins que je" dois d'avoir conservé la vigueur de mon âme, dans un siècle sans foi, dans un monde sans espérance. » Le fait est donc démontré, acquis. Mais ce n'est pas assez, pour le lecteur, de cette indi- cation sommaire et forcément un peu vague. On veut voir comment Renan a révélé, au cours de la vie, cette provenance de fonds celtique qui faisait, avons-nous dit, sa nature intime. Les preuves abondent, au demeurant, et qui peut en douter? La lecture de ces pages augmentera encore l'estime, l'admiration même, pour l'homme que nous voudrions faire connaître. Nous sommes convaincus aussi que, en fm de compte et en forme de conclusion, plus d'un s'exclamera avec Gabriel Vicaire : « Les Bretons, durs et têtus, ont vrai- ment leur Bretagne dans le sang; ils ne s'en peuvent dégager, et c'est merveille 1 » On connaît le premier incident de la vie professorale de Renan, en 1864. A un ministre qui lui demandait de renoncer à son enseignement, pour une place aussi lucrative, en d'autres termes, de dissimuler ses convictions, et d'ac' EN BRETAGNE. 11 cepter une révocation déguisée, il répondit avec autant de fierté que de franchise : « Je n'ai rien à changer, et, quant au traitement, faites-en ce que vous voudrez. Pecunia tua lecum sit! » Notez que, à ce moment l'illustre écrivain avait de lourdes charges de famille, des enfants, sa sœur, sa mère, chers anges de son foyer, et que ses ressources, tout au moins pour une honne part, étaient fournies par le cours qu'il avait à faire au Collège de France. Toutes ces raisons ne le retinrent en aucune façon. N'est-ce pas un geste, un langage qui, dans sa virile énergie, est tout hreton? Ne sent-on pas qu'on est devant un des fils de la race qui a pris cette haute de- vise : Polius mort quàm fœdari? Il est, d'ailleurs, un autre rapprochement qui s'im- pose. Et, de fait, pourrait-on ne pas évoquer, à cette occa- sion, le souvenir d'un autre Celte, Jules Simon, qui, une dizaine d'années auparavant, descendait, lui aussi, de sa chaire, pour ne pas s'incliner devant l'Empire, un symbole du despotisme, à ses yeux. Chez l'un et chez l'autre, même indépendance de caractère, même dévouement au devoir, fût-ce dans les plus difficiles circonstances. Pour en revenir au cas qui nous occupe, l'opinion publique ne put pas s'y méprendre, et cet acte de Renan lui valut des approbations unanimes. Sa conduite vis-à-vis du pouvoir, dans les années qui suivirent, fut inspirée par la même philosophie élevée et sereine. On arriva vite à voir en lui un homme 12 ERNEST RENAN si attaché aux principes qui dirigeaient sa vie intel- lectuelle et morale qu'on jugea inutile de lui en de- mander, je ne dis pas le sacrifice, mais la plus simple atténuation, et qu'on accepta ses doctrines dans toute leur intransigeance. Qu'on n'aille pas croire, pour autant, qu'il fût dis- posé à la raideur ou à la dureté ; c'est tout le contraire qui serait l'exacte vérité, et il est facile d'en donner des preuves. Quelle âme fut plus facilement émue et attendrie que celle de l'homme qui a écrit la Prière sur l'Acropole ou la dédicace de la Vie de Jésus, pour ne pas parler de tant d'autres pages? Renan a noté, lui-même, la « profonde et délicate sensibilité des races celtiques ». Il ne faisait, tout nous porte à le croire, que traduire les observations qu'il avait faites sur sa propre nature, et c'est à lui, plus qu'à tout autre, que s'appliqueraient justement les vers de Brizeux : Tels, nous sommes, Bretons, dis-je, et l'un comprend L'audace d'un Titan et le cœur d'un apôtre. [l'autre: Il connut, aussi, toutes les délicatesses de l'amour, celui qui dépeignit, avec des traits si pénétrants, « la volupté intérieure qui use et qui tue » ; qui nous a parlé d'une manière si attachante de Noémi, d'Emma Kosilis, de la fille du « broyeur de lin », etc., en un mot, qui nous a conté ces nouvelles sans rivales comme sans modèles dans la langue française! Enfin, si épais que soit le voile dont il a enveloppé EN BRETAGNE. 13 son bonheur intime, nous en savons assez pour deviner de quelle affection aussi tendre que profonde les siens étaient l'objet de sa part. A cette occasion encore, on se rappelle les paroles du Maître : « C'est, par excel- lence, une race domestique, formée pour la famille et les joies du foyer. Chez nulle autre race, le lien du sang n'a été plus fort, n'a créé plus de devoirs, n'a rat- taché l'homme à son semblable avec plus d'étendue et de profondeur (1). » On n'aurait pas achevé le portrait de Renan comme Celtisant, si on ne rappelait le goût, l'ardeur même avec laquelle il s'adonnait à la langue et à la littérature celtiques. Le charmant morceau dont nous venons d'extraire un passage est un échantillon irréprochable de ses tendances et de ses aptitudes sous ce rapport. Rien d'étonnant à ce que, comme l'a dit M. d'Arbois de Jubainville, il ait contribué, pour une large part, à créer des adeptes aux études celtiques, aussi bien qu'à leurs progrès scientifiques. M. d'Arbois de Jubainville ajoute : « Aucun savant français n'a témoigné à la Revue Celtique plus de bien- veillance qu'Ernest Renan. Il a été l'un de ses premiers collaborateurs, et, quand ses autres études ne lui ont plus laissé le temps d'y écrire, personne n'a plus que lui encouragé dans leurs travaux les autres rédacteurs français. Les Celtistes peuvent attester quil n'y a eu jamais d'ami plus sincère et plus dévoué. Ils trou- vaient son appui en toute circonstance, notamment (1) La Poésie des races celtiques. 14 ERNEST RENAN dans les commissions du ministère de l'Instruction pu- blique et de l'Institut, où il jouissait d'une si légitime autorité. » Qui ne connaît, d'ailleurs, ses habitudes, pendant son séjour en Bretagne? Il aimait à parler le breton, à évoquer les légendes des vieux saints, à visiter leurs chapelles dans le fond des bois, et à rêver longtemps devant ces monuments des âges enfuis. Il aimait même à entrer dans les fermes et à causer avec les labou- reurs. Ces spectacles naïfs et sans apprêts étalaient devant lui l'image de la vie, telle que la famille bre- tonne l'a aimée toujours par-dessus tout, dans sa sim- plicité foncière et sans complication d'aucune sorte. Combien de fois, dans ces circonstances, les larmes sont venues à ses yeux ! « L'âme de la Bretagne est fermée comme sa langue nationale; elle ne s'entr'ouvre que devant ceux qui en ont connu le chemin dès l'enfance. Ceux-là ont seule- ment ressenti ce qu'ils doivent littéralement concevoir » — a dit un autre Breton (1). Nul plus qu'Ernest Renan n'a mieux connu ni aussi profondément pénétré l'âme celtique, dont il était lui-même imprégné jusqu'à la moelle. Dès sa jeunesse, il fut le plus privilégié des Celtistes. Ne fut -il pas surnommé le « Merhn du xix^ siècle », en souvenir de l'influence que sa plume d'écrivain, si colorée et si délicieusement expressive, ou que la parole de ce fin conteur a laissée dans la lit- térature française?... (1) M. Paul Perret. EN BRETAGNE. 15 Il a dit lui-même : a Une race donne sa fleur quand elle émerge de l'oubli. » Malgré les siècles, la langue celto-bretonne survit. Lui, Renan, a été le plus mer- veilleux produit, la quintessence survivante de la sé- lection qui s'est faite à travers les siècles dans cette race antique. Il nous paraît donc bien être la « fleur » donnée enfin par la race des vieux Celtes. (( Je sors de cette vieille race idéaliste en ce qu'elle avait de plus authentique » — a-t-il dit. Comme tous les Celtes, Renan fut un croyant et un épris d'idéal. La religion est la forme ordinaire sous laquelle la race celtique cherche à étancher sa soif d'idéal. Qui fut plus idéaliste et plus religieux qu'Ernest Renan? Nul Rreton n'a plus fait pour développer le sentiment religieux qui existe au fond de tous les cœurs armoricains, comme personne, mieux que lui, n'a fait ressortir les raisons de chacune des religions dans lesquelles l'homme s'est toujours complu à cacher la vérité ou mis en évidence le fond commun d'idées qui leur appartiennent à toutes... Ernest Renan avait donc raison de dire, comme il l'a fait, en parlant de ses origines : « Je suis un homme du peuple, et l'aboutissant d'une longue file obscure de paysans et de marins. Je jouis de leurs économies de pensée et de sensation, dont le capital accumulé m'est échu. Je sens que je pense pour eux et qu'ils vivent en moi. Je suis reconnaissant à ces braves gens de m'avoir procuré de si vives jouissances intellectuelles. » Ce qui ressort de là, à coup sur, c'est que l'étude du 16 ERNEST RENAN. talent de Renan ne peut pas se séparer de celle de ses prédispositions ataviques et des premières influences qui ont agi sur son âme. C'est là qu'on trouvera, pour une large part, le secret de ses préférences intimes, la raison des changements qui se sont produits dans sa manière de juger les choses et les hommes. Ce livre a été écrit pour aider cette étude. On peut lui demander une exactitude minutieuse en ce qui touche les faits et les dates. L'auteur a fait tous ses efforts pour n'encourir aucun reproche à cet égard. Et la Bretagne ne pourra que s'honorer de se rappeler ainsi celui qui restera comme la plus haute personnifi- cation du génie breton... II Le clan des Renan; leur berceau. Ernest Renan a rendu célèbre en France et dans le monde entier le nom des « Renan ». Il y est plus popu- laire que jamais. C'est un des plus anciens noms de l'Armorique, puisqu'il remonte aux émigrations gal- loises et irlandaises des v^ et vi'^ siècles. Qui n'a entendu parler, en Basse-Bretagne surtout, de l'ermite saint Renan, qui a donné son nom à une commune et à son bourg des environs de Brest, sans doute aussi à un gros village des environs d'YfTmiac. Renan et Ronan sont le même substantif. C'est un nom celtique, comme il y en a des milliers en Armo- rique. Mais sa forme primitive est Ronan (ou Rônan, ou Rônain) (1). On la retrouve dans plusieurs noms de lieux de la Bretagne et même de la Grande-Bretagne, tels que Loc-Ronan, près de Douarnenez; les eaux de Saint-Ronan, au pays de Galles. Il y a aussi le bourg et la commune de Runan, près de Pontrieux (Cotes-du- (l) Un manuscrit du xii« siècle, conservé à la bibliothèque de Leinster (pays de Galles), contient la légende du roi Mac-Rônan et de son fils Maël-I'orthartaig, qui vivaient à la fin du vi^ siècle 18 ERNEST RENAN Nord). Nous ne savons au juste si ce mot est une variante du nom de Ronan ; il semble plutôt signifier « petite colline » et dériver du mot breton Run-ar-Gann, qui signifie la « butte aux luttes » — ce qui tendrait à faire croire aussi qu'en cet endroit, aux environs de réglise paroissiale, les luttes du pardon d'autrefois étaient devenues légendaires. Au dernier « Pardon breton » où il assista, Ernest Renan conta lui-même à ses auditeurs la légende de Notre-Dame -de- Délivrance de Runan. C'est Notre- Dame, disait-il, qu'on appelle au secours des mourants, pour qu'ils passent sans douleur : « Vous sonnerez les cloches, n'est-ce pas? ajoutait le grand Breton, quand mon heure viendra, et Notre-Dame de Runan m'aidera à émigrer de ce monde... » C'est sans nul doute grâce à cette Notre-Dame du pays de ses aïeux qu'Ernest Renan a passé sans agonie, car il est mort sans souf- france, dans un soupir... On sait, d'ailleurs, qu'à ces époques lointaines des invasions bretonnes, les noms n'étaient pas hérédi- taires. Aussi est-il impossible de faire remonter jus- qu'à ces temps reculés les généalogies des familles actuelles de Bretagne. Un fait commun prouve encore .qu'en Basse Bretagne, en Cornouaille surtout, il est habituel et de règle d'appeler du nom de « Renan » des et au commencement du vue siècle. Mac-Rônan mourut en 610 (voir l'analyse de cette légende par M. Kuno-Mayer, dans les Annales de Bretagne, année 1892^ Walter Scott a aussi écrit un roman intitulé : Les Eaux dç Saint-Rônan, EN BRETAGNE. 19 gens dont le prénom français est « René » (Ij. D'où l'on pourrait induire que le nom de Renan n'est qu'un pré- nom breton, devenu par l'usage et par la force des choses îin véritable nom propre. Ces dénominations celtiques proviennent des princi- paux clans de la Grande-Bretagne, lors des grandes émigrations que nous avons signalées, car ils appor- tèrent alors dans la péninsule armoricaine les noms, la race et les institutions religieuses d'outre-Manche. Les chefs de ces clans d'émigrants étaient tous de véritables patriarches, respectés et honorés de tous les membres de chaque grande famille. C'était des « espèces de solitaires », maîtres de la nature, la dominant par l'ascétisme et la force de la volonté. Ils étaient donc naturellement supérieurs aux autres et devenaient ainsi les chefs religieux et écoutés de leur « tribu » ou « clan ». L'Eglise chrétienne a fait des saints de quelques-uns d'entre eux, sans doute ceux qui se firent le plus remar- quer par leur vie et leurs vertus dans leur nouvelle patrie adoptive. Tels sont saint Tudwal, saint Gadoc, saint Iltud, saint Gonéry, saint Rtnan ou Runan, etc., — ayant tous donné généralement leur nom au pays oii ils se fixèrent dans l'émigration. (1) M. Loth , professeur de langue celtique et doyen de la Faculté des lettres de Rennes, qui est originaire de la Coruouaillc morbihannaise, m'a assuré que son propre père, René Loth, n'était jamais appelé que « Renan d, car à la carapaome on n'ajoute guère le nom de famille dans le langage familier de chaque région. 20 ERNEST RENAN « Saint Renan était le saint qui me préoccupait le plus, — a écrit lui-même Ernest Renan dans ses Sou- venirs d'enfance, — puisque son nom était celui que je portais. Entre tous les saints de Bretagne, il n'y en a pas de plus original. » Il s'agit ici de l'ermite Renan — ou Ronan — qui vint jadis se fixer dans la partie de la Cornouaille finis- térienne qui s'étend de Brest au Conquet et à l'Aber- Ildult, — là où s'élève actuellement le chef-lieu de canton de Saint-Renan... M. Arthur de la Borderie a raconté son histoire dans le premier volume de sa ma- gistrale et érudite Histoire de Bretagne. Mais, dans une jolie page, Ernest Renan a tenu, lui aussi, à tracer le portrait du vieux chef religieux de jadis et dont il porte le nom. « C'était un esprit de la terre plus qu'un saint, dit-il (1). Sa puissance sur les élé- ments était effrayante. Son caractère était violent et un peu bizarre; on ne savait jamais d'avance ce qu'il ferait, ce qu'il voudrait. On le respectait, mais cette obstination à marcher seul dans sa voie inspirait une certaine crainte, si bien que le jour où on le trouva mort sur le sol de sa cabane, la terreur fut grande alen- tour... » Les grands chefs firent un chariot où ils posèrent Termite dessus, puis ils l'attelèrent de quatre bœufs. Les bœufs, conduits par la main invisible de Ronan, marchèrent droit devant eux au plus épais de la forêt. (1) Souvenirs d'enfance et de jeunesse (chez MM. Calmann- Lévy). EN BRETAGNE. 21 Les arbres s'inclinaient ou se brisaient sous leurs pas avec des craquements effroyables. Arrivé enfin au centre de la forêt, à l'endroit où étaient les plus grands chênes, le chariot s'arrêta. On comprit; on y enterra le saint et on bâtit son église en ce lieu. « De tels récits me donnèrent de bonne heure le goût de la mythologie » , aj oute le grand penseur breton . Nous pourrions même dire qu'ils ont sans nul doute aidé sa voie vers les études historiques, surtout vers les études ethniques des temps reculés. Et chacun sait que le grand Celtisant avait une prédilection marquée pour le culte des vieux saints armoricains... Saint Renan — dont l'auteur des Eludes d'histoire religieuse se préoccupait ainsi avec l'intérêt qui s'attache pour chacun à tout ce qui porte son propre nom — ne paraît cependant pas être du tout le chef du clan de ses propres ancêtres. Cette tribu d'émigrants ne semble pas avoir, dans le passé, un membre aussi populaire ni aussi vénéré que cet anachorète, qui a été canonisé. D'autre part, cette grande famille des Renan, jadis obscurs pendant nombre de générations, n'a rien perdu à attendre. Car le Renan actuel, celui qui a sa statue à Tréguier, son buste au Collège de France, et dont la dépouille mortelle a sa place marquée au Panthéon, suffira à lui tout seul pour illustrer sa modeste famille, celle des Renan du Trécor et du Goëlo... (( Notre grand-père, parle côté paternel, appartient à une sorte de clan de marins et de paysans qui peuple 2S2 ÉRNÈST RENAN tout le pays de Goëlo », a déclaré Ernest Renan lui- même, et à maintes reprises (1). C'est en effet au pays de l'ancienne Golovia, et sur les rives du Trieux, que vinrent, du comté Cardigan (pays de Galles) (2), ces autres émigrants — d'où nous n'avons pu savoir, malgré toutes nos recherches, s'il y en avait à porter déjà le nom de Renan ou Ronan... Ici, une bien curieuse remarque, qui est doublée d'une véritable coïncidence, trouve sa place. Sur les bords du Trieux, et non bien loin des lieux indiqués par Ernest Renan, est situé le petit bourg et la com- mune de Runan^ dont nous avons déjà parlé. Certes, il n'y a pas de Renan, et les archives locales modernes, ou du XVII® siècle à nos jours, n'en mentionnent pas non plus. Cependant la tradition confirme un fait : c'est que les ancêtres des Renan (je parle seulement de ceux de la famille de l'auteur de la Vie de Jésus) sont sortis de Ploëzal. Une parente d'Ernest Renan, vivante encore (3), nous apporte son précieux témoignage à ce sujet. Elle nous a déclaré que « les plus vieux Renan de ce pays, tous marins ou ménagers, étaient venus du côté de Pontrieux (4), de Ploëzal », croit-elle. Or, Ploëzal et Pontrieux confinent Runan. Ne serait-on pas tout porté à croire qu'il y a quelque rapprochement (1) ^ ma sœur Henriette, (2) Souvenirs d'enfance, (3) Elisa Renan, cousine d'E. Renan, et demeurant à Lancerf- en-PIounez. (4) Une autre parente d'E. Renan tient débit près du pont de Pontrieux. EN BRETAGNE. 23 singulier entre ce mot de Runan, qui est un nom de lieu, avec les endroits qui semblent être la première étape du « clan » des Renan?... Espérons que des cher- cheurs seront plus heureux que nous et trouveront la solution de cette difficulté historique. Les hommes de ce clan vinrent en tout cas s'établir sur les bords du Lédano, d'où ils s'éparpillèrent ensuite sur les deux rives du^Trieux, — où il y avait encore, il y a cinquante ans, des Renan sans nombre, a dit un jour, dans un banquet de Bretons, le plus illustre d'entre ces Renan. Ils y sont encore très nombreux aujourd'hui... (( Ils vécurent là treize cents ans, d'une vie obscure, faisant des économies de pensées et de sensations, dont le capital accumulé m'est échu. Je sens que je pense pour eux et qu'ils vivent en moi. Pas un de ces braves gens n'a cherché, comme disent les Normands, à ga- aingner; aussi restèrent-ils toujours pauvres. Mon inca- pacité d'être méchant, ou seulement de le paraître, vient d'eux. Ils ne connaissaient que deux genres d'oc- cupations : cultiver la terre, et se hasarder en barque dans les estuaires et les archipels de rochers que forme le Trieux à son embouchure (1). » Les longues et minu- tieuses recherches faites par nos soins dans le pays et aussi dans les archives de l'état civil de toute cette région, et qui nous ont permis d'établir pour la pre- mière fois la véritable généalogie de la famille d'Ernest Renan, confirment cette précédente affirmation du grand écrivain. (1) Souvenirs d'enfance. 24 ERNEST RENAN Les ancêtres des Renan du Goëlo furent de gros cul- tivateurs — des ménagers, comme on disait alors — jusqu'au xviii® siècle; la plupart devinrent marins. Nous en parlons plus loin. Le voyageur allant à Paimpol par chemin de fer n'est pas sans remarquer les sites très pittoresques bordant à Tenvi la petite ligne qui joint Guingamp au grand port du Goëlo ; il n'est pas sana admirer, à partir de Pontrieux, les superbes rives du ïrieux. Le train s'arrête à la halte de Plourivô-Lézardrieux. A partir de là, ce n'est plus le charmant petit fleuve, jusqu'alors si coquettement encaissé entre des rochers abrupts ou des berges élevées, mais plutôt un vaste estuaire, au bout duquel on aperçoit, au nord-est, le magnifique pont suspendu de Lézardrieux. C'est le Lé- dano, plaine immense de vase et d'eau, se couvrant et se découvrant à chaque marée, mais recelant des bancs d'huîtres déjà renommées. Tout aussitôt après avoir dépassé la station appelée encore Toul an huilet, aussi Trou-aux-Anglais, et sur la rive droite de cette espèce de fjord breton, l'on aper- çoit l'important village de Lancerf dont la vieille et remarquable chapelle du xm^ siècle est en grande véné- ration dans la région. Elle est même l'occasion d'un Pardon très renommé, qui a lieu tous les ans, en sep- tembre, et auquel prennent part surtout les marins du pays. Lancerf est au reste un lieu très ancien, dominant la vallée du Trieux. A côté de la chapelle, on découvre les restes d'un retranchement du moyen âge, et son EN BRETAGNE. 25 vieux cimetière possède quelques vieilles croix primi- tives en granit, simplement fichées en terre, et que l'on dit remonter au x® siècle, au temps de la défaite des Normands dans cette région. Non loin et sur la rive gauche d'un petit ruisseau qui se jette dans le Lédano (la plaine), sur le bord même de la voie ferrée, qui sépare maintenant les habitations du rivage, le passant remarque les très vieilles mai- sons granitiques de la principale ferme du village de Traôu-Du (1). Si le lecteur veut se rendre compte de l'exacte situation topographique de ce lieu, sur lequel j'attire dès maintenant son attention, parce qu'il sera désormais une curiosité historique, il n'a qu'à consulter une carte d'état-major : la ferme de Traôu-Du se trouve sur la rive droite de l'estuaire du Trieux, à l'endroit le plus large de son cours et juste en face de l'anse de Camaret et du manoir de Kermarquer-en-Pleudaniel. C'est un des lieux les plus pittoresques de ce beau pays maritime. Il ne paraît donc pas étonnant que Lan- cerf et Traôu-Du aient été choisis comme résidence par tout un des clans des émigrants celtiques d'outre- Manche et surtout par des marins, car c'est vraiment un lieu propice aux bateliers et aux pêcheurs... Si nous avons tant insisté sur ce lieu de Bretagne, jusqu'ici inconnu du reste de la France, c'est que la plus vieille maison de Traôu-Du, un peu restaurée, mais dont les vestiges antiques subsistent encore, est le bien véritable berceau du clan des Renan, au moins 1^ Altération populaire de Toul-du, qui signifie « Trou noir ». ^6 ERNEST RENAN de ceux des xvii^ et xviii® siècles, et surtout des véri- tables ancêtres de l'illustre auteur de la Vie de Jésus. Des Renan actuels, cousins du célèbre écrivain, sont nés dans ce même village et quelques-uns habitent encore tout près de là, mais en Plounez, car c'est le petit ruisseau de Traôu-Du qui sert de limite. Comme il est non moins certain aussi que l'antique chapelle de Lancerf, où les Renan de la région et même ceux du Trécor venaient prier au « Pardon », fut le lieu de sépulture de quelques-uns des vieux « ménagers » ou marins de ce nom (1)... Ernest Renan parle ainsi de ces lieux dans ses Souvenirs : « Il y a dans le pays de Goëlo ou d'Avangour, sur le Trieux, un endroit qu'on appelle le Lédano, parce que, là, le Trieux s'élargit et' forme une lagune avant de se jeter dans la mer. Sur le bord du Lédano est une grande ferme qui s'appelait Kéranbélec (2) ou Meskanbélec. Là était le centre du clan des Renan... » Nous devons à la vérité de dire que les noms de Kéranbélec ou Meskanbélec n'ont jamais existé. De fait, nous nous en sommes convaincu par l'examen des lieux : ces deux noms sont aussi inconnus l'un que l'autre comme hameau et comme lieu, aussi bien sur la rive droite que sur la rive gauche du Lédano. Les (1) L'acte de décès de Jeau Renan (1722) — un des aïeux d*E. Renan — dit bien qu'il fut inhumé dans la chapelle de Lancerf. (2) Ou encore Mézambékk, « domaine du prêtre ». EN BRETAGNE. 27 plans du cadastre ne les mentionnent nulle part; même les vieux du pays, les vieux parents de Renan en parti- culier, n'ont aucune souvenance de ces noms. Nous ne croyons pas qu'Ernest Renan ait commis une erreur en mettant ces noms de Kéranbélec ou Mes- kanbélec. R n'a fait qu'une interversion de substantifs. l\ nous en prévient, d'ailleurs, d'une façon générale, dans la préface de ses Souvenirs d'enfance, en disant : « La simple discrétion me commandait des réserves. J'ai donc changé plusieurs noms propres. D'autres fois, au moyen d'interversions légères de temps et de lieu, j'ai dépisté toutes les identifications possibles que l'on pourrait être tenté d'établir. » Cet endroit s'appelait autrefois Kéruzec ou Kérauzec (1). Cependant la vieille ferme, au portail d'aspect très antique, existe toujours à Traôu-Du. Son numéro de cadastre est 538, elle a été réparée. Mais tous les Renan du pays sont unanimes à affirmer que c'est là le berceau historique des ancêtres directs de la famille d'Ernest Renan. C'est un fait reconnu par la tradition locale. De récentes et patientes recherches dans tout le centre des Renan actuels de Plourivô et de Plounez nous ont per- mis de le confirmer et, qui mieux est, de retrouver exactement la vieille maison qui fut le berceau des Renan d'autrefois. Elle était alors la plus grande ferme des rives du (1) « Maison réparée ». — Kerusec est aussi le nom d'un seigneur du temps, qui était de Guingamp. — Actes notariés du temps (étude de M« Bertho, à Paimpol) et matrice cadastrale de Plourivô. 28 ERNEST RENAN Lédano, et encore, quoique morcelée en trois habita- tions contiguës, et de construction en partie assez récente, elle forme néanmoins la principale aggloméra- tion rurale du village. Le portail extérieur, très antique et bien conservé, qui donne accès dans la cour de la ferme, subsiste tel et peut donner un aperçu de l'importance et de l'âge des bâtiments du temps. En outre, la porte d'entrée de la maison principale possède à elle seule la preuve au- thentique et curieuse cherchée. Son linteau est, en effet, une grosse pierre rectangulaire de granit gris, ravagée par le temps, portant en relief les lettres suivantes, encore très lisibles, dont nous respectons la place et la forme : OR. RG™ AR". FR. 1773, Pour nous, ces lettres ne sont autres que les initiales de chacun des Renan qui habitaient ensemble la maison paternelle à cette date. Dans Tordre de cette vieille inscription granitique, ils s'appelaient : Ollivier Renan, Gilles Renan, Alain Renan et François Renan. C'étaient bien aussi les quatre fils d'un Pierre Renan, décédé en 1732, et qui vivaient là tous ensemble. Gilles était laboureur et devait rester sur la ferme, mais les autres (1) Ces lettres G et R sont un peu détériorées, EN BRETAGNE. 29» étaient marins. La tradition constante du pajs ajoute; que ceux-ci avaient même fait construire pour eux la vaste et belle cave que Ton voit encore à la ferme du Traôu-Du, avec une porte sur la rivière; car c'est là qu'ils déposaient leurs engins de pêche et autres grée- ments de barque. Ces vestiges archéologiques, qui n'ont encore été signalés par personne, ne sont-ils pas sulTisamment explicites et probants pour aider la tradition et démon- trer que nous sommes là en face du véritable berceau des vieux Renan du Goëlo, aïeux authentiques de l'au- teur de V Histoire du peuple d'Israël... L'examen de vieux papiers de famille et d'actes notariés nous ont convaincu, d'autre part, que nous étions bien en présence du berceau initial des Renan des xvii% xviii** et xix"" siècles. La propriétaire actuelle de cette ferme de Kéruzec, du village de Traôu-Du, est M""^ veuve Ollivier, de Lan- cerf. Son beau-père, Jean-Marie Ollivier, en avait fait l'acquisition, en 1866, d'une famille Le Bellec (appelée encore Belleguic), qui en avait fait l'achat d'une famille Renan, en 1860. Les enfants de Gilles Renan (fils de Pierre Renan et frère d'Alain Renan, qui fut le grand-père du célèbre écrivain) s'étaient partagé ce bien en 1818. Et l'acte de partage mentionne bien le nom de Kéruzec, signalé aussi par la matrice cadastrale de Plourivô. Cette propriété de Kéruzec se composait alors, en effet, d'une ferme d'une certaine importance, puis- qu'elle occupait au moins trois chevaux, et qu'elle fut 2. 30 ERNEST RENAN partagée en sept lots, ayant presque tous de la terre avec. Notons encore que la famille Renan n'avait sur ladite ferme que des droits convenanciers, sur lesquels il n'a été payé depuis de longues années, paraît-il, — pas même par le chemin de fer économique qui coupe la propriété, — aucun droit foncier. Afin de montrer tout notre souci de minutieuse docu- mentation à ce sujet, voici la copie des « origines de propriété » que nous avons trouvées : « Les droits convenanciers superficiels des immeubles situés au village de Traôu-Du, composant les trois pre- miers lots, — partage du il février 4882, — furent acquis par Jean-Marie Olivier et Marie-Jeanne Hervé, épouse d'un sieur Jean Le Bellec, et des héritiers Marie-Gillette Le Louarn, décédée épouse dudit Jean Le Bellec, aux termes du procès -verbal d'adjudication judiciaire dressé par M^ Le Goniat, notaire à Paimpol, le 18 jan- vier 1866. « Les époux Le Bellec avaient acquis les droits con- venanciers superficiels en question d'une famille Renan, aux termes d'acte passé devant M^ Marc, notaire à Paimpol, le 3 mars 1860. Ces mêmes vendeurs Renan avaient recueilli ces droits en la succession de leur père, Gilles Renan (1), décédé à Lézardrieux en 1854, qui les avait lui-même possédés en vertu de deux partages, faits, l'un devant M^ Marc, notaire à Paimpol, le 24 fé- vrier 1818, et l'autre devant M^ Burel, notaire à Paim- pol, le 18 novembre 1824... » (1) Frère d'Alain Renan, grand-père d'Ernest Renan. I EN BRETAGNE. 31 La chapelle de Lancerf contient encore d'autres preuves non moins évidentes de cette constatation. Nous en parlons plus loin. Ernest Renan a essayé de rechercher ceux du même nom qui appartiennent à son arbre généalogique. « J'ai voulu m'enquérir de ce qui reste de Renan dans le Goëlo. le pays d'origine de ma famille. Il y a encore tout un clan... », dit-il un jour, dans un Dîner celtique en Bretagne. Mais nous n'avons pu savoir s'il est venu lui-même visiter le berceau de ses ancêtres, pendant quelques-uns de ses séjours en Bretagne. L'un des Renan de Plounez (Esprit Renan . second-maître de la marine en retraite, et âgé de soixante ans), dont la ressemblance avec Ernest Renan est frappante, ques- tionné par nous sur ce qu'il savait de son célèbre « cou- sin » (1), nous a répondu : « Un jour, il n'y a pas mal longtemps de cela, à l'occasion de la fête de Lancerf, je me rappelle avoir vu chez nous une tante Manon (2) avec un grand gar- çon, bien plus grand que moi. Ce devait être M. Ernest Renan, qui alors avait bien vingt ans de plus que votre serviteur... Plus tard, devenu second-maître de la flotte avec deux propositions pour passer adjudant, je fus le (1; Leurs deux pères étaient cousins germains. (2) Ce nom familier de Manon, et qui est le diminutif en patois de IMadeleinc, prouve bien l'affirmation ci-dessus ; car, en effet, la mère d'Ernest Renau s'appelait Madeleine Féger. Quand e'ie allait de même à Bréhat, chez sa belle-sœur Perriue Renan, les enfants l'appelaient toujours, familièrement, ce tante Manon », 32 ERNEST RENAN trouver au Collège de France, dans le but de le prier d'user de son influence pour me pistonner. Il me reçut très cordialement, me fit servir un verre de vin dans son bureau, mais il me déclara qxx'il n avait aucune relation avec les gens de la politique... » Chez les Renan de Penvern (autre village de Plounez), on nous a dit encore ces paroles qui viennent corro- borer le fait précédent : « Notre père ressemblait bien à M. Renan, qui est notre oncle à la mode de Bretagne. Je me rappelle aussi avoir entendu notre père parler d'un « tonton » Philibert (1) dont la femme, Manon, se rendait cha- que année au Pardon de Lancerf avec ses petits- enfants... » Nous savons aussi que la famille d'Ernest Renan était en relations avec leurs parents de Plounez. Et l'été, pendant qu'Ernest Renan et les siens villégiaturaient à Rosmapamon, son fils, Ary Renan, faisait de temps à autre le voyage de Perros à Plounez. Il avait l'habitude de coucher chez ses cousins, les Renan de Penvern (2). Les Renan se sont multipliés sur les deux rives du Trieux; car on en rencontre encore à Plourivô (3), qui (1) C'était le préuom du père d'Ernest Renan. (2) L'un d'eux, Jean Renan, est capitaine au long cours; il a été plusieurs fois à Paris, chez son illustre parent. Celui-ci lui a même offert plusieurs de ses ouvrages, avec dédicace. Celle du volume de la Vie de Jésics est celle-ci : « A mon cher cousin le capitaine Jean Renan; Souvenir affectueux. — E. Ri:nan. » (3) Les plus vieux Renan habitaient tous Plourivô, et ce ne fut que par les mariages que beaucoup d'entre eux allèrent habiter Plounez et environs. EN BRETAGNE. 33 est leur lieu d'origine; à Plounez (1), à Pleudaniel, à Lézardrieux (2), à Pleumeur-Gautier (3). La branche de Tréguier a disparu de cette ville par la dispersion d'Ernest Renan et de son frère Alain. Et la branche de Bréhat a changé de nom... Tous les Renan se rattachent d'ailleurs à la nnême souche. La portion de la famille la plus considérable est celle qui demeurait au Traou- Du, en Plourivô. Nous allons étudier maintenant, et avec quelques détails, tous inédits, la lignée directe d'Ernest Renan — l'auteur de la Vie de Jésus. Un nommé Jeaji Renan vivait à Plourivô dans la seconde moitié du xvii^ siècle et au commencement du xviii^. C'est le plus ancien de cette famille dont les actes de l'état civil fassent foi. Car, bien que les archives de la commune de Plourivô soient les mieux conservées du département des Côtes-du-Nord, elles ne remontent pas au delà de 1583; et même plusieurs années font défaut parmi celles postérieures à cette date. Jean Renan était <( laboureur » de profession, mais (i) Là, OQ trouve des Renan pendant tout le xviiie siècle et depuis. Le maire même de cette commune s'appelle Renan, quoique n'étant pas de la branche directe d'E. Renan. (2; De 1877 à 1880, le maire de Lézardrieux s'appelait Yves- Marie Renan. L'un des Renan de cette commune, Renan (Guil- laume), officier de réserve, y est délégué cantonal. (3) Les Renan de Pleumeur-Gautier ont changé de nom, et la plupart des membres de cette branche habitent Laniscat, le Ilaut-Corlay et Plouguernével. A Laniscat, notamment, vivent Yves et Marguerite Renan, enfants de Gilles Renan, et qu'Ernest Renan aimait beaucoup; Yves Renan a été zouave pontifical. 34 ERNEST RENAN il avait des marins dans sa famille. Il naquit en 1654, mais non à Plourivô, puisque les registres de cette époque ne le mentionnent pas. Il avait une sœur, Marie Renan, née vers 1663, et dont Facte de naissance ne figure pas non plus dans les registres de Plourivô. Ces deux Renan semblent donc être venus d'ailleurs. A eux s'arrête la souche des Renan de cette commune, et ce fait incontestable nous porte fortement à croire que c'est ce Jean Renan et sa sœur qui ont dû franchir la rivière vers la seconde moitié du xvii^ siècle — assertion qui vient corroborer ce que nous a appris la tradition. Jean Renan se maria à Plourivô, en 1694, avec Catherine Azénor. Voici cet acte de mariage, le premier acte d'état civil que nous ayons pu retrouver sur la famille d'Ernest Renan : Acte de mariage de Jean Renan. « Ce vingt-sixième juin mil six cent quatre vingt qâtorze, après les fiançailles et les trois proclamations des bans faites au prône de nos grands messes par trois jours solennels et consécutifs sans aucune opp*^" (oppo- sition). Entre Jean Renan, âgé d'environ quarante ans, et C"^ (Catherine) Azénor, aussi âgée d'environ vingt- quatre ans, tous deux de Plourivô. Ouï les conjoints vu leur consentement mutuel par paroles {ici sont quelques mots illisibles) la bénédiction nuptialle et proclamée devant {un mot illisible) Renan et Yves Pierre sont parin et amis. (( Signatures : Dom AUain Pierre, prêtre; F. Le Rolland, recteur de Plourivô, » EN BRETAGNE. ÔD Jean Renan eut un premier fils, Yves Renan, né en 1696 et décédé le 9 novembre 1743. Le second porta son nom et naquit le 7 juin 1702; l'état civil de Plou- rivô mentionne aussi leurs actes de naissance. Le troisième fils de Jean Renan et de Catherine Azénor fut Pierre Renan, qui naquit le 8 mai 1704. Voici son acte de naissance : A.cte de naissance de Pierre Renan. « Pierre Renan, fils légitime de Jean et de C°^ Azénor sa femme, a été né et baptisé le 8"® may mil sept cent quatre par moi recteur, parrain et maraine étant Pierre Le Varat (1) et Françoise le Bourdier. « Signature : François Rolland, recteur de Plourivô. » Deux autres fils Renan, qui semblent être jumeaux, Alain et Jacques, naquirent vers 1711. Mais c'est Pierre Renan qui continue la véritable lignée de la famille d'Ernest Renan, car il fut son propre arrière-grand- père. Pierre Renan resta laboureur, comme son père. Lui et son frère Jacques épousèrent les deux sœurs Perrot, d'une des grandes familles d'alors de Plourivù. Jacques épousa Jeanne, et Pierre prit Anne. Voici l'acte de mariage de Pierre Renan, avec l'ortho- graphe du temps : (1) Aïeul de M. Pierre Le Varat, instituteur à Plounez. 36 ERNEST RENAN Acte de mariage de Pierre Renan. « Le trante unième jour de juillet mil sept cent trente deux, je soussigné pt^*^ (prêtre) ai du consen- tement du S*" Recteur soussignant marié par paroles du présant Pierre Renan âgé d'environ vingt huit ans, fils de Jean Renan, laboureur, et de Catherine Azénor, son épouse, les père et mère d'une part, etAnnePerrot, âgée d'environ vingt cinq ans, fille d'Olivier Perrot, laboureur, et d'Olive Le Gonnidec son épouse, ses père et mère d'autre part; « Après avoir reçu leur consentement mutuel et ne s'estant trouvé aucune opposition aux trois publications des promesses de leur futur mariage canoniquement faites au prône de nos messes paroissiales par trois de dimanche et feste consécutifs sçavoir la première le vingt, la seconde le vingt-sept, la troisième le vingt- neuf de Juillet, feste de Saint Guillaume; célébrant ensuite la messe leur ai donné la bénédiction nuptiale en la forme prescrite par l'église, le tout en présence d'Olivier Perrot père et Henry Perrot oncle de la mariée ; d'Alain Renan et de Jacques Renan frères du marié, lesquels ne sçavent signer. (( Signatures : Yves Pierre, prestre ; Alain Le Borgne, recteur. )) Jean Renan vécut soixante-dix ans. Il mourut en 1722. Voici l'acte de ce décès, qui montre bien que ces Renan étaient les doyens honorés de Lancerf et environs : EN BRETAGNE. 37 Acte de décès de Jean Renan, « Jan Renan âgé d'environ soixante et dix ans est mort le vingt et six mars mil sept cent vingt et deux et enterré le jour suivant par lesoussignant Uecteur dans la chapelle de Lancerf. « Alain Le Borgne, recteur. » Sa femme, Catherine Azénor, ne mourut que le 7 mai 1743, à l'âge de soixante-treize ans. Ce sont, croyons-nous, les plus vieux documents authentiques concernant les ancêtres d'Ernest Renan... Suivons la branche de Pierre Renan, qui était mé- nager — c'est-à-dire chef de maison, chef de ferme ou gros cultivateur. — Comme son père, il eut plusieurs enfants. Voici ceux que nous connaissons : Jeanne Renan (28 mars 1734), Ollivier Renan (27 avril 173G), Alain Renan (24 juillet 1738), Gilles Renan (15 août 1744) et François Renan (9 août 1750), puis Marie et Anne Renan. Voici l'acte de naissance du troisième enfant, Alain ou Allain (1), qui fut le propre grand-père d'Ernest Renan : Acte de naissance d'Alain Renan. « Le vingt-quatrième jour de juillet 1738 a été bap- tisé par moy soussigné p^'»^ (^prêtre), du consentement du sieur Recteur soussignant Allain Ri:nan né du jour d'hier, fils de Pierre Renan ménager et d'Anne Perrot (1) En Bretagne, le mot Alai?i, ainsi écrit, n'est ([u'un javiioin, tandis que Allain^ avec deux II, désigne toujours un uoiu de famille. 38 ERNEST RENAN demeurans dans ceste paroisse. Ont étez parrain : Alain Renan (1) et marraine Marie Perrot qui ont déclaré ne sçavoir signer de ce interpellez. « Signature : Yves Pierre, recteur. » Peu de temps avant la Révolution, trois d'entre eux gréèrent une barque en commun et se fixèrent à Lézar- drieux. C'était afin de pouvoir aller plus facilement à la mer, car au Traôu-Du ils ne pouvaient descendre et remonter à toute marée. Ils vivaient ensemble sur la barque, le plus souvent retirée dans une anse du Lé- dano; ils naviguaient à leur plaisir et quand la fan- taisie leur en prenait. Ce n'étaient pas des bourgeois, car ils n'étaient pas jaloux des nobles : c'étaient des marins aisés ne dépendant de personne (2). Ils étaient bateliers et allaient cbercher du sable de mer, du maërl. C'étaient Ollivier Renan, Alain Renan et François Renan; car Gilles Renan resta h Plourivô, se maria avec Anne Le Gras et devint père de Renan (Guillaume), qui a été la souche des Renan actuels de Lancerf ; puis de Renan (Jean-Marie), de qui sont descendus tous les autres Renan de Plounez, village de Penvern, famille de braves cultivateurs et marins, tous avantageuse- ment connus dans la région. Nous publions plus loin un tableau généalogique de la famille d'Ernest Renan. Alain Renan fit une étape de plus hors du pays natal. Après avoir fait une petite fortune avec sa barque, il (1) Cet Alaiu Renan était matelot et marié avec Framboise Gouavic (ou Gouanvic). 11 était l'oucle de son filleul. (2) 8ouvmin> d'eîifcmce. EN BRETAGNE. 39 conduisit celle-ci sur le Jaudy, plus favorable que le Trieux comme navigation, et il fut s'établir à Tréguier, en compagnie de sa sœur Jeanne (1). Il s'y maria en 1771. Voici la partie principale de son acte de mariage : Acte de mariage d'Alain Renan, (( ... D'entre le sieur Allain Renan, maître de barque, fils majeur de deffunt Pierre Renan et Anne Perrot, de la paroisse de Plourivù, èvêché de Saint-Brieuc, et De- moiselle Renée Le Maître, fille du sieur Charles Le Maître et de demoiselle Renée Le Maître, de la paroisse de la Rive de Tréguier. (c Je soussigné. Recteur, ai pris leur mutuel consen- tement par paroles de présent, les ai conjoins en ma- riage et leur ai donné la bénédiction nuptiale dans la chapelle du Duc en notre cathédrale le trente juillet mil-sept-cent-soixante-et-onze, en présence du père et de la mère de l'épousée, de la mère de l'époux, de ses frères, des frères et beau-frères de l'épousée et de plu- sieurs autres qui signent : « Signatures : Lemaistre, père; G. Lemaistre; Le- maistre; Ollivier Renan; Joseph Guillou; Marie- Yvonne Le Moullec; Gilles Renan; Rennée Lemaistre; Jeanne-Marie Le Cornu; Limage; Françoise Ollivier; Noëlle Carré; Y. Le Maistre; J. Le Barazer, recteur de la Rive, n (1) Un acte judiciaire du 20 mars 1779 dit que Aiaiu Keoau vivait avec Mi^e Rouan, sa l'eiume, et demoiselle Keuau .Archives dépaitemcutales des Côtes- du-Nord). 40 ERNEST RENAN Alain Renan et sa femme ne savaient pas lire (1), ni sans doute écrire. De ce mariage, le capitaine Alain Renan n'eut qu'un enfant : Philibert Renan (1774), qui fut le père d'Ernest Renan. Voici son acte de naissance : Acte de naissance de Philibert Renan. « Philibert-François, fils naturel et légitime de maître Alain Renan et de demoiselle Renée Le Maître, son épouse, né le vSept avril mil sept cent soixante quatorze, à trois heures du matin, a été baptisé le même jour par le soussigné prêtre sur les saints fonts baptismaux de l'église cathédrale de Tréguier. Parrain et marraine ont été noble Philibert-Louis Partenay, échevin de cette ville et Françoise Ollivier, en la pré- sence du père de l'enfant. (( Signatures : De Parlenay, échevin; Françoise Ollivier; J. Le Rarazer, recteur de la Rive. » Les Le Maître étaient d'une honorable famille de Tréguier, possédant même une certaine fortune. Le propre beau-frère d'Alain Renan était notaire en cette ville. Le père Le Maître habitait sa « maison de la Grand'Rue, vis-à-vis de l'église Notre-Dame (1) », dont il jouissait en ferme. La location en était évaluée 180 livres. Alain Renan et sa femme en avaient le (1) Hequète judiciaire du 28 septembre 1781 (Archives dépar- tementales des Cùtes-du-Nord). _| EN BRETAGNE. 41 quart (45 sols de revenu), que leur paya leur beau-père tant qu'il jouit de la maison (jugement de la prévoté de Trcguier du 28 septembre 1781) (I). Alain Renan, tout en gardant son inscription à la marine comme capitaine de barque et en faisant l'ar- mement pour le cabotage, était devenu négociant. Sa femme et lui menaient grand commerce de vins, d'épi- ceries, exportation et importation, elc, et tenaient alors boutique dans une maison « située au bas du Martray de cette ville et contre la cathédrale (T) ». Mais il se servait déjà comme entrepôt de la maison de la Grand'Rue habitée par son beau-père, maison qu'il eut comme part de succession ou qu'il dut racheter pour les autres trois quarts de part à la mort de celui- ci — car il avait amassé lui-même une petite fortune. Alain Renan perdit sa femme le 22 mai 1785. C'était la grand'mère d'Ernest Renan; nous publions son acte de décès : Acte de décès de Renée Le Maître, mère d'E. Renan. « Demoiselle Renée Le Maître, épouse du sieur Allain Renan, âgée d'environ quarante-quatre ans, dé- cédée sur la paroisse de la Rive en la ville de Tréguicr le vingt-deux mai mil sept cent quatre-vingt-cinq munie des derniers sacrements, fut inhumée le lende- (1) Pièces judiciaires de la prévôté de Tréguier (Arcliives dc'partomoDtales des Cùtes-du-Nord;. [t) Procès-verbaux d'un vol de 150 sols commis dans la nuit du 30 janvier HIT, dans la bouti : « Vous avez eu raison de faire arrêter les travaux du mur. Dites à Salpin que je serai le meilleur voisin, mais que je ne veux pas laisser faire des choses qui déprécient la propriété. J'irai vous voir en septembre, et alors nous réglerons tout. » Le Bigot ayant "sans doute cru devoir proposer une de ses chambres à son excellent propriétaire pour son prochain voyage, celui-ci lui répondait, le 19 août 1868 : « Mon cher Bigot, « Merci pour votre bonne proposition. Je passerai très peu de temps à Tréguier et j'irai probablement à rhôtel. Je vais faire un petit voyage en Allemagne, puis j'espère pouvoir faire cette petite course de Tré- guier avec ma femme (1). » 1) Nous faisons remanjuer cette lettre, car elle contient la date et raniionce du preiuier retour en Bretagne d Eiuest Renan; noud en reparlerons en ses lieu et place. 4 62 ERNEST RENAN Quand son vieux locataire mourut, Renan écrivit à sa veuve : « Paris, 15 avril 1887. (( Ma chère Marie-Yvonne, « J'ai appris avec un vif chagrin la mort de Le Bigot. Croyez que je prends une grande part à votre peine. Du courage, ma pauvre Marie-Yvonne; ma femme aussi vous envoie ses bien sincères condoléances. Dans deux mois, à peu près, nous causerons. Comptez toujours sur notre bien vive amitié. (( Bon courage, chère Marie-Yvonne, et bonne santé. « Votre affectionné, « E. Renan. » La même année, le 17 octobre, M"'^ Le Bigot recevait de Rosmapamon cette autre lettre inédite de son pro- priétaire : a Ma chère Marie-Yvonne, « Ma femme m'a dit que vous désirez renouveler le bail pour neuf ans, avec réversibilité sur vos enfants. Je désire tout à fait, ma chère Marie- Yvonne, vous sa- tisfaire. « Ma mère vous était fort attachée et je désire suivre les habitudes de ma mère. Je regrette de n'avoir pu vous voir. Votre bail ayant encore deux années à cou- rir, rien ne presse. Nous reviendrons vers la fin de juin de l'année prochaine; nous pourrons alors causer à loisir. D'ici là, ne vous fatiguez pas trop. « ... Ma femme et mes enfants vous envoient tous I EN BRETAGNE. 63 leurs coinplimenls. Croyez, ma chère Marie-Yvonne, à mes meilleurs sentiments. « E. Renan. » Si Ernest Renan savait montrer ainsi tant de sympa- thie aiïectueuse et de si charmante honte envers les locataires de sa maison natale, il était hien payé de retour. Dès qu'il était hruit d'un de ses voyages dans sa ville natale, ceux-ci s'empressaient à lui faire fête. Toujours ils le priaient à dîner, l'invitant même souvent à cou- cher. Une année, sur la fin de sa vie, il accepta un repas, par crainte de hlesser ces hraves gens en se dérohant toujours à leurs avances si respectueusement empressées. Nous parlerons du fameux hanquet de Tréguier de 1884, qui marque le grand retour de Henan en Bretagne. « Le lendemain, nous a dit un témoin oculaire, nous vîmes arriver à l'hôtel du Lion d'Or, où avait eu lieu le (( Dîner celtique », le locataire de Renan, un hon houlanger, M. Le Bigot, dont nous avions visité la veille la maison, maison natale d'Ernest Renan. Il venait nous faire part de sa joie, car il avait invité à dîner, pour le soir môme, le Maître, qui avait accepté : « — Je vais donc l'avoir à ma tahle; quel honheur! Si vous saviez comme il est hon! Je puis le dire mieux que tout autre, car je le connais depuis quarante ans. Nous avions depuis bien longtemps une poule à la maison, elle était apprivoisée, nous l'aimions. Eh hien, nous n'avons pas hésité à la sacrifier pour une si helle fête, et nous la servons ce soir à M. Renan... ^^ ERNEST RENAN « Ce fat une grande rumeur et une joie vive dans la vieille maison de la Grand'Rue (1). Le gala eut lieu chez la boulangère du rez-de-chaussée — la mère Bigot, comme on disait dans ce coin de la ville. Quand la volaille fut apportée sur la table, l'excellente femme, dans la sincérité de son émotion et la naïveté de son cœur, s'écria : « - Jugez, Monsieur Renan, à quel point nous vous aimons. Voilà six ans que nous avions cette poule, et nous l'avons tuée en votre honneur (2) ! ^ (( — Vraiment, repartit Renan avec un sourire que l'on devine, j'en suis si navré pour cette pauvre béte, que je ne sais si j'aurais le courage de goûter sa chair! « Force lui fut cependant d'en prendre deux fois, et il se laissa faire par bonté d'âme. » M"- Le Bigot (3) était aussi dévote que la plus pieuse des Trécorroises; mais elle avait une si réelle affection pour son propriétaire qu'elle ne se gênait pas le moins du monde pour la manifester — surtout si quelqu'un insinuait devant elle quelque chose attaquant la répu- tation de M. Renan. Maintes fois, des touristes indiscrets ou des lettrés curieux lui ont demandé : — Que dit-on de M. Renan dans le pays? (1) Rue Renau, depuis 1902. (2) Dans les campagnes bretonnes, on garde ainsi les meil- (3j Décédée en 1902. ' EN BRETAGNE. ^ O — Dame! Monsieur, y a des gens qui unL dit qu'il avait bien fait; d'autres ont dit qu'il avait eu tort. Vous savez ce que c'est : on ne peut pas plaire à tout un chacun. Il a fait des livres dont on a dit ça et ça , mais c'est pas à des gens simples comme nous à juger de ces ouvrages-là. En tout cas, c'est un bon maître et jamais il ne nous a tracassé pour le paiement des termes... A d'autres, elle répondait : — Ah ! ça, ce n'est pas mon affaire ! Ça ne me regarce pas!... Je l'aimais beaucoup et je ne veux pas entendre dire du mal de luil... M°'*' Le Bigot, ainsi C|ue sa fille, depuis, ont tenu d'ailleurs à marquer par une preuve tangible la véné- ration sans mélange qu'elles avaient pour Ernest Re- nan, en réunissant dans l'appartement le plus discret et le plus convenable de sa maison natale — une petite salle familiale dont l'entrée est située en face de la cui- sine — tous les Souvenirs du « maître ». Ses lettres à la famille Le Bigot y sont encadrées et mises précieuse- ment à la place d'honneur, tout à coté de plusieurs de ses derniers portraits. Une réduction de goélette qui est à coté fait naturel- lement songer aux ancêtres du célèbre écrivain. On l'a sans doute mise avec intention. Puisse ce précieux et modeste souvenir d'une loca- taire du grand Trécorrois donner l'idée d'un futur « Musée Renan » dans sa vieille et bien chère [maison natale de Tréguier... IV Le capitaine Renan, — Naissance d'Ernest Renan. C'était au beau moment où les puissances coalisées luttaient pour combattre la France de la Révolution. Un capitaine breton arpentait fiévreusement les quais de Saint-Malo, — la patrie des hardis corsaires, — car son navire ï Aventurier se trouvait dans le port célèbre par ses audaces contre l'Anglais, avec un chargement de valeur qu'il voulait ramener à destination, et il faut ajouter qu'il venait d'apprendre que de fortes croisières ennemies sillonnaient la Manche. En brave marin breton qu'il était et en digne émule des corsaires malouins, il se décida à sortir et à braver le sort qui lui semblait pourtant contraire. Malheureu- sement, une tempête s'éleva, la manœuvre devint diffi- cile et un gros corsaire britannique, que le capitaine n'avait pu voir, fondit sur V Aventurier et le captura. L'équipage fut pris par le corsaire et l'ennemi ne laissa à bord du brick français que le capitaine et son mousse, pour aider à la manœuvre, c^vV Aventurier ïyxi mis à la remor(5ue de son vainqueur, qui se dirigea à toutes voiles vers les côtes d'Angleterre. Cependant la tempête redoublait de violence, et un naufVngo semblait imminent. Quatre marins furent EN BRETAGNE. 67 alors détachés du corsaire ennemi et placés sur le navire breton ; puis, pour rendre la marche du premier plus facile et encore afin d'éviter toute collision dans la bourrasque, on rompit les amarres. Le capitaine breton eut alors une idée de corsaire. Il descendit dans la cale, y pratiqua courageusement une légère ouverture et remonta en déclarant à ses vain- queurs et maîtres qu'une voie d'eau s'était produite. Les Anglais le sommèrent alors de prendre tous les moyens possibles pour sauver le navire. — Que m'importe à moi, leur répondit-il fièrement, et les bras croisés; je préfère avoir la mer pour tombe que de mourir sur un de vos pontons! Les menaces étaient inutiles dans ces heures cri- tiques. Deux des marins anglais descendirent dans la cale pour se rendre compte du péril. Le capitaine breton et son mousse s'arment de courage; ils menacent de brûler la cervelle aux deux autres restés sur le pont s'ils ne vont rejoindre leurs camarades. Chose faite, vite les panneaux furent encloués, les chaînes et les barriques entassées sur le pont et, quelques heures après, VAvetiturier rentre à Saint-Malo avec les quatre marins anglais prisonniers et conduit par le seul capi- taine et le mousse du navire (1). Ce vaillant capitaine breton, qui s'était conduit en la circonstance comme un de nos plus héroïques corsaires, s'appelait Pbilibert Renan, du port de Tréguier. C'était le père de l'illustre auteur de la Vie de Jésus. (i) Biographie de Renan (18G4). 68 ERNEST RENAN Nous avons dit quelles étaient les opinions patrio- tiques et républicaines de son vieux père, le capitaine de barque Alain Renan. Son fils partagea les mêmes idées, car lui aussi était un convaincu et un honnête homme, allant droit son chemin. Sa carrière maritime influa aussi beaucoup sur son tempérament, au moral comme au physique. « Notre père servit sur les flottes de la République. Après les désastres maritimes du temps, il commanda des navires pour son propre compte », a écrit un jour Ernest Renan (1). Philibert Renan fit, dans sa jeunesse, d'excellentes études nautiques et de langue anglaise à Brest. Il fut reçu à l'examen des capitaines au long cours le 6 oc- tobre 1798 (2). Quand Napoléon eut décrété le blocus continental, Philibert Renan entra dans la marine de l'Etat. Il fut embarqué à Brest, le 16 brumaire an XII, — 7 no- vembre 1804, — sur la canonnière V Inquiète, capitaine Lissillour (3), et prit part à plusieurs campagnes de guerre, notamment celles de l'amiral Villaret-Joyeuse. II fut même moins heureux qu'à bord de V Aventurier et fait prisonnier de guerre, puis envoyé sur les pon- tons anglais. Il y resta plusieurs mois, puis devint professeur d'hydrographie à Londres. Lorsque la paix fut conclue, il revint à Tréguier et il (1) A ma sœur Henriette. (2) Archives du ministère de la Marine. (3) D'après l'article matriculaire du capitaine Renan. EN BRETAGNE. 69 se maria en 1807. C'est alors qu'il navigua pour son propre compte, en rentrant aux capitaines au long cours, le 23 octobre 1808. Le capitaine Renan était fier de ses campagntîs de l'Elat et il aimait à les rappeler. Aussi, chaque annéi% sa jouissance était d'aller, le jour où l'on lirait au sort, humilier les recrues nouvelles de ses souvenirs de volontaire. Regardant d'un air de mépris ceux qui mettaient la main dans l'urne : « Autrefois, disait-il, nous ne faisions pas ainsi. » Et il haussait ostensible- ment les épaules sur la décadence des temps. C'était un excellent matelot, un peu vif, comme tous les gens de mer, mais plein de cœur et parfait honnête homme. Il était d'une forte corpulence, avait le poing solide, parlait haut, buvait ferme et fumait fort. S il avait les travers du marin, il en possédait aussi au suprême degré les qualités; il était surtout plein de bravoure et même, dans sa jeunesse, n'était pas ennemi d'un brin de gaité gauloise. L'anecdote suivante nous le montre tel. A cette époque vivait à Tréguier un vieillard excessi- vement avare. Quoique possesseur d'une fortune très satisfaisante, le bonhomme faisait maigre chère; il ne voulait se nourrir que des produits de son jardin. Un soir que le capitaine Renan, promenant avec quelques amis, cherchait un moyen de se distraire, il lui vint à l'esprit de jouer un tour au Crésus-Harpagon. Sans plus tarder, il se rend par escalade dans le jardin du bonhomme, y cueille tous les artichauts qui s'y trouvent, et, pendant que l'on porte à la ménagère 70 ERNEST RENAN les bienheureux légumes, il va prier le propriétaire du jardin de vouloir bien prendre part à un souper d'amis. L'offre, on le comprend, fut acceptée avec joie, et l'avare mangea des artichauts à souhait... On devine son dépit lorsqu'il s'aperçut que le festin avait eu lieu à ses dépens (1). Le capitaine Renan était estimé et aimé. Ainsi, en 4815, sa situation devint très difficile, surtout pour lui, ancien patriote ardent de la Révolution et ancien marin de l'Empire. Il fallait à tout propos la contre-signature d'un chevalier de Saint-Louis. Le principal légitimiste de l'endroit vint lui dire : — Monsieur Renan, quand vous aurez besoin d'une signature, je ne veux pas que vous en demandiez d'autre que la mienne. Gomme on le voit, il n'}^ avait pas non plus l'ombre de haines entre des hommes qui, la veille, s'étaient, presque tiré des coups de fusil (2). Le capitaine Renan ne faisait guère que le cabotage sur les côtes de Bretagne et de Normandie. Etant marin et fils de marin, il ne voulut s'allier qu'à une famille de marins. C'est entre deux embarquements, et pendant une des heures de trêve des guerres maritimes de la Révolution et de l'Empire, que le capitaine Philibert Renan épousa une des beautés lannionnaises, M^''^ Madeleine Féger — plus connue sous le nom familier de Manon Lasbleiz(3) (i) Biographie d'Ernest Renan (1864). (2) Récit d'Ernest Renan, dans un dîner celtique. (3) Car sa mère s'était remariée avec M» Lasbleiz. EN BRETAGNE. 71 et qui devint plus lard la « tante Manon », aimée de toute la grande famille des Renan. Elle était simple, laborieuse, active, ayant beaucoup d'esprit et même de piété. Nous la j aiderons d'ailleurs à ses actes, car elle tint une grande place dans la jeunesse et mémo dans la yie de son Benjamin, devenu si illustre... ^jiie Féger appartenait à la bourgeoisie de Lannion. Son père, qui était capitaine au long cours, était de Bordeaux, et s'était allié à Lanniun avec une des meil- leures et grandes familles de la ville, les Cadillan. D'ailleurs, comme il mourut avant le mariage de sa lille, sa veuve s'allia avec une autre vieille famille lan- nionnaise, les Lasbleiz, en épousant François-Joseph Lasbleiz, avoué. La future M"'^ Philibert Renan était née en 1783. Voici son acte de naissance : Acte de naissance de Madeltine Féger^ mère d'Ernest Renan. « Magdelaine-Joseph Féger, fille légitime du sieur Joseph-Marie Féger et de Demoiselle Claire Cardillan, son épouse, née le sept juin mil sept cent quatre vingt trois, a été baptisée le même jour solennellement dans cette église par le soussigné. Parrain et marraine unt été le sieur Joseph Marie Cadillan et demoiselle Magde- laine Franroise Féger, veuve du sieur Cugneau; le père présent, soussignés. u Signatures : Magdelaine Françoise Fégeu. — Ca- dillan. — K stivien Le Bricquir. — Féger. — G. M. Lunégan, curé de Lannion. )) .'a ERNEST RENAN Ernest Renan n'a connu que sa grand'mère mater- nelle, et il en parle en des termes charmants : « Ma bonne maman, comme je l'appelais, était un fort aimable modèle de la boura^eoisie d'autrefois. Elle avait été extrêmement jolie. Je l'ai connue dans ses dernières années, gardant toujours la mode du moment 011 elle devint veuve. Elle tenait à sa classe, ne quitta jamais ses coiffes de bourgeoise, ne souiï'rit jamais d'être appelée que Mademoiselle. Les dames nobles l'avaient en haute estime. Elle était admirable de can- deur, de respect et d'honnêteté. La piété de ma grand'- mère, sa politesse, son culte pour l'ordre établi, me sont restés comme une des meilleures images de cette vieille société fondée sur Dieu et le Roi, deux étais qu'il n'est pas sûr qu'on puisse remplacer. » Dans ses Souvenirs d'enfance, Ernest Renan aime à rappeler quelques traits de la vie tourmentée d'alors à Lannion, et dont sa grand'mère fut l'hérome : tels que le prêtre qu'elle cacha et sauva, ou la fin tragique, par la guillotine, de sa camarade en dévoûment pour les l'éfractaires ; comme encore les petites taquineries de ses oncles, grands patriotes, envers M'"^ Féger-Lasbleiz. ^jiie Magdelaine Féger tenait de son père et était plu- tôt ouverte, gaie, rieuse, pleine d'esprit, aimant plutôt la Révolution qu'elle ne la haïssait, écoutant sans fausse pudeur les chansons patriotiques, ayant même un faible pour le Chant du Dépari. La mère et la fille formaient un contraste parfait. Cependant, plus tard, dans sa famille, M^'^Ph. Renan apporta toutes les vertus qu'avait pratiquées son excellente mère,.. EN BRETAGNE. 73 C'est donc de sa mère qu'Ernest Renan tenait sa cons- tante bonne humeur, cette douce bonhomie, sa fine ironie; ce qui expUque aussi la boutade qu'il lança un jour sur sa formule : « Un Celte mêlé de Gascon... » Le capitaine Philibert Renan épousa Magdelaine Féger le 31 décembre 1807, à Lannion. Voici, à titre documentaire, leur acte de mariage : Acte de mariage de Philibert Renan, père d' Ernest Renan. c( Du trente unième jour du mois de décembre an 1807, à onze heures du matin. (( Acte de mariage du sieur Philibert-François Renan, âgé de trente-trois ans, né à Tréguier, département des Cotes-du-Nord, le septième du mois d'avril mil sept cent soixante-quatorze, profession de marin, demeu- rant à Tréguier, département des Cotes-du-Nord, fils majeur du sieur Allain Renan, capitaine marchand demeurant à Tréguier, et de demoiselle Renée le Maître décédée à Tréguier. Le dit sieur Allain Renan présent déclare donner son consentement au dit mariage. « Et de demoiselle Magdelaine-Josephe Féger, âgée de vingt-quatre ans, née à Lannion, département des Cotes-du-Nord, le septième du mois de juin l'an mil sept cent quatre-vingt-trois, profession de..., demeurant à Lannion, département des Cotes-du-Nord, fille majeure de Joseph-Marie Féger, capitaine au long cours, dé- cédé à Lannion, et de dame Claire-Jeanne Gille Cadil- lan, épouse du sieur François-Joseph Lasbleiz, lesquels 5 74 ERNEST RENAN présents déclarent donner leur consentement au dit mariage. « Les publications ordonnées par l'article 73 de la loi ont été faites à Lannion et à Trégaier les dimanche treize et vingt décembre mil huit cent sept sans oppo- sition. « Remise a été faite à l'officier de l'état-civil : « 1** Des actes constatant la naissance des futurs époux; « 2*^ De l'acte du décès du sieur Joseph-Marie Féger, délivré par M. le Feyer, maire, le douze décembre mil huit cent sept; « 3° De l'acte du décès de demoiselle Renée Le Maître, délivré par M. Guillou, aîné, maire de Tréguier, le quatorze octobre mil huit cent sept; (( A" De deux extraits des publications de mariage et de certificat de non-opposition au dit mariage délivré par le maire de Tréguier, le vingt et un décembre mil huit cent sept. (( Lecture a été donnée aux parties contractantes, par l'officier de l'Etat-civil, des pièces ci-dessus men- tionnées et du chapitre VI du titre V du Code civil con- tenant rénumération des droits et des devoirs respec- tifs des époux. « Les contractants ont déclaré se prendre, savoir : Le sieur Philibert-François Renan pour son épouse Magdelaine-Josephe Féger et demoiselle Magdelaine- Josephe Féger pour son époux le sieur Philibert- François Renan. « En présence du sieur Allain Renan, âgé.de soixante- II EN BRETAGNE. 75 dix ans, profession de capitaine de barque, demeurant a Tréguier, département des Gùtes-du-Nord, qui a dé- claré être le père du contractant. « De François-Joseph Lasbleiz, âgé de cinquante- deux ans, profession de avoué, demeurant à Lannion, département des Gôtes-du-Nord, qui a déclaré être le beau-père de la contractante. (( De Joseph-Marie Gadillan, âgé de cinquante-sept ans, profession d'expert-priseur, demeurant à Lannion, déparlement des Côtes-du-Nord, qui a déclaré être oncle germain de la contractante. « Et de Joseph Le Coat, âgé de quarante ans, pro- fession de négociant, demeurant à Lannion, départe- ment des Côtes-du-Nord, qui a déclaré être cousin germain de la contractante. (( Après quoi, moi, Joseph Le Feyer, maire et offi- cier de TEtat-civil, ai prononcé au nom de la loi, que les dits époux sont unis au mariage. Et ont, après lec- ture donnée du présent à haute voix, signé avec moi. a Signatures : Magdelaine Féger; Renan; Gadillan; Philibert-François Renan; Lasbleiz; Claire Féger; Lecoat; Y^^ péger épouse Lasbleiz; Gugnau; Annette Féger; Rosalie Toussaint; Le Feyer. » Les époux Renan continuèrent en partie le commerce d'Alain Renan, qui leur avait cédé la maison de la Grand'Rue. Ils l'augmentèrent même. Ce fut surtout un commerce d'épicerie, auquel s'ajouta la vente du fer, des cordages et des charbons de terre. Ils vendaient ^76 ERNEST RENAM surtout beaucoup de fer, et le magasin Renan était un des plus considérables de la région. Malgré l'esprit d'ordre et d'économie de l'épouse, leur commerce ne prospéra pas toujours et vit plus tard de mauvais jours. Comme la plupart des marins, ayant peu d'aptitude aux affaires, le capitaine Renan avait surtout le grand tort de vouloir en faire quand même et de s'en occuper toujours. (( Qui trop embrasse mal étreint », dit la sagesse populaire. Il en fut de même pour lui et, entre ses mains inhabiles, la petite fortune qu'il tenait de ses parents, et qu'il avait d'abord su accroître en commandant des navires pour son propre compte, se fondit peu à peu en de mauvaises spéculations com- merciales... iM. et M"'" Renan eurent trois enfants. Ils naquirent dans un ordre inverse à celui que la renommée devait leur assigner plus tard. Le premier qui vint égayer le foyer domestique fut Alain. Il naquit le lOjanvier 1809. Comme nous le retrouvons, lui ou ses enfants, mêlé à la vie d'Ernest Renan, nous donnons son acte de naissance : Acte de iiaisaance d'Alain Renan, frère d'Ernest Renan. « Du dixième jour de janvier 1809. « Acte de naissance d'Allain-Clair Renan né ce jour à midi, fds légitime de Philibert-François Renan, âgé de trente-cinq ans, profession de marin capitaine au long cours, et de Magdelaine-Joseph Féger âgée de vingt- cinq ans, profession de marchande, demeurant à Tré- guier. EN BRETAGNE. 77 « L'enfant présenté à l'officier de l'Etat-civil a été reconnu être du sexe masculin. La déclaration de nais- sance a été faite par le dit sieur Renan père de l'enfant, âgé de trente-cinq ans, profession de marin, demeu- rant à Tréguier. « Premier témoin, Allain Renan, âgé de soixante- dix ans, profession de négociant, demeurant à Tré- guier. « Second témoin, Pierre Le Quellec, âgé de trente- huit ans, profession de propriétaire demeurant à Tré- guier. « Lecture donnée de ce que dessus, les comparants et témoins ont déclaré signer sauf le premier témoin. « Signalées : Claire Cadillan; Renax; Le Quellec; François Renan. « Constaté suivant la loi par moi Duportal Du Goas- meur, maire et officier de l'Etat-civil soussignant. « Signé : Duportal-Du Goasmeur. » Alain Renan fut le moins choyé de la famille. Comme son plus jeune frère, il fut un bon écolier; nous le retrouverons élève au collège ecclésiastique de Tré- guier, ayant comme camarade le futur général Duportal du Goasmeur. C'est V Histoire du Collpge de Tréguier qui nous le dit; mais ce livre, contrairement à ce qu'il fait pour d'autres élèves, ne mentionne pas du tout la car- rière d'Alain Renan... Le 22 juillet 1811, Henriette-Marie Renan se présenta avant terme. Sa faible constitution s'en ressentit, sa 78 ERNEST RENAN nature frêle réclamait des soins de chaque instant. Sa mère, très occupée par son commerce, ne pouvait guère les lui donner, et sa nourrice, M^'*^ Janvier, mourut à la peine. Voici Tacte de naissance de celle qui fut l'âme-sœur d'Ernest Renan et qui eut la plus grande influence sur sa vie : Acte de naissance d'Henriette Renan. (( Du vingt-deuxième jour de juillet mil huit cent onze. « Acte de naissance de Henriette Marie Renan née ce jour à dix heures du matin, fille légitime de Philihert- François Renan, âgé de trente-huit ans, profession de négociant, et de Magdeleine Joseph Féger, âgée de vingt- huit ans, profession de négociante, demeurant à Tré- guier. (( L'enfant présenté à l'officier de l'Etat civil a été reconnu du sexe féminin. Ladéclaration de la naissance a été faite par le dit sieur Renan, âgé de trente-huit ans, profession de négociant, demeurant à Tréguier. « Premier témoin, le sieur françois Lashleiz, âgé de cinquante quatre ans, profession d'avoué, demeu- rant à Lannion. « Second témoin, le sieur Allain Renan, âgé de soixante-treize ans, profession de propriétaire, demeu- rant à Tréguier, aïeul paternel de l'enfant. « Lecture donnée de ce que dessus, les comparants et les témoins ont déclaré signer. « Signatures : Lashleiz; Ledillant; Le Moullec; Renan fils; Claire Cadillan; Renan. I EN BRETAGNE. 79 (( Constaté suivant la loi par moi Duportal Diigoas- meur, maire, officier de l'Etat-civil soussignant. (( Signé : Duportal-Dii Goasmeur, maire. » Si la famille augmentait au foyer du capitaine Renan, sa fortune diminuait plutôt. Les événements de 1815 amenèrent des crises commerciales qui lui furent fatales. Il dut reprendre la navigation et commander lui-même ses navires pour essayer d'arrêter la débâcle. La nature sentimentale et faible de ce grand enfant de la mer ne tenait pas contre ces épreuves de la vie, contre lesquelles il n'était nullement cuirassé. Et c'étaient de grands ravages que l'inquiétude et le mal- heur exerçaient sur son àme bonne et douce, égarée dans un genre d'occupations qui n'était pas le sien. C'est même avec effroi que le capitaine Renan envi- sageait l'avenir. Et ces préoccupations naturelles le rendirent mélancolique et triste... Les deux enfants avaient grandi dans ce ménage, où la gêne se faisait déjà sentir et où l'on ne s'occupait guère d'eux. Alain allait au collège et Henriette reçut son édu- cation chez de vieilles religieuses chassées de leur couvent par la Révolution et devenues maîtresses d'école. Ce sont elles qui lui apprirent à lire et à réciter les psaumes en latin et, par cœur, tout ce qu'on chante à l'église. Alain Renan avait un peu le caractère ouvert et gai de sa mère, tandis qu'Henriette ressemblait à son père, étant timide, mélancolique, concentrée. Le peu de joie 80 ERNEST RENAN de ce foyer, où l'on ne riait plus depuis longtemps, comme aussi les malheurs dont elle fut de bonne heure entourée, ainsi qu'une enfance passée dans un tel milieu, plein de poésie et de douce tristesse, ne pouvaient que la prédisposer de plus en plus à la vie intérieure, tendance déjà innée chez elle. Ernest Renan vint au monde au moment où ses parents comptaient être débarrassés des soucis de l'éducation d'un nouvel enfant. Le père avait quarante- neuf ans, la mère trente-neuf; Alain en avait quinze, et Henriette douze. Le petit commerce d'épicerie, tenu par M."^" Renan, pendant que le père naviguait en mer sur les côtes bre- tonnes, ne marchait déjà plus, et la misère s'était montrée dans le ménage. C'est ce qui fait dire un jour, de M"'*^ Renan à son dernier fils : « Quand tu vins au monde, nous étions si tristes, que je te pris sur mes genoux et pleurai amèrement... » De son côté, Ernest Renan dit que sa naissance fut un rayon de soleil dans la mélancolique vie de son père : « Au retour d'un de ces longs voyages dans nos mers froides et tristes, mon père eut un dernier rayon de joie : je naquis en février 1823 (1). » Nous avons voulu voir nous-méme le registre des naissances de la ville de Tréguier de cette année-là, et y copier l'acte de naissance du plus célèbre enfant de cette cité. Le voici, fidèlement reproduit : (1) A ma sœur Henriette, en bretagne. 81 Acte de naissance d'Ernest Renan. « iVo i S. — Du premier jour du mois de mars mil huit cent vingt-trois, à neuf heures du matin. « Acte de naissance de Joseph-Ernest Renan, né le jour d'hier (1), à six heures du matin., fils légitime de Philibert-François Renan, âgé de quarante- neuf ans, profession de marchand épicier^ et de Magdeleine-Josephe Féger, âgée de trente-neuf ans, demeurant à Tréguier. (( Venfant présenté à l'officier de ïétat civil a été reconnu être du sexe masculin. La déclaration de la nais- sance a été faite par ledit Philibert-François Renan, âgé de quarante jieuf ans, profession de marchand épi- cier, demeurant à Tréguier. (( Premier témoin : Yves Le Moullec^ cinquante et un ans, officier de santé, demeurant à Tréguier. « Second témoin : Louis Bon Tuon, âgé de trente-trois ans, employé des contributions indirectes, demeurant à Tréguier. « Lecture donnée de ce que les comparans et témoins ont déclaré signer. Un mot rayé nul. « Signatures : Tuon; Renan aîné; Y. Le Moullec. « Constaté suivant la loi par moi Duportal-Dugoas- meur, maire, officier de l'état civil soussigné. (( Signé : Duportal-Du Goasnieur. » (1) Tous les biographes d'Ernest Renan l'ont fait naître le 27 février; m^.me la date qui est inscrite sur le socle de la statue de Tréguier reproduit cette erreur, car c'est bien le 28 du même mois qu'il est né. 5. 82 ERNEST RENAN Cette page, désormais historique de la ville de Tré- guier, est précieusement conservée, à plus d'un titre. D'autant plus qu'elle est déjà l'objet d'actes de vanda- lisme de la part de collectionneurs ou de visiteurs peu scrupuleux. Ainsi, l'on nous a conté que le maire actuel de Tréguier, M. Guillerm, pendant qu'un étranger copiait dans la salle du secrétariat de la mairie l'extrait de naissance d'Ernest Renan, l'aperçut, par hasard, cachant un canif dans la manche de son veston, puis s'apprêtant ensuite à couper furtivement l'original de l'acte, afin sans doute d'emporter ce document comme précieux autographe... 11 était temps! Le registre des actes de baptême de la cure de Tré- guier contient cet acte : Acte de baptême d'Ernest Renan. (( L'an mil huit cent vingt-trois, le deux de mars, a été baptisé en l'église de Tréguier Joseph-Ernest Re- nan, né le vingt-huit du mois de février mil huit cent vingt-trois, fils de Philibert Renan et de Madeleine Féger. « Le parrain a été Joseph Quinquis, et la marraine Annette Féger. » Ernest fut élevé par une parente de sa mère; car, tout entière à son négoce, M'"'^ Renan ne pouvait donner de soins au nouveau-né qu'à de rares intervalles. Cette nourrice a raconté que l'on regardait sa conservation comme un miracle, tellement il était chétif et faible, et elle disait que ce miracle était dû à l'intercession de EN BRETAGNE. 83 la Vierge, que M"'^ Renan implorait nuit et jour pour son petit Ernest. Cette femme aimait celui-ci avec une sorte de culte. C'était un de ces vieux types de la domesticité bre- tonne, une de ces bonnes filles, honnêtes, probes, pleines de douceur, dévouées au possible et qui s'at- tachent à ceux qu'elles servent, telles qu'elles de- viennent de plus en plus rares. Des ennemis de Renan ont dit qu'il ne s'est pas souvenu, plus tard, de cette ancienne affection. C'est erroné. Cette bonne s'appelait Manon, et la famille Renan l'aimait beaucoup; et nous disons plus loin comment, ayant retrouvé son ancienne nourrice à l'hôpital de Tréguier, il assura la paix et le contentement de ses derniers jours. Ernest Renan a écrit quelque part : « Ne confondons pas la légende avec l'histoire, mais n'essayons pas de bannir la légende, puisque telle est la forme que revêt machinalement la loi de l'humanité. » Ici, nous ne faisons que de l'histoire, de l'intéressante histoire bretonne; mais nous sommes obligé d'ajouter que la légende, qui l'auréolera davantage dans le futur, semble avoir entouré la naissance du petit « Ernestic » de je ne sais quoi de merveilleux; car, tout comme un des Princes Charmants des temps nébuleux , Ernest Renan eut aussi une fée à son berceau, pour lui prédire sa destinée. 11 nous le conte ainsi : « J'avais reçu, avant de naître, le coup de quelque fée. Gode, la vieille sorcière, me le disait souvent. Je naquis avant terme, et si faible que, pendant deux 84 ERNEST RENAN mois, on crut que je ne vivrais pas. Gode vint dire à ma mère qu'elle avait eu un moyen sûr pour savoir mon sort. Elle prit une de mes petites chemises, alla un matin à l'étang sacré ; elle revint la face resplendissante, (c — Il veut vivre ! Il veut vivre ! . . . criait-elle. A peine jetée sur l'eau, la petite chemise s'était soulevée... (( Plus tard, chaque fois que je la rencontrais, ses yeux étincelaient. (( — Oh! si vous aviez vu, disait-elle, comme les deux bras s'élancèrent ! « Dès lors, j'étais aimé des fées et je les aimais (1). » Renan n'a-t-il pas déclaré, d'autre part, que le royaume de féerie, le plus beau qui soit en terre, est le domaine par excellence de la race celtique, et qu'il se manifeste chez elle par certains côtés de la religion, par le culte des vieux saints et des antiques chapelles. Lui-même n'en subit-il pas maintes fois la hantise dans sa toute enfance... (( Ces récits — il s'agit des légendes sur les vieux saints de Bretagne — eurent la plus grande influence sur le tour de mon imagination, dit-il encore dans ses Souve- nirs. Les chapelles dont je viens de parler sont toujours solitaires, isolées dans les landes, au milieu des rochers ou dans des terrains vagues, tout à fait déserts. Lèvent courant sur les bruyères, gémissant dans les genêts, me causait de folles terreurs. Parfois, je prenais la fuite éperdu, comme poursuivi par les génies du passé. (1) Souvenirs d'enfance. ï EN BRETAGNE. 85 D'autres fois, je regardais, par la porte enfoncée de la chapelle, les vitraux ou les statuettes en bois peint qui ornaient l'autel. Gela me plongeait dans des rêves sans fin. La physionomie étrange, terrible de ces saints, plus druides que chrétiens, sauvages, vindicatifs, me poursuivait comme un cauchemar. » Et, en effet, tous ceux qui savent lire la prose mélo- dieuse de l'ancien lévite trécorrois, ceux qui ont pu l'approcher ou qui ont eu la chance de l'entendre dans ses causeries inoubliables, pourront certifier que cer- tainement quelque fée celtique l'avait doué d'une grâce et d'un charme qui ne sont pas de ce monde... Ce qu'il y a de plus réel et de certain, c'est que Ernest Renan, dans son enfance comme dans sa jeu- nesse, et encore dans son âge mûr, eut tout au moins et toujours une « fée » de famille pour le soutenir et l'en- courager dans la vie. Ce fut sa sœur Henriette — ce (( bon génie » des jeunes années, à qui il a rendu plus tard un si touchant hommage, dans sa brochure A ma sœur Henriette. Le petit Ernest était, nous l'avons dit, extrêmement délicat. Sa nourrice a maintes fois répété que l'on re- gardait sa conservation comme un miracle, dû, a-t-on dit aussi, à Tinterccssion de la Sainte Vierge, que ^jme p[enan implorait souvent pour lui. La venue de ce petit frère fut pour Henriette — qui était bien trop sérieuse pour ses douze ans — comme une grande consolation, car elle pourrait lui prodiguer tout son cœur aimant. Elle l'adopta, s'attacha fortement à lui dès les premiers jours, concentrant toute son 86 ERNEST RENAN affection sur ce petit être grêle et fragile qui semblait respirer à peine. Elle lui servit de petite mère. Ernest Renan fut donc gâté par sa bonne grande sœur Henriette, qui souffrait et endurait tout de lui. Il a même raconté jusqu'à quel degré celle-ci le suppor- tait : « Je me rappelle encore les petites tyrannies que j'exerçais sur elle, et contre lesquelles elle ne se révolta jamais. Quand elle sortait parée pour aller aux réu- nions des jeunes demoiselles de son âge, je m'attachais à sa robe, je la suppliais de revenir. Alors elle rentrait, tirait ses habits de fête et restait avec moi. Un jour, par plaisanterie, elle me menaça, si je n'étais pas sage, de mourir; et elle fit la morte, en effet, sur un fauteuil. L'horreur que me causa l'immobilité feinte de mon amie est peut-être l'impression la plus forte que j'aie éprouvée, le sort n'ayant pas voulu que j'aie assisté à son dernier soupir. Hors de moi, je m'élançai et lui fit au bras une terrible morsure. Elle poussa un cri que j'entends encore. Aux reproches que l'on m'adressait, je ne savais répondre qu'une seule chose : « Pourquoi (( donc étais-tu morte? Est-ce que tu mourras encore? » C'est dans le malheur que l'on éprouve ses meilleurs amis, que l'on reconnaît les véritables affections. Hen- riette ne devait pas tarder à se dévouer pour son jeune frère, car un nouveau malheur devait fondre sur cette famille, déjà bien éprouvée par le sort. Le capitaine Renan, pour essayer de ramener l'ai- sance à son foyer, qu'il avait fort compromise dans des spéculations de « marchand épicier », avait dû recom- EN BRETAGNE. 87 mencer à naviguer. Un jour, il ne rentra pas à Tré- guier avec son navire. La mer, vers qui l'attirait une insondable mélancolie, devait garder ce descendant d'une vieille famille de marins... Un mystère plane encore sur cette fin subite du vieux capitaine. Voici ce qu'en dit son fils : u En juillet 1828, les malheurs de notre père abou- tirent a une affreuse catastrophe. Un jour, son navire venant de Saint-Malo rentra au port de Tréguier sans lui Les hommes de l'équipage, interrogés, déclarèrent que depuis plusieurs jours ils ne l'avaient plus revu. Un mois entier, ma mère le chercha avec d'inexpri- mables angoisses; enfin elle apprit qu'un cadavre avait été trouvé sur la côte d'Erqui, village situé entre Saint- Brieuc et le cap Fréhel. Il fut constaté que c'était celui de notre père. Quelle fut la cause de sa mort? Fut-il surpris par un de ces accidents si communs dans la vie de l'homme des mers? S'oublia-t-il dans un de ces longs rêves d'infini qui, chez les races bretonnes, con- finent au sommeil sans fin? Crut-il avoir mérité le re- pos? Trouvant qu'il avait assez lutté, s'assit-il sur le rocher en disant : « Celle-ci sera la pierre de mon tom- « beau pour l'éternité; ici je reposerai, car je l'ai choi- « sie? » Nous ne le savons pas. On le déposa dans le sable, oi^i, deux fois par jour, les flots viennent le visi- ter ; je n'ai pas encore pu élever là une pierre pour dire au passant ce que je lui dois (1)... » Saura-t-on jamais la cause réelle de la mort du père (i) A ma sœur Henriette. 88 ERNEST RENAN d'Ernest Renan? Fut-il enlevé par une lame pendant le quart de nuit dans les parages dangereux où on le re- trouva? Ou bien le malheureux s'était-il jeté à la mer dans une de ces heures de mélancolie, de terrible inquié- tude, qui l'assaillaient à mesure qu'il voyait l'avenir de plus en plus sombre et menaçant pour les siens, quand le redoutable insuccès commercial le guettait conti- nuellement? C'est ce que l'on pourrait supposer à la lecture de l'explication du frère d'Henriette. Une autre version, recueillie au pays malouin, est tout autre. Le 12 juin 1828, le capitaine Renan, rentrant à son bord, fît un faux pas sur les quais de Saint-Malo et tomba à la mer; c'était la nuit ; personne ne s'aperçut de cet accident. Le cadavre, emporté par le courant, fut retrouvé dix- sept jours plus tard, horriblement défiguré, dans la commune d'Erquy. Après de minutieuses recherches, nous sommes par- venu à jeter un jour véritable sur la mort bizarre du père du célèbre auteur de la Vie de Jésus. Donnons d'abord son acte de décès, tel qu'il est ins- crit sur les registres de l'état civil de Tréguier : Acte de décès de Philibert-François Renan. « Du quinzième jour du mois de septembre mil huit cent vingt-huit, à huit heures du matin. « Acte de décès de Philibert-François Renan, né à Tréguier, département des Côtes-du-Nord, âgé de cin- quante-quatre ans, profession de capitaine de navire au EN BRETAGNE. 89 long cours, domicilié à Trégiiier, décédé à Erqiii vers le onze ou le douze juin dernier, fils des défunts Allain Renan et de Renée Le Maître, et époux de dame Magde- laine-Joseph Féger. « La déclaration du décès sus mentionné a été faite par la dite dame Magdelaine-Josephe Féger, demeurant à Tréguier, âgée de quarante-cinq ans, profession de commerçante, qui a dit être veuve du dit défunt. « Lecture donnée de ce que dessus, la comparante a déclaré que la dite inscription est faite en exécution du jugement du tribunal civil de première instance de Lannion, du douze de ce mois, dont une expédition de- meurera annexée au double du présent registre qui sera déposé au greffe du dit Iribunal, et a signée. « Signature : Veuve Renan née Fégkr. « Constaté suivant la loi par moi Honoré-Jacques- Rémond Le Goaster, adjoint-maire, officier de l'Etat- civil, soussignant. (( Par délégation du maire, « Signé : Le Goaster, adjoint. » Le capitaine Philibert Renan était occupé à prendre un chargement à Saint-Malo, avec son sloop, le Saint- Pierre, en juin 1828. Pour une raison restée inconnue de son équipage, rendez-vous d'afifaires ou autre, le capitaine du Saint- Pierre quitta son bord le 11 de ce mois. L'équipage l'attendit vainement jusqu'au 27 juin. L'opinion s'accrédita qu'il dCit tombera la mer. Ses marins prirent alors un autre capitaine et firent voile pour Tréguier, 90 ERNEST RENAN Le 1'"' juillet suivant, un cadavre du sexe mas- culin, vêtu d'une veste de drap bleu, à boutons de même, d'un pantalon de drap marron, d'un gilet de drap à double parement, de bas de coton bleu, et ayant dans la poche de sa veste une blague en peau de loup marin, fut trouvé à Lauruen, en la commune d'Erquy. Lauruen est une petite grève située au nord de la commune d'Erquy, entre la pointe d'Erquy et celle du vieux-bourg de Plurien. Un peu au large de la plage est un îlot accessible à marée basse; on y voit une ancienne petite chapelle placée sous le vocable de saint Michel et où les prêtres de la paroisse vont dire la messe une fois l'an. De cette chapelle on découvre toute la haute mer sur une étendue considérable, que la situation topograpbique indique bien d'ailleurs. Voici comment les faits s'étaient passés. Le capitaine Renan rentra à Saint-Malo le jour même du départ de son navire. Ne retrouvant plus les siens, il se mit en devoir de les rejoindre par la pointe d'Erquy, d'où il pouvait le plus facilement apercevoir le sloop dans son trajet de Saint-Malo à ïréguier. Il fut aperçu les jours suivants sur la côte d'Erquy et il dit même à quelques personnes rencontrées qu'il était un capitaine de Tré- guier, que son navire venait de partir sans lui de Saint- Malo et qu'il désirait connaître l'endroit le plus proche d'où il pourrait reconnaître son navire et l'aller prendre. Que se passa-t-il alors? Le capitaine aperçut-il le Saint- Pierre passant à quelque distance et voulut-il le rejoindre à la nage? ou bien, s'étant aventuré sur l'îlot Saint-Michel pour mieux l'apercevoir, fut-il surpris par EN BRETAGNE. 91 la mer? ou encore, fatigué de lutter contre la niale- chance, voulut-il trouver l'oubli dans les flots? On ne saura jamais cjue le dénouement de ce petit drame maritime : c'estque, les jours suivants, son corps fut retrouvé sur la grève, dans un état liorrible et mé- connaissable... Ordinairement, cette constatation de décès d'un inscrit maritime se fait après plusieurs enquêtes judi- ciaires et par jugement du tribunal civil de l'arrondis- sement du quartier du disparu, et conformément aux articles 155 et suivants du Code civil. C^est son résultat qui est annoté à l'acte de décès que nous venons de re- produire. Malgré sa source judiciaire et l'autorité qui peut s'attacher à un tel document, la date qui a été indiquée comme date officielle du décès du capitaine Renan — 11-12 juin 1828 — est erronée. 11 est indiscutable, en effet, que son décès est postérieur au 27 juin, date du départ de son navire de Saint-Malo, puisque ce marin fut vu sur la cote d'Erquy dans les tout derniers jours du même mois (1). C'est donc plutôt du 29 au 30 juin qu'il faut placer le décès de l'homme trouvé sur la grève de Lauruen — qui fut reconnu plus tard, par les vêtements qu'il portait et leur contenu, comme étant le capitaine Philibert Renan. Qu'est devenue sa tombe et où est-elle? Les registres de l'état civil de la commune d'Erquy de cette époque ne font nullement mention du décès du capitaine Renan (1) Procès-verbaux de l'erKiiirte officielle d'alors. 92 ERNEST RENAN. OU de celui d'un naufragé inconnu — quoiqu'il est de tradition qu'il fut trouvé noyé sur les grèves d'Erquy. On ne peut expliquer cette omission que par l'état du cadavre qui était méconnaissable. Ernest Renan, en disant que le corps de son père fut enfoui dans le sable de la grève, n'a fait que rappeler un usage séculaire concernant surtout les inconnus; mais il n'a pas dû connaître la vérité à ce sujet : qui est que le capitaine Philibert Renan a été inhumé dans l'angle nord-ouest du vieux cimetière d'Erquy (1). Cette mort subite du capitaine Renan, de Tréguier, ne devait pas contribuer à améliorer la situation embar- rassée de sa famille. Nous allons dire comment elle en subit les conséquences et quelle en fut surtout la ré- percussion sur l'enfance et les études du Benjamin de la famille... (1) Ce fait est de tradition courante dans cette localité. Ernest Renan écolier. — Son évolution. (Lannion. — Tréguier. — Bréhat. — Paris.) Un jour de mars 184^, Ernest Renan écrivait du sé- minaire d'Issy à sa sœur, qui était en ce moment à Vienne (Autriche), et au sujet de leur singulière exis- tence à tous les deux : « ... Je ne puis te dire toutes mes réflexions, surtout quand je rapprochais les temps jusqu'où pouvaient se porter mes souvenirs : celui où nous cachions notre misère a Lannion; celui, non moins malheureux, où nous languissions à Tréguier et où la seule pensée d'un éloignement de cent vingt lieues nous faisait trem- bler... » Le besoin ne tarda pas, en eff"et, à se faire sentir dans la famille privée de son chef, qui laissait sa femme aux prises avec de grands embarras financiers. La veuve dut liquider son commerce et même il fallut songer à quitter la maison paternelle de Tréguier — la seule pro- priété qui leur restât — afin de la louer au profit des créanciers. 94 ERNEST RENAN Très éprouvée par les revers de fortune et par la mort si inattendue de son mari, M°^^ Renan plaça son plus jeune fils, Ernest, sous la protection de saint Yves, du Minihy de Tréguier — patron de tous les « délaissés ». C'est Renan lui-même qui conte plusieurs fois le fait. « A la mort de mon père, dit-il dans ses Souveîiirs, ma mère me conduisit à sa chapelle (celle de Saint-Yves-de-Vérité) et le constitua mon tuteur. Je ne veux pas dire que le bon saint Yves ait merveilleuse- ment géré nos affaires, ni surtout qu'il m'ait donné une remarquable entente de nos intérêts; mais je lui dois mieux que cela : il m'a donné contentement qui passe richesse et une bonne humeur naturelle qui m'a tenu en joie jusqu'à ce jour (I). » Le fils aîné, Alain Renan, avait alors dix-neuf ans et ses études terminées. Ce jeune homme avait suivi les cours du collège de Tréguier depuis 1817 jusqu'en 1826; il termina cette année -là sa philosophie. Les pal- marès, conservés au petit séminaire, nous apprennent qu'il eut des prix tous les ans : ainsi, en rhétorique, il a un deuxième prix de discours français et un autre de version latine, puis les premiers accessits de discours latin, de géométrie et d'excellence. L'année de sa phi- losophie, il obtient encore les deux premiers de phy- sique et de géométrie, un premier accessit de philosophie et surtout le prix d'excellence pour les études mathé- matiques. (1) E. Renan a oublié de nous dire encore si, conformément à l'usage du Minihy, sa mère le fit alors passer sous la tradi- onnelle pierre de Saint-Yves... EN BRETAGNE. 95 Il partit pour chercher fortune k Paris et commencer dès lors cette vie de travail et de constante application qui ne devait pas avoir toute sa récompense. Ses con- naissances mathématiques lui valurent une situation lucrative. Il entra dans une maison de hanque, qu'il devait diriger plus tard pour son propre compte, à Saint-Malo. Nous l'y retrouverons. Quant à M""" Phi- libert Renan, avec sa fille Henriette et son jeune fils Ernest, elle s'en alla cacher sa misère à Lannion, au sein de sa propre famille. La maison de Lannion, où habita la famille Renan, de 1828 à 1831, existe toujours. Elle est située rue de l'Allée-Yerte, et porte le numéro 12. La locataire actuelle y exploite un petit commerce de lingerie et de merce- rie. M'"'' Renan loua cette maison, car elle ne lui a jamais appartenu. Sa petite famille vivait presque tou- jours auprès de sa mère, devenue M"^*' veuve Lashleiz, qui aimait beaucoup ses petits-enfants Renan, et aussi avec ses sœurs, qui ne s'étaient pas mariées et menaient une vie de recluses, très religieuse et bien trop sage pour des enfants. Ces vieilles tantes n'avaient d'autre diver- tissement, le dimanche, après les offices, que de faire voler une plume, chacune soufflant à son tour pour l'empêcher de toucher terre... Le petit Ernest, quoique tout enfant, allait à l'école des Frères, et il s'est rappelé, plus tard, quelques souve- nirs de son enfance à Lannion. D'abord, ce sont des traits de bonté de sa sœur Hen- riette à son égard. Elle aimait à le mener à l'église, le soir, même en hiver ; mais alors, comme il était frêle et 9fi ÈRNËSt RENAN délicat, elle le tenait abrité sous son manteau. « C'était pour moi une grande joie de fouler la neige, ainsi abrité de toutes parts », a-t-il dit depuis. On ne saurait trop rappeler cet autre trait de la bonté d'Henriette pour son plus jeune frère : Un jour, trouvant les mouvements du petit Ernest embarrassés, elle vit qu'il cherchait timidement à disshnuler le défaut d'un vêtement usé. Elle pleura; la vue de ce pauvre enfant destiné à la misère, avec d'autres instincts, lui serra le cœur. Ernest Renan n'a-t-il pas dit, d'ailleurs, que, à partir de la mort de son père, son état fut la pauvreté !... Parmi les curieux souvenirs d'enfance du célèbre écrivain, citons cet exquis trait d'enfant et qui semble se rattacher à l'un des « pardons » de la cote, celui du Yaudet ou de Locquémau, où les Lannionnais se rendent en bateau. « Je me rappelle qu'à un pardon de Basse-Bretagne, où l'on allait en bateau, notre barque était précédée d'une autre où se tr\)uvaient des dames pauvres qui, ayant voulu se faire belles pour la fête, étaient tombées dans des arrangements de toilette chétifs et de mau- vais goût. Les personnes avec qui nous étions en riaient et les pauvres dames s'en apercevaient. Je vis ma sœur Henriette fondre en larmes. Ce persiflage lui sembla une barbarie (1). » Un jour, dans un dîner celtique parisien, en 1889, croyons-nous, Ernest Renan, parlant des jolies petites (1) A ma sœur Henriette. EN BRETAGNE. 97 filles qu'il avait connues dans son enfance, a conté comment la sélection de son goût sur les jolies per- sonnes se fit de très bonne heure chez lui. « Le lendemain de notre installation à Lannion, dit- il, on m'envoya faire une commission chez une tante qui était pour nous d'une grande bonté ; nous avions là deux cousines, qui se lièrent bientôt avec ma sœur Hen- riette. Je fis ma commission tout de travers : j'avais tout oublié. « — Voyons! qui as-tu vu? Adèle? Alexandrine? « Je ne savais pas encore distinguer mes deux cou- sines par leur nom. Je répondis : u La jolie. » Le soir, ma sœur raconta la chose chez ma tante ï***; on rit beaucoup; celle qui n'était pas la jolie, mais qui était la meilleure fille du monde, me fit « la guerre » toute la soirée. Il y a longtemps de cela : j'avais six ans, et elles ont maintenant plus de quatre-vingts ans... » C'était au moment de la Révolution de 1830. Quand elle éclata, Ernest Renan était avec sa mère chez sa tante Morand (1), au manoir de Trovern, en Trébeur- den, dans un pays de bois et de marais, ancien lit de mer desséché, lorsqu'une voisine accourut dire : « Il doit y avoir la révolution à Paris {Ar Révolution bras zo credan, e Paris), car on a planté le drapeau rouge sur le clocher de Lannion ! » De fait, c'était l'annonce d'un grave événement. Ce pays mélancolique de Trovern-Bras plaisait parti- (1) La grand'mère actuelle de M. J. Morand, avocat à Lannion, parent et ami personnel de Renan et de sa l'aniillo. 6 98 ERNEST RENAN culièrement au jeune Ernest, et nul doute qu'il dut agir un peu sur lui comme l'âpre Combourg.sur Chateau- briand enfant. E. Renan y revint encore alors qu'il était élève du collège de Tréguier; il aimait à y faire des lectures et à y rêver, en solitaire. Les lectures que le jeune Ernest faisait alors ne pou- vaient qu'activer le développement de sa sensibilité, déjà très vive : « J'y passais mes journées à lire la Morale en action et surtout Téiémaque, a-t-il déclaré depuis. Je ne pouvais m'en séparer et je revenais tou- jours à la même lecture (1). » Etant à Paris, il écrivait, un jour, à sa mère : « Je pensais que vous seriez restée plus longtemps auprès de ma bonne tante Morand, et dans son agréable campagne de Trovern. Je vous assure que, bien souvent, je m'y suis transporté en pensée; et je ne sais pourquoi, même l'an dernier, j'ai- mais à songer particulièrement au vieux manoir de Trébeurden. C'est sans doute parce que j'y ai passé d'heureuses années auprès de vous, ô mon excellente maman... » [Lettres du Séminaire, 20 septembre 1839.) Renan, dans une conférence qu'il présidait lui-même à Lannion, a raconté l'un de ses plus précis souvenirs lannionnais, qui remonte à sa septième année : (( Après 1830, dit-il, les luttes locales devinrent ex- cessivement vives chez nous (2). J'allais à l'école des Frères. A la sortie de la classe, il s'élevait tous les jours des disputes entre les deux camps; car il y avait deux (i) Note de M. Ch. Le Goffic {Monde Illustré). (2) Lannionnais du il août 1888. EN BRETAGNE. 99 •amps bien tranchés : les Philippisies et les Carlistes. J'avais sept ou huit ans et je n'étais pas bien fort de santé. Je me tenais déjà un peu à l'écart des luttes. Un jour, pourtant, un de mes camarades s'avança vers moi d'un air menaçant, et me posa à brùle-pourpoint la fameuse question : (( — Et toi, es-tu Philippisle ou Carliste? « Heureusement qu'im autre de mes camarades, un peu plus âgé (je ne puis pas me rappeler son nom, il commençait sûrement par un M), passait par là, et me prenant sous sa protection, répondit pour moi : « — Laisse-le donc! Renan n'est ni Philippiste, ni Carliste : il est patriote ! « Eh bien, c'est vrai; j'étais, je suis patriote et ne me désintéresserai jamais de la Grande Patrie française ni de la Petite Patrie bretonne... » Nous ne connaissons pas de plus ravissant souvenir de cette prime jeunesse de Renan que le suivant, que nous trouvons perdu dans son abstrait Avenir de la Science et qui remonte, croyons-nous, à son enfance au pays de Lannion. Nos lecteurs nous pardonnerons, certes, cette nouvelle citation quand ils auront lu : « Un jour, ma mère et moi, en faisant un petit voyage à travers ces sentiers pierreux des cotes de Bretagne qui laissent à tous ceux qui les ont foulés de si doux souvenirs, nous arrivâmes à une église de ha- meau entourée, selon l'usage, du cimetière, et nous nous y reposâmes. « Les murs de l'église en granit à peine équarri et couverts de mousses, les maisons d'alentour construites 100 ERNEST RENAN de blocs primitifs, les tombes serrées, les croix renver- sées et effacées, les têtes nombreuses rangées sur les étages de la maisonnette qui sert d'ossuaire, attestaient que, depuis les plus anciens jours oi^i les saints de Bre- tagne avaient paru sur ces flots, on avait enterré en ce lieu. Ce jour-là, j'éprouvai le sentiment de l'immensité de l'oubli et du vaste silence oii s'engloutit la vie humaine, avec un effroi que je ressens encore, et qui est resté un des éléments de ma vie morale. Parmi tous ces simples qui sont là, à l'ombre de ces vieux arbres, pas un, pas un seul ne vivra dans l'avenir. Pas un seul n'a inséré son action dans le grand mouvement des choses ; pas un seul ne comptera dans la statistique définitive de ceux qui ont poussé à l'éternelle roue. « Je servais alors le Dieu de mon enfance, et un re- gard élevé vers la croix de pierre, sur les marches de laquelle nous étions assis, et sur le tabernacle qu'on voyait à travers les vitraux de l'église, m'expliquait tout cela. Et puis on voyait, à peu de distance, la mer, les rochers, les vagues blanchissantes; on respirait ce vent céleste qui, pénétrant jusqu'au fond du cerveau, y éveille je ne sais quelle vague sensation de largeur et de liberté. « Et puis ma mère était à mes côtés ; il me semblait que la plus humble vie pouvait refléter le ciel, grâce au pur amour et aux affections individuelles. J'estimais heureux ceux qui reposaient en ce lieu. » Le séjour à Lannion de M'"® Renan et de ses deux enfants ne fut pas de très longue durée, quoique tous y fussent entourés d'affectueuse sympathie et même de EN BRETAGNE. 101 dévouement. D'ailleurs, ni Henriette, ni Ernest ne se plaisaient dans cette ville; et puis la claustration sé- dentaire de la vie de petits bourgeois ne pouvait con- venir a M™^ Renan, vive, alerte et spirituelle. Sans compter que ses affaires personnelles et la nostalgie de Tréguier et de sa vieille et chère maison de la Grand'Rue aidèrent beaucoup à l'y faire revenir. La vocation d'Henriette compta aussi dans cette décision. Une lettre, datée du 19 mars 1831, de la grand'mère d'Ernest Renan à l'une de ses amies, — M"'' Guyon, de Lannion, qui gâtait Ernest quand il était petit, — nous apprend que M™*" Renan et ses enfants étaient déjà rentrés à Tréguier à cette époque et que M™'' Lasbleiz, sa mère, l'y avait accompagnée au moins pour quelque temps. Elle nous renseigne encore sur une maladie du plus jeune des Renan, toujours frêle et chétif alors : (( ... La mort d'un neveu, fils aîné de ma défunte sœur, nous a plongés dans la plus vive douleur. Peu de jours après, le pauvre petit Ernest, fils de ma fille aînée et frère d'Henriette, ce petit pour lequel vous aviez tant de bontés et qui ne vous a pas oubliée, est tombé ma- lade, n a été quarante jours entre la mort et la vie, et nous sommes au cinquante-cinquième jour de sa maladie, et sa convalescence n'avance pas. Le jour, il est passablement; mais les nuits sont cruelles pour lui: agitation, fièvre, délire, voilà son état depuis 10 heures du soir jusqu'à 5 ou 6 heures du matin, et constamment tous les soirs... » Ce qui nous montre que les Renan réintégrèrent leur maison de Tréguier vers la fin de l'année 1830, après 6. 102 ERNEST RENAN l'avoir quittée à rautomme de 1828. Cette autre anec- dote, contée par Renan, semble corroborer le même fait, car elle se passe à Tréguier. A Tavènement de Louis-Philippe, on disait, bien entendu, la messe pour le nouveau roi et surtout pour sa fête. M"''' Renan alla un jour à cette messe. En s'y rendant, elle rencontra, dans le cloître de Tréguier, une dame légitimiste, M'"« D..., fort respectable per- sonne, qui lui dit avec étonnement : — Comment, Madame Renan, vous allez à la messe à Philippe?... M""" Renan lui répondit : — Mon Dieu ! Madame D..., je vais à la messe; mais si cela vous fait de la peine, je n'irai pas! Cela peint très bien, n'est-ce pas, l'esprit d'alors. La situation financière de la famille Renan ne s'était guère améliorée depuis son départ pour Lannion. Le passif laissé par le capitaine Philibert Renan dépas- sait de beaucoup la valeur de la maison paternelle de la Grand'Rue. Mais M'^'' Renan était si aimée, et toutes les affaires se traitaient encore en ce bon pays d'une manière si patriarcale, qu'aucun créancier ne songea à presser une solution. Il fut même convenu que M"^" Renan garderait la maison, payerait ce qu'elle pourrait et quand elle pourrait. A la mort de son mari, quand elle avait liquidé son commerce, elle avait loué le rez-de-chaussée et le pre- mier étage à un boulanger, pendant qu'elle se retirait aux étages supérieurs. Plus tard, elle partit pour Lan- nion... Au retour, elle préféra reprendre son petit i EN BRETAGNE. 103 commerce d'épicerie, qui semblait devoir lui rapporter plus que de simples locations. Le long malaise causé par les dettes parternelles affectait même les enfants Renan. Henriette, qui avait vingt ans, ne voulait pas entendre parler de repos, tant que ce lourd passé ne serait pas liquidé. En vue de venir en aide à sa mère, elle entreprit d'établir, dans leur vieille maison natale, une école de jeunes filles. De disposition mélancolique comme son père, qui lui laissait peu de goût pour les choses vulgaires, elle avait combiné ce projet pendant son séjour à Lannion; notons d'ailleurs qu'elle avait perfectionné son instruc- tion, qui avait été peu poussée dans les derniers temps à Tréguier. Elle y avait reçu les leçons d'une personne distinguée par le goût et les manières, qui laissa chez elle une trace profonde et un ineffaçable souvenir. Elle avait une fiévreuse ardeur pour l'étude et un grand attrait pour la lecture, et était devenue très instruite, chose rare alors pour une personne de son sexe, d'autant plus que ses connaissances étaient très variées. Mal- heureusement, la pauvre fille, modeste, même timide, et peu connue, ne réussit guère à attirer l'attention du public. On envoya fort peu d'enfants au cours d'Hen- riette Renan, et généralement on oublia de la payer. Elle continua néanmoins de tenir cette école jusqu'à son départ pour Paris. C'était une jeune fille très sérieuse et très portée pour l'étude, étudiant avec fièvre et lisant tout ce qui lui tombait sous la main. Des professeurs du petit sémi- naire de Tréguier, amis de la famille Renan, recom- 104 ERNEST RENAN mandèrent Henriette à Mgr Le Mée, évêque de Saint- Brieiic. Le prélat lui fit obtenir une situation assez avantageuse dans une maison d'éducation fondée à Paris par M"^' Guizot (1). Mais elle avait eu des débuts plus durs, et comme sous-maîtresse, dans une petite institution de demoiselles que lui avait indiquée une amie (2) de sa famille et pour laquelle elle avait quitté Tréguier, en 1835. Il ne restait donc auprès de M"^^ Philibert Renan que le jeune Ernest, dont n'avait guère pu s'occuper sa sœur Henriette. Les Frères de Lannion avaient com- mencé l'éducation du jeune Renan, elle fut continuée pendant quelque temps par ceux de Tréguier, puis sur- tout par les prêtres du collège de cette ville, comme externe, car Tenfant apprenait avec une rapidité éton- nante. Ils avaient pris l'orphelin tout enfant et ils le gardèrent jusqu'à l'âge de quinze ans. C'est donc en grande partie dans sa ville natale que se passèrent l'en- fance pauvre et la jeunesse studieuse d'Ernest Renan. M""^ Renan était fournisseur du collège de Tréguier pour l'épicerie, et plusieurs professeurs, surtout M. l'abbé Pasco, lui portaient beaucoup d'intérêt, ainsi qu'à ses enfants. Il faut dire que cette femme, digne, vaillante et pieuse, le méritait bien; elle avait conquis aussi la sympathie de toute la ville, oii Ton connaissait ses malheurs. Chaque fois que le curé de Tréguier demandait au (1) Assertion de MM. Bazouge et de Garfort (Biographie cV Er- nest Renan, 1864). (2) La famille Tallibart. EN BRETAGNE. 105 petit Ernest ce qu'il voulait être, l'enfant lui répon- dait : « Je veux être prêtre (1). » Celui-ci, convaincu enfin, le fit entrer au séminaire. Renan avait alors neuf ans passés. Cela réalisait d'ailleurs le vœu de M™^ Renan, qui désirait donner son fils à l'Eglise. (( J'étais né prêtre a priori, comme tant d'autres naissent militaires, magistrats », a dit lui-même E. Renan dans ses Souvenirs. « Le seul fait que je réussissais dans mes classes était un indice. A quoi bon si bien apprendre le latin, sinon pour l'Eglise? Un paysan voyant un jour mes dictionnaires : « Ce sont « là sans doute, me dit-il, des livres qu'on étudie « quand on doit être prêtre. » Eff"ectivement, au col- lège, tous ceux qui apprenaient quelque chose se des- tinaient à l'état ecclésiastique. » Cette éducation, dont Ernest Renan devait garder les empreintes ineffaçables, comme il conserva si bien, dans son souvenir, les moindres détails de sa vie d'écolier, il l'a définie ainsi : « Au lendemain de la Révolution de 1830, l'éducation que je reçus fut celle qui se donnait, il y a deux cents ans, dans les sociétés religieuses les plus austères. Elle n'en était pas plus mauvaise pour cela ; c'était la forte et sobre éducation, très pieuse, mais très peu jésuitique, qui forma les générations de l'ancienne France, et d'où l'on sortait à la fois si sérieux et si chrétien (2). » De cette éducation, Renan resta toujours reconnaissant (1) Léon Bouchet [Profils bretons). (2) Souvenirs d'enfance. 406 ERNEST RENAN à ses anciens maîlres, ayant toujours gardé un souvenir attendri pour ceux qui furent ses premiers précepteurs. « Ces dignes prêtres, dit-il, ont été mes premiers précepteurs spirituels, et je leur dois ce qu'il peut y avoir de bon en moi. J'ai eu depuis des maîtres autre- ment brillants et sagaces; je n'en ai pas eu de plus vé- nérables... La règle des mœurs était le point sur lequel ces bons prêtres insistaient le plus, et ils en avaient le droit par leur conduite irréprochable. Leurs sermons sur ce sujet me faisaient une impression profonde, qui a suffi à me rendre chaste toute ma vie... Mes maîtres m'enseignèrent d'ailleurs quelque chose qui valait infi- niment mieux que la critique ou la sagacité philoso- phique : ils m'apprirent l'amour de la vérité, le respect de la raison, le sérieux de la vie. Voilà la seule chose en moi qui n'ait jamais varié. Je sortis de leurs mains avec un sentiment moral tellement prêt à toutes les épreuves que la légèreté parisienne put ensuite patiner ce bijou sans l'altérer... J'ai passé treize ans de ma vie entre les mains des prêtres; je n'ai pas vu l'ombre d'un scandale : je n'ai connu que de bons prêtres... Vieux et chers maîtres, maintenant presque tous morts, dont l'image m'apparaît souvent dans mes rêves, non comme un reproche, mais comme un doux souvenir, je ne vous ai pas été aussi infidèle que vous croyez. » Dans toutes ses lettres à sa mère, le jeune sémina- riste de Saint- Nicolas- du -Chardonnet, d'Issy ou de Saint-Sulpice consacrait toujours quelques lignes à ses anciens professeurs de Tréguier. Nous allons en donner quelques extraits : EN BRETAGNE. 107 (( ... Que dirai-je à tous les professeurs de mon an- cien et cher collège, à M. Pasco, mon excellent pro- fesseur; à M. Duchône, mon bon et patient professeur de mathématiques? Dites-moi, s'il vous plait, ma chère maman, s'il se porte mieux et veuillez lui rendre les livres qu'il a à la maison. Faites de même mes compli- ments à M. Gourion, que je suis fâché de n'avoir pas vu avant mon départ; au bon M. Potier, à M. Brouster, et particulièrement à M. Delangie. Dites à ce bon mon- sieur, qui me portait tant d'intérêt, que je n'oublierai jamais tout ce qu'il a fait pour moi. N'oubliez pas le bon M. Urvoy, non plus que MM. Brémoy, Qué- men, Gourio, Stéphan. Quant à M. Auffret, ma bonne mère, remerciez-le bien pour moi de la bonté qu'il m'a toujours témoignée pendant le temps heureux que j'ai passé au collège. Dites à M. Desbois que je ferai sa commission, peut-être un peu plus tard que je ne Tau- rais voulu, mais que je n'y manquerai pas. Assurez tous ces messieurs que, quoique je ne sois plus dans leur établissement, mon cœur y sera toujours attaché... » (Première lettre d'Ernest Renan, à son entrée au sémi- naire de Saint-Nicolas-du-Chardonnet.) (1). Un autre jour, il dit encore : u Faites bien mes compliments, ma chère maman, à tous mes excellents professeurs; n'oubliez pas surtout le bon }il. Pasco, avec qui j'ai passé deux années si heureuses; M. Potier, qui, je crois, m'aimait bien, mal- gré les étouideries que j'ai commises à son égard, {{) LeLlres du Séminaire (Galinann-Lévy, 1901). 108 ERNEST RENAN quand j'étais son élève; M. Duchêne, dont j'ai tant exercé la patience. Je le prie de me pardonner toute la craie que je lui ai cassée. N'oubliez pas le bon M. Gou- rion et remerciez bien M. Auffret de toutes ses bontés pour moi... » Puis, une autre fois : (( Je suis bien content de voir que mes anciens pro- fesseurs ne m'oublient pas. Dites-moi, dans votre prochaine lettre, si M. Duchêne se porte mieux et remer- ciez M. Pasco de m'avoir donné de si bons principes qui m'ont mis en état, sinon d'être fort, du moins de me soutenir. Je vous assure que j'aime bien à penser à tous ces bons messieurs. » Ernest Renan écrivait d'Issy, le 22 février 1842 : « ... Quant à ces Messieurs du collège, je ne puis vous dire combien leur souvenir me vient fréquem- ment à l'esprit et combien je leur conserve de recon- naissance. Après Dieu et vous, ma bonne mère, il n'y a personne à qui j'en doive davantage. Si j'ai, en effet, plus de facilités que d'autres pour l'étude, c'est aux excellents principes que j'en ai reçus que je le dois. Renouvelez- leur donc l'assurance de mon sincère atta- chement (1). » La belle lettre suivante, que l'ancien séminariste, devenu professeur civil, écrivait le 3 janvier 1849 à son ancien professeur, l'abbé Pasco, à propos de la nou- velle année, nous dira toute la vive et profonde affec- tion qu'il avait conservée pour lui : (1) Lettres du Séminaire, EN BRETAGNE. 109 (c Monsieur et respectable Maître, « Je ne veux pas laisser passer l'occasion de cette nouvelle année sans vous témoigner, ainsi qu'à tous ceux qui prirent tant de soins de mon éducation , la reconnaissance que mon cœur conserve pour cet inestimable bienfait, et les souhaits que je forme pour la prospérité d'un établissement auquel je dois tout. Loin de moi cette vile ingratitude, qui pense qu'un salaire ou une récompense vulgaire peuvent récom- penser un maître de ses soins ! Il n'y a qu'un amour tout filial qui puisse dignement payer celui à qui on doit le germe de sa vie intellectuelle, morale et reli- gieuse. C'est à vous, Monsieur, c'est à tous ces excel- lents maîtres, dont le souvenir m'est si cher, que je suis redevable de ces biens appréciables ; tout ce que je suis, c'est par vous que je le suis, parce que c'est par vous que j'ai commencé à l'être. Quelle que soit la destinée que me réserve la Providence, puissent ces germes précieux, qu'elle déposa dans mon àmepardes mains si pures, ne jamais cesser d'y porter de beaux fruits! Puisse l'élève ne jamais rougir de ses maîtres au souvenir de lui-même; puissent les maîtres toujours parler de l'élève avec tendresse et orgueil ! Alors ma joie sera complète, quand je saurai que ceux dont l'estime m'est précieuse et chère consentent encore à m'aimer et à m'appeler leur fils. « Ah I si jamais Dieu me donne de réaliser un beau caractère, comme j'aimerai à leur en faire hommage ! Leur souvenir sera mon soutien à travers les épreuves ! Puisse un jour leur approbation être ma récompense! 7 no ERNEST RENAN « Oserai-je vous prier, Monsieur, de présenter à tous mes anciens maîtres, et spécialement à Monsieur le Principal, et à M. Pothier, l'assurance des mêmes sen- timents respectueux et l'expression des souhaits que je forme pour leur bonheur. « Pour vous, Monsieur, vous savez tout ce qu'il y a de tendresse et de respect pour son ancien maître dans le cœur de votre élève et enfant tout affectionné. « E. Renan. » On le voit, c'est grâce à ses vieux maîtres que Tillustre Trécorrois ne connut que le côté noble et désintéressé de l'existence. Ces premières impressions ne s'effacèrent jamais de son esprit. Quand il revint à Tréguier en 1884, il parla encore et publiquement, en termes touchants, de ses anciens professeurs, comme il l'a fait maintes fois, d'ailleurs : (( ... Et mes excellents maîtres, à qui je dois tout ce qu'il y a de meilleur en moi... Un seul d'entre eux, je crois, et des plus méritants, vit encore. M. Pothier et M. Duchesne, qui m'apprirent les deux choses qui m'ont été les plus utiles, le latin et les mathématiques; M. Pasco, si plein de bonté; M. Auffret, le principal, qui me fit comprendre ce que peut avoir de charme austère une vie grave, consacrée à la raison et au devoir, tous ces hommes excellents ne sont plus. Ils ont disparu après avoir fait le bien et compté dans une tradition de sérieux et de vertu (1). » On comprend donc que ses professeurs lui témoi- (1) Discours de Senan à Tréguier. EN BRETAGNE. 111 gnèrent une affection particulière ; il y eut réciprocité de sentiments de la part des anciens maîtres d'Ernest Renan, qui aussi, la plupart d'entre eux, gardèrent de lui d'excellents souvenirs. Ainsi, un jour de 1843, M. l'abbé Gourion alla voir M"'^ Renan pour lui pro- poser une occasion pour Paris; elle l'écrit à Ernest : « ... Comme il m'a consolée I Dites à Ernest, me dit- il, combien je l'aime, combien je suis pressé de le voir. Lui aussi a eu de rudes épreuves, pauvre Monsieur, comme il est bon ! » (.(. Ecrivez à Ernest, disait encore un jour M. l'abbé Pasco à M™® Renan; il est appelé au sacerdoce, je l'ai toujours pensé. Comment lui direz-vous combien je l'aime I Oh I il le sait bien, dites à Ernest que je suis et que je serai toujours son véritable ami. )> (Lettre de M"^" Renan, du 4 mai 1843.) Il en restait encore un naguère à Plouha (Côtes-du- Nord). Il était bien vieux et il se souvenait avec grand'peine; mais ce vieillard était attendri jusqu'aux larmes au seul nom de l'ancien séminariste : « Ce petit Ernest, comme nous l'aimions! Nous avions placé sur sa tête des espérances, et nous aurions fait de lui un bon professeur (1)... » Comme il était bon élève et bon chrétien, un autre de ses anciens maîtres n'a trouvé que ces mots pour le caractériser : « Doux, prévenant, affectueux, modeste et réservé. » (I) N. Quellien {Revue encyclopédique Larousse). C'était M. l'abbc Gourio, décédé le 29 décembre 1886, à Tàgc de 83 ans. ii2 ËRNÉSt RENAK La vie d'Ernest Renan au collège de Tréguier est la partie la moins connue et aussi la non moins intéres- sante de sa vie bretonne. Même l'un des titres qui lui plaisait le plus , c'était celui d' « ancien élève du collège de Tréguier », que l'on a inscrit aussi au-dessous de son nom, sur la plaque de sa maison natale. Cette importante école religieuse de Bretagne fut appelée indifféremment : Collège, Ecole ecclésiastique, Petit Séminaire. Au temps oii Renan était écolier (1832- 1838), elle portait le nom officiel à' Ecole ecclésiastique de Tréguier, et fut approuvée par ordonnance royale de 1816; ses règlements furent approuvés par le grand maître de l'Université d'alors, M. de Fontanes. L'ancien séminaire diocésain, où est actuellement le collège, fut acheté en 1821, à M. Caro, par l'Ecole ecclé- siastique. La chapelle datait de 1648 et était telle au temps de Renan que jadis, et pareille qu'au temps de la Révolution. D'après les lois de 1828, tous les élèves des écoles ecclésiastiques devaient être internes, mais, grâce aux réclamations de la ville, on était parvenu à maintenir l'externat jusqu'en 1843, — car l'externat devenant de plus en plus nombreux, la ville y trouvait son avan- tage, ainsi que nous le verrons plus loin. Le règlement d'alors de l'Ecole ecclésiastique de Tréguier disait, entre autres : « L'Ecole sera établie afin de former des élèves pour l'état ecclésiastique. On recevra autant que possible les élèves comme pensionnaires dans la maison, et Ton EN BRETAGNE. il3 surveillera les externes dans les pensionnats désignés pour les recevoir. » Les plus beaux noms de la région ont puisé la science dans cet établissement, très renommé pendant tout le xix^ siècle, et que ses anciens élèves appelaient « l'Athé- née breton »; à leurs côtés, des jeunes gens d'une ori- gine plus modeste ont rivalisé avec eux pour les palmes vivement disputées, tels les Renan, les Liart, les Guyo- mar, etc. De ce temps, les maîtres n'avaient pour honoraires que leurs traitements de vicaires, mais le collège se chargeait de leur pension et de leur entretien. Les internes payaient dans les 300 livres de pension, et les externes 19 livres comme frais de classe (1). Mais bien souvent le collège faisait de grandes remises, sui- vant l'état de fortune des familles, et il recevait même un assez grand nombre d'élèves pour rien. Ce prix très réduit concédé aux externes permettait aux élèves de la ville de Tréguier de faire leurs humanités à peu de frais; aussi l'on y a compté jusqu'à quarante élèves de cette petite ville. Il nous faut faire remarquer quelle était alors la vie des « externes » de Tréguier. Pour eux, la vie de collège, c'était la vie de famille continuée loin de la maison (1) En 1822, le pensionnat rapportait de G, 000 à 7,000 francs, et Texternat 5,000 francs. Ces chiffres disent eux-mêmes toute l'importance dalors de cette grande école ecclésiastique, très en renom en Bretagne. Le collège achetait chaque année pour envi- ron 1,200 francs de froment, de 700 à 800 francs de viande et de 300 à 400 francs d'épices (celles-ci chez .Mi^^* Renan). 114 ERNEST RENAN paternelle. Le règlement dit qu'ils vivaient dans des « pensionnats » de la ville. Ce n'était autre que des « pen- sions de famille », — comme qui dirait aujourd'hui des famihj house anglais, — et tenues par des particuliers de Tréguier. Ernest Renan avait plusieurs de ses condis- ciples dans une maison de la Grand'Rue voisine de la sienne. De son temps, il y avait assez peu d'internes — une cinquantaine environ — et presque tous les élèves étrangers à Tréguier vivaient dans ces pensions de famille. Leurs parents de la campagne leur apportaient leurs petites provisions, surtout le pain; ils y ajou- taient une petite somme, en échange de l'hospitalité qu'ils recevaient. Ils venaient de temps en temps les voir et s'informer de leur conduite. Pour les enfants, c'était comme une nouvelle famille, et les relations les plus intimes s'étendaient ainsi entre la ville et la cam- pagne, comme les habitants de la ville s'attachaient par le fait au collège, puisque chaque a pension » répondait des élèves qui lui étaient confiés. E. Renan s'est souvenu d'un trait de vie scolaire qui montre combien les mœurs de cette jeunesse, pourtant livrée à elle-même, étaient à l'abri de tout reproche. Nous tenons à le citer, à plus d'un titre : « La maîtresse de cette maison voisine, où j'avais plusieurs condisciples, courageuse femme s'il en fût, vint à mourir. Son mari avait aussi peu de tête que possible, et le peu qu'il en avait, il le perdait tous les soirs dans les pots de cidre. « Une petite servante, une enfant extrêmement sage, EN BRETAGNE. llo sauva la situation. Les jeunes étudiants résolurent de la seconder; la maison continua de marcher, nonobs- tant le vieil ivrogne. J'entendais toujours mes cama- rades parler avec une rare estime de celte petite ser- vante, qui était en effet un modèle de vertu et joignait à cela la figure la plus agréable et la plus douce (1). » Ces externes allaient à la fois aux offices de la cathé- drale et à ceux de la chapelle du collège. La grand'- messe au collège était toujours à huit heures et demie. Les externes y assistaient comme les internes, pour les tirer par là du danger trop fréquent où sont les jeunes gens de profaner ce jour, quand ils sont éloignés de leurs parents et abandonnés à eux-mêmes. Il y avait à cette messe solennelle toujours « une instruction fami- lière pour les porter à la vertu et les préserver du vice », disait une note du supérieur d'alors. Cette heure permettait aux élèves d'assister ensuite à la grand'messe de la cathédrale. Le jeune Ernest Renan était tellement songeur que, même durant ces offices de la cathédrale, il tombait dans de véritables rêves; son œil errait aux voûtes, y lisant il ne savait quoi, « pensant aussi à la célébrité des grands hommes dont parlent les livres». Ce sont sans doute ces dis- tractions poétiques et profanes du jeune écolier qui valurent à Ernest Renan les notes d' « indifférent » à l'église lorsqu'il était en cinquième, ou celles de sixième : « ne parait pas avoir grande piété ». Pourtant, (1) Souveîiirs dC enfance. 416 ERNEST RENAN l'on sait combien fut grande plus tard sa piété, et comment, un peu mystique et silencieux, il aimait à prier surtout dans la solitude. Ses adorations étaient surtout contemplatives et il aimait à aller, le soir, se fau- filer dans la sombre cathédrale pour y faire ses dévo- tions, de préférence, à l'heure délicieuse où le silence succède au bruit du jour. D'ailleurs, chaque matin, en arrivant au collège, Ernest faisait une visite quoti- dienne à la chapelle et se dirigeait le plus tard possible vers le lieu de récréation, pour se rendre en rang à l'église — où les élèves réunis entendaient la messe chaque matin. Lorsqu'il jouait chez lui, enfant, c'était le plus sou- vent à dire la messe ou à prêcher devant sa mère et les domestiques de la maison, qui l'écoutaient ravies. On lui avait confectionné des ornements de toile, au lieu de ceux en papier qu'avaient ses petits voisins ; et lors- qu'il faisait ainsi le simulacre d'officier, il était tou- jours grave, recueilli, malgré les plaisanteries de cer- tains de ses camarades. Il aurait été prêtre, qu'il n'eût pas été plus calme, ni plus recueilli. Les jeunes Tré- corrois d'alors s'amusaient à élever de petits oratoires à la Vierge ou à l'Enfant Jésus. Cette coutume s'est per- pétuée parmi les tout jeunes enfants des campagnes bretonnes. Comme les autres, Ernest Renan avait son oratoire; mais, modeste lui-même et de toute simplicité, il n'y avait mis ni fleurs, ni dentelles... Même sa ferveur, les dispositions manifestées pen- dant ses communions lui valurent au collège de pieuses distinctions. EN BRETAGNE. 117 Le 2 février 1837, jour de la Purification, il fut admis dans la Congrégation de la Sainte-Vierge. Voici l'acte de consécration qu'il écrivit lui-même sur les registres de la Congrégation : « Moi, Ernest-Joseph Renan, je vous choisis aujour- d'hui pour ma Reine, ma Patronne. Ma protectrice auprès de Dieu, ma glorieuse Mère, je prends la réso- lution fixe et le ferme propos de ne jamais abandonner votre culte, les intérêts de votre gloire pendant toute ma vie, spécialement de ne jamais rien dire, rien faire contre vous, ni permettre que ceux qui dépendent de moi donnent, par leurs exemples ou leurs discours, la plus légère atteinte aux honneurs et aux hommages qui vous sont dus à tant de titres. (( Ernest Renan. » Après avoir été membre de la Congrégation pendant quelque temps, le jeune Renan fut nommé assistant (1), grade qui précède immédiatement celui de président. Puis on chargea l'élève pieux des fonctions de céré- moniaire, emploi qui consistait à veiller au service de l'autel et à diriger la marche des thuriféraires dans les processions (2)... Dans le livre Le Collège de Tréguier, il est dit, à propos d'Ernest Renan : « Il a dû commencer son cours (1) A ce sujet, on lit dans l'Histoire du Collège de Tréguier, de M. l'abbé France, cette remarque : « 11 (Renan) a dans ses ouvrages nié la divinité de Jésus-Christ, mais il ne s'est pas attaque directement du moins à la Sainte Vierge. )^ (2) Sou dernier confesseur à Tréguior fut M. l'abbé Le Borgne. 7. 118 ERNEST RENAN en leçons particulières, puisque nous ne le voyons parmi les autres élèves qu'à partir de la sixième. Il n'a donc fait régulièrement que trois classes au collège de Tréguier. » Cette assertion est erronée et nous tenons à la signaler, car elle annule une date à noter dans la vie d'écolier du célèbre écrivain. Après quelques premières études chez les Frères de Lamennais, qui avaient alors leurs classes dans les bâti- ments de l'ancien séminaire de Tréguier, Ernest Renan entra comme externe au collège ecclésiastique de sa ville natale — oii son frère Alain avait fait lui-même, précédemment, d'excellentes études. C'était à la rentrée scolaire de 1832-1833. Le Conseil d'administration de ce collège était ainsi composé : MM. Durand (d'Yvias), curé de Tréguier; de Brémoy, maire de Tréguier; Auffret(l), supérieur; l'abbé Urvoy, professeur (2), secrétaire. Jusqu'ici, on savait peu de chose des années d'études d'Ernest Renan, de ses notes de classe et d'études. (1) M. le chanoine Aufîret (de Kergal en Plouha) fut supérieur du collège de Tréguier de 1818 à 1841, après y avoir été profes- seur de philosophie. C'était un homme de devoir et de travail opiniâtre, ayant un jugement sûr et un esprit très vif, s'occupant beaucoup de sciences physiques. Il traduisit en breton le Caté- chisme de son ami Mgr Le Mée, évêque de Saint-Brieuc, qui en fit son vicaire général en 1841. (2) Le professeur Urvoy, de Saint-Donan, était poète et musi- cien ; il chantait au lutrin ; ses élèves l'avaient surnommé le Bonhomme Doustadic, autrement dit le bonhomme « Douce- ment », parce qu'il avait le parler d'une tourterelle et la démarche d'une souris. Ses élèves disaient même qu'il aurait pu marcher sur des œufs sans les casser. EN BRETAGNE. 119 comme de ses prix scolaires; car ceux qui détiennent les documents le concernant se font une gloire de les dérober à l'histoire. Pourtant, ces documents dont ils sont détenteurs appartiennent désormais a l'histoire comme à la biographie de celui qui est bien le plus illustre élève du petit séminaire de Tréguier. Ces notes de classe de l'élève Ernest Renan sont donc entièrement inédites, et nous serons le premier à les publier entières. Nous y joignons tous ses palmarès, aussi inédits. Tous ces précieux documents de la stu- dieuse vie scolaire de Renan ne pourront qu'intéresser la jeunesse française, car ils sont à la fois un ensei- gnement et un exemple. Ne rappelleront-ils pas, en effet, les modestes débuts du petit « Ernestic » Renan, son opiniâtre labeur d'élève studieux, ses luttes conti- nuelles et victorieuses dans ses classes de latin et aussi de mathématiques, avec des émules, également bien doués, mais généralement plus âgés que lui, et dont il se fit des amis intimes; comme ils constateront encore les succès qui devaient être la juste récompense de cet écolier modèle. 120 ERNEST RENAN NOTES DE CLASSE D'ERNEST RENAN AU Collège de Tréguier (1). Année scolaire 1832-1833. — Classe de huitième. Régent : M. Brouster, prêtre. Conduite à l'église : bonne, arrivant lard. — en classe : remuant, mais attentif. Devoirs : soignés. Leçons : assez bien apprises. Préparation des auteurs : exact. PLACES OBTENUES DANS LES COMPOSITIONS, SUR 17 ÉLÈVES : Orthographe et grammaire : 6% 4% 1®^ 7% 5% 1*^% 3^ Caractère : bon et doux. Santé : » Punitions graves : » (1) Tous documents inédits. EN BRETAGNE. 121 Année scolaire 1833-1834. — Classe de septième. Régent : M. Matlmrin Potier, pnHre. Conduite à l'église : bonne; il arrive souvent tard. Assez bonne, mais il se rend souvent tard à la messe (1). Conduite en classe : bien. Devoirs : très bien. Leçons : très bien. Préparation des auteurs : très bien. PLACES DES COMPOSITIONS, SUR 22 ÉLÈVES '. Thème : l^^ 2% l^'', V% 1^', 1". Version latine : 1", 2% 2^, 2% 1^% 3^ Histoire : 2^, 3^ Grammaire : l^S 1"', 2^, 1«% 2^. Caractère : excellent. Santé : bonne. Punitions graves : aucune. Observations : travail, douceur, application. (1) Note du second semestre. 1 22 ERNEST RENAN Année scolaire 1834-1835. — Classe de sixième. Régent : M. Mathurin Potier, prêtre. Conduite à l'église : souvent distrait; ne parait pas avoir grande piété. Conduite en classe : bien; un peu Uger. Devoirs : très bien. Leçons : très bien. Préparation des auteurs : très bien. k. PLACES DES COMPOSITIONS, SUR 22 ÉLÈVES '. Thème : \^\ i*^% 2°, 1"^^ Version latine : 4% 1-^% l^r, 1<^% i'\ Grammaire : 1«% 1<^S l'^S l•^^ Histoire : 2^ Version grecque : 3% 2^ 1", 1", 7^, i'\ 1^% 2«, l^S 2^ Caractère : excellent. Santé : bonne. Punitions graves : » Jl EN BRETAGNE. 123 Année scolaire 1835-1836. — Classe de cinquième. Régent : M. Mathurin Potier, prêtre. Conduite à Téglise : indifférent. — en classe : bien; très bien. Devoirs : très bien; très bien. Leçons : très bien; très bien. Préparation des auteurs : très bien; très bien. PLACES DES COMPOSITIONS, SUR 16 ÉLÈVES '. Thème : i'', i^\ V'. Version latine : 1'^^ 1^% l^''. Histoire : 5°, 1", i^^ 4°. Grammaire : 2«, 1", 1^^ Caractère : bon. Santé : bonne. Punitions graves : » 124 ERNEST RENAN Année scolaire 1836-1837. — Classe de quatrième. Régent : M. L.-M. Pasco, prêtre. Conduite à l'église : bonne; très bonne. — en classe : très bonne; très bonne. Devoirs : très bien; très bien. Leçons : très bien; très bien. Préparation des auteurs : très bien; très bien. PLACES DES COMPOSITIONS, SUR 18 ÉLÈVES : Thème : l^S 2% 2^ Version latine : 3% l•^^ 2^ Vers latins : 1"", l^^'. Version grecque : 1". Mathématiques (géométrie) : 2% 3% 2% 2% l^^ 2«, 2e(l). Caractère : très bien, très aimable. Santé : » Punitions graves : » (1) En quatrième, seuls les élèves Renan et Le Goff faisaient de la géométrie; les autres étudiaient l'arithmétique. EN BRETAGNE. 125 Année scolaire 1837-1838. — Classe de troisième. Kégent : M. L.-M. Pasco, prêtre. Conduite à l'église : édifiante; édifiante. — en classe : très bien; très bien. Devoirs : très bien; très bien. Leçons : très bien; très bien. Préparation des auteurs : très bien; très bien. PLACES DES COMPOSITIOxNS, SUR 14 ÉLÈVES I Thème : 1", i'\ 1", 1". Version latine : 1^% 2% 1^% 1^^ Vers latins : 1", 1", 1", 1^'". Version grecque : 2^, 1". Histoire : 1". Mathématiques : 1", 1", 1", 2% 2^ Caractère : très bien; très bien. Observations : élève recommandable par son applica- tion et sa bonne conduite (1). (1) Celte note est de M. l'abbé Pasco; et, dans cette classe de Iroisièine, il n'y a d'observations pour aucun autre élève. d26 ERNEST RENAN Faisons remarquer qu'en huitième et septième, le jeune Ernest Renan avait pour principal émule Jean- Baptiste André, de Pleubian, qui, en 1834, passa de septième en cinquième, où il se montra même assez bon élève. C'est même à partir de la septième jusqu'à la fin de ses études à Tréguier qu'Ernest Renan eut aussi pour camarade et rival de classe Julien Guillerm — juste- ment le père du maire actuel de Tréguier, M. Jules Guillerm, qui a fait ériger une statue au brillant cama- rade de son ancêtre. Renan avait encore un autre camarade trécorrois, alors en huitième, Gélestin Soisbault, qui fut plus tard pharmacien à Tréguier; il resta toujours l'ami d'Ernest Renan et fut aussi son intermédiaire dévoué dans les œuvres de philanthropie locale de celui-ci. Signalons alors, en cinquième, Guillaume Gorlouer, père du fondateur de la station balnéaire de Port-Blanc. Plus tard, ce séminariste fit comme Ernest Renan, puisque, après avoir été abbé, il rentra dans le monde et se fit négociant dans la rue Saint-François, à Tré- guier, (( où il est mort entouré de l'estime de toute la ville » — ajoute l'historien du Collège de Tréguier. Mais pourquoi ce même auteur ne parle-t-il pas en d'aussi excellents termes de l'autre ancien séminariste, devenu plus célèbre et qui est la première gloire de sa ville natale?... Quand il était lui-même en cinquième, où il fut le premier de son cours, quoique n'ayant que douze ans^, il avait pour camarade un autre externe, François Liart, EN BRETAGNE. 127 de Ploiiguiel, qui devint un de ses plus intimes amis et aussi son digne émule dans les classes les plus élevées. C'est alors qu'il commença aussi à suivre le cours de mathématiques de M. l'abbé Duchêne (1). Il y a de forts concurrents, tous élèves de seconde, ou son autre cama- rade et futur grand ami, Fiacre Guyomar, de la classe de quatrième, par conséquent tous plus avancés dans leurs études et plus âgés que lui. Le jeune Renan em- porte néanmoins le second prix. Notons encore que, étant en quatrième, Ernest Renan obtint le prix de ma- thématiques, surpassant son ami Guyomar, qui n'eut que le second prix, quoique étant de la classe de troisième. Les professeurs d'Ernest Renan furent : MM. Brouster, en huitième; puis Potier, à la fois en septième, sixième et cinquième; enfin M. Pasco (2), en quatrième et troisième. Parmi les autres profes- seurs et maîtres du petit séminaire, avec lesquels il était lié, citons MM. le principal Auffret, le censeur des (1) M. l'abbé Jean Duchêne (de Pordic) fut longtemps profes- seur de mathématiques au collège de Tréguier, où son enseigne- ment eut une certaine vogue. Il est mort curé de Plouagat- Chàtelaudren. (2^ Le professeur Louis Pasco était de Cadelac, près Loudéac. Il avait une voix tonnante et des inflexions à la Démosthènc; il se prodiguait à l'extérieur et sa compagnie était très recherchée en ville et dans les châteaux voisins. A Tréguier, il voyait la famille Renan, où le collège prenait ses fournitures, et il s'at- tacha vivement au jeune Ernest, qui fut plus tard son élève et qui lui écrivait assez souvent des lettres très affectueuses. Nous en publions une. La tombe de M. Pasco est dans le cloître des religieuses hospitalières de Tréguier. 128 ERNEST RENAN études et surveillant des externes; Gourion, Urvoy, Brouster (1), Gourio (2), Delangle (3), Quement, Sté- phan (4), Desbois, etc. S'il était le bon camarade et le collégien modèle, Ernest Renan était aussi le plus studieux des élèves ; autant il était distrait parfois aux offices religieux, au- tant il se montrait attentif et sérieux en classe. Ce qui pouvait faire bien augurer des beaux succès scolaires qu'il remporta. Dès la huitième, il obtint le second prix de version latine; en septième, il remporta les premiers prix de mémoire, de version latine, de thème, d'histoire et celui d'excellence, plus le second prix de grammaire fran- çaise. En sixième, Renan a sept prix : ceux de mé- (1) L'abbé Brouster, professeur de huitième, était l'auteur d'une GramuDaire française, rivale de celle de Noël et Ghapsal ; d'un Traité d'arithmétique, puis d'une Histoire de Bretagne, aujourd'hui introuvable. On lui avait donné le sobriquet de Père Entrefaites , car tous les paragraphes de son Histoire de Bretagne commençaient invariablement par cette formule tran- sitoire : « Sur ces entrefaites... ». (2) L'abbé Thomas Gourio (de Pommerit-Jaudy), professeur de seconde, est l'auteur de plusieurs ouvrages classiques : une Géographie ancienne et moderne, une Philosophie, un Cours d'histoire complet, une Vie des Saints et surtout une Grammaire comparée. (3) De la grande famille des Boscher-Delangle, de Loudéac, H était né à Saint-Thélo, devint supérieur du petit séminaire de Tréguier et le réorganisa. U est mort en 1863. (4) Né à Cohiniac. Homme positif et saint prêtre; était sur- nommé Jea7i le Sec par les élèves. L'abbé Stéphan est mort curé de Ghâtelaudren, après avoir été choisi antérieurement pour fonder le collège ecclésiastique de Guingamp. EN BRETAGNE. 129 moire, de version latine, de thème, de version grecque, de grammaire française et d'excellence, plus le second prix d'histoire. Il continue à bien travailler en cin- quième, et en est récompensé par les premiers prix de mémoire, de version latine, de thème, de grammaire française, d'histoire et de géographie, puis celui d'ex- cellence; cependant il n'obtint que le premier accessit de version grecque. Cette année-là, il eut encore le second prix de mathématiques, auxquelles il s'adonnait beaucoup. Ce sont encore sept autres prix qu'il gagne dans la classe de quatrième : ceux de thème, de version latine, de version grecque {ex œquo avec son ami Liart), d'his- toire et de géographie, de géométrie, le prix d'excel- lence, puis le second prix de vers latins. Mais c'est en troisième que le brillant élève devait se mettre hors pair, comme c'est dans cette même année 1837-1838 qu'Ernest Renan devait remporter son plus grand succès d'écolier. Il en parle lui-même dans ses Souve- nirs d'enfance : « En cette année de 1838, dit-il, j'obtins justement tous les prix de ma classe. » C'était vrai. Afin de mieux faire voir quels prix obtint et quels progrès successifs fit l'élève Ernest Renan, pendant son séjour au collège de Tréguier, nous avons la bonne fortune de pouvoir publier in extenso tous les palmarès du futur membre de l'Académie française et de l'Aca- démie des Inscriptions et Belles-Lettres. C'est la pre- mière fois que ces documents sont publiés : 130 Ernest rënan ÉCOLE ECCLÉSIASTIQUE DE TRÉGUIER DISTRIBUTION SOLENNELLE DES PRIX Faite par M. (1), le 11 août 1833. SÉRIE LITTÉRAIRE HUITIÈME (ou CLASSE PRÉPARATOIRE) Mémoire. Prix. Jean-Baptiste André, de Pleubian, et Jean- Baptiste Landouar, de Plouaret. 1er Ace. Jean-François Langlois, de Pleubian. 2e — Jean-Louis Poulouin, de Pléguien, et Yves Briand, de La Roche-Derrien. 3e — Julien Guillerm, de La Roche-Derrien, et Ernest Renan, de Tréguier. Thème. 1er Prix. Jean-Baptiste André. 2e — Jean-Louis Poulouin. ler Ace. Ernest Renan. 2e — Yves Briand. 3e — Henri Moreau, de Pleubian. A excellé pendant l'année : Jean-Baptiste André. (1) Le nom du président ne figure pas à ce palmarès. EX BRETAGNE. 434 Version latine. 1er Prix. Jean-Baptiste André. 2e — Ernest Renan. ler Ace. Pierre Allain, de Bégard. 2e — Le Goaster, de Pontrieux. 3e — François Langlois. A excellé pendant l'année : Jean-Baptiste André. Orthographe et analyse. 1er Prix, , Henri Moreau. 2e Jean-Baptiste André. 4er ACC. François Langlois. 2e Pierre Allain. 3e — Pierre Boulard, de Pleumeur-Gautier. Excelle7ice. Prix. Jean-Baptiste André. 1er \cC. Ernest Renan. 2e François Langlois et Henri Moreau. 3e — Pierre Allain. Ont obtenu des croix pendant l'année : 9f Jean-Baptiste André. 5t Ernest Renan. 4f Pierre Allain. 2t François Langlois. 2t Jean-Louis Poulouin. If Henri Moreau. If Julien Le Huérou. If Julien Berhet. 132 èrKest rënaN Sagesse et application. (Pour les jeunes.) Prix. François Burel. Access. Jean-Louis Turquet de Beauregard, Auguste Le Blanc, Toussaint Tilly, Pierre-Marie Le Goaster, de septième, et Ernest Renan, de huitième. EN BRETAGNE. 433 ÉCOLE ECCLÉSIASTIQUE DE TRÉGUIER DISTRIBUTION SOLENNELLE DES PRIX Faite par Monseigneur l'Evèque, le 11 août 1834. SEPTIEME Mémoire. Prix. Ernest Renan, de Tréguier. l^'" Acn. A'ves Briand, de La Roche-Derrien, et Jean- Baptiste André, de Pleubian. 2« — Jean-Baptiste Landouar, de Plouaret. 3*^ — Jean-BapListe Pezron, de Penvenan; Julien Guillerm, de La Roche-Derrien, et Auguste \iet-Villeneuve, de La Motte. Version latine. 1er Pi^ix. Ernest Renan. 2^ — Yves Briand. l^"" Ace. Jean-Baptiste André. 2e — Jean-Marie Conan, de La Roche-Derrien. 3e — Jean-Baptiste Landouar. A excellé pendant l'année : Ernest Renan. Thème. 1er Prix. Jean-Baptiste André et Ernest Renan. 8 134 ERNEST RENAN 2^ Prix. Henri Moreau et Jean-Louis Poulouin, de Pléguien. l^^' Ace. Yves Briand. ^e — Julien Guillerm. 3^ — Guillaume Le Goff, de Pommerit-Jaudy. A excellé pendant Tannée : Ernest Renan. Grammaire française. {er Prix. Jean-Baptiste x\ndré. 2e — Ernest Renan. ler Ace. Henri Moreau. 2e — François Langlois. 3'^ — Jean-Marie Gonan. Ont excellé pendant Tannée : Ernest Renan et Jean-Baptiste André. Histoire. 1er Prix Ernest Renan. 2e — François Langlois. ler Ace. Jean-Baptiste André. 2e — Henri Moreau. 3e — Jean-Baptiste Landouar. A( îxcellé pendant Tannée : Jean Excellence. -Baptiste André Prix. Ernest Renan. 1er Ace. Jean-Baptiste André. • 2'^ — Yves Briand. 3e : — Henri Moreau. EN BRETAGNE. 135 Ont obtenu des croix pendant Vannée : lOf Ernest Renan (1). 6t2* (2) Jean-Baptiste André. If Yves Briand. if Jean-Louis Poulouin. (1) Ernest Renan ne figure pas, cette année-là, aux prix de Sagesse et application du collège. (2) Le signe * indique les croix d'histoire. 136 ERNEST RENAN ÉCOLE ECCLÉSIASTIQUE DE TRÉGUIER DISTRIBUTION SOLENNELLE DES PRIX Faite par M. l'abbé Sougniard, vicaire général du diocèse, le 12 août 1835. SIXIEME Mémoire. Prix. Ernest Renan, de Tréguier. 1er ^cc, François Langlois, de Pleiibian. 2^ — Guillaume Le Goff, de Pommerit-Jaudy, et Yves Briand, de La Roche-Derrien. 3^ — Henri Moreau, de Pleubian. Version latine. lei- Prix. Ernest Renan. 2^ — Jean-Marie Conan, de La Roche-Derrien. 1^'* Ace. François Langlois. 2e — Julien Guillerm, de La Roche-Derrien. 3e — Yves Briand. A excellé pendant l'année : Ernest Renan. Thème. 1er ppix. Ernest Renan. 2*^ — Yves Briand. EN BRETAGNE. 1er Ace. François Langiois. ^e — Henri Moreau. 3' — Guillaume Le Goff. i37 A excellé pendant l'année : Ernest Renan. Verst07î grecque. V^ Prix. Ernest Renan. 9e — . François Langiois. 1^1" Ace. Guillaume Le Goff. 2^ — François Gautier, de Pleumeur-Gautier. 3^^ — Henri Le Nepvou de Carfort, de Saint-Brieuc, et Auguste Viet-Villeneuve (l), de La Motte. A excellé pendant l'année : Ernest Renan. Grammaire française. l^'- Prix. Ernest Renan. 2^ — Henri Moreau. 1®^' Ace. François Langiois. "2^ — Julien Guillerm. 3° _ Yves Briand. A excellé pendant l'année : Ernest Renan, Histoire. 1er Prix. François Langiois. 2e — Ernest Renan. (!' D'une grande famille de Loudéac, qui a donné un éniinent préfet au dép.irtement des Côtes-du-Nord. 8. 138 ERNEST RENAN 1er Acc. Henri Moreau. 2e — Yves Briand. 3e __ Jean-Baptiste Landoiiar, de Ploiiaret, et Jean- Louis Poulouin, de Pléguien. A excellé pendant l'année : Ernest Renan. Excellence. Prix. Ernest Renan. 1er ACC. François Langlois. 2e — Yves Briand. 3e — Henri Moreau. Ont obtenu des croix dans l'année : U^V * Ernest Renan (1). 3t Guillaume Le GofF. 2t François Langlois. 2t Jean-Louis Poulouin. If Henri Moreau. 1* Jean-Baptiste Landouar. (1) E. Renan n'est pas nommé pour les prix de Sagesse et application. EN BRETAGNE. 139 ÉCOLE ECCLÉSIASTIQUE DE TRÉGUIER DISTRIBUTION SOLENNELLE DES PRIX Faite par M. l'abbé Sorgxiard, vicaire général du diocèse, le II août 1836. CINQUIÈME Mémoire. Prix. Ernest Renan, de Tréguier. l^'" Ace. Guillaume Le Goff (major), de Minihy-Tréguier. 2*^ — Jean Le Pennée, de Tréguier. 3*^ — Henri Moreau, de Pleubian. Ve7'sion latine. 1" Prix. Ernest Renan. S'î — Jean-Marie Conan, de La Roche-Derrien, l®'" Ace. Julien Guillerm, de La Roche-Derrien. 2^ — Guillaume Le Goff (major). 3e — Pp Liart, de Plouguiel. A excellé pendant l'année : Ernest Renan. Thème. l^'' Prix. Ernest Renan. 2® — Henri Moreau. \^^ Ace. Julien Guillerm. 2*^ — Jean-Baptiste Landouar, de Plouaret. 3^ — François Liart. A excellé pendant l'année : Ernest Renan. 14 D Ernest renan Ve7'sion grecque. 1er Prix Jean-Marie Conan. 2e — Guillaume Le GofF (minor) Jaudy. de Pommerit- 1er Ace. Ernest Renan. 2e — Henri Le Nepvou de Carfort, de Saint-Brieuc. 3« — Fr. Le Grand, de Minihy-Tréguier. A excellé pendant l'année : Ernest Renan. Grammaire française. 1er Prix. Ernest Renan. 2e — Julien Guillerm. 1er Ace. Jean-Marie Conan. 2e — Henri Moreau. 3*^ — Guillaume Le Goff (major). A excellé pendant l'année : Ernest Renan. Histoire et Géographie, 1er Prix. Ernest Renan. 2e — Guillaume Le GofF (major). 1er Ace. Jean-Marie Conan. 2« — Julien Guillerm. 3^ — Guillaume Le Goff (minor). A excellé pendant l'année : Ernest Renan. Excellence. Pri x. Ernest Renan. 1er Ace. Henri Moreau. 2*^ — Jean-Marie Conan. 3« — Julien Guillerm. EN BRETAGNE. m Ont obtenu des croix pendant Vannée : llf2* Ernest Renan. Sfl* Henri Moreau. Ifl* Julien Guillerm. If Jean-Marie Conan. If Guillaume Le GofF (major). Se sont distingués par leur application et leur bonne conduite : Ernest Renan, Guillaume Le Goff (major) et Fr. Gaultier, SÉRIE MATUÉMATIQUE Arithmétique. i^^ Prix. Edmond Barbanson et Fiacre Guyomar. 2*^ — Ernest Renan. 1^'" Âcc. Pierre Gouronnec. 2*^ — Guillaume Le GofT (jeune). S'^ — Yves Razavet. Excellence. Prix. Edmond Barbanson. l'^'" Acc. Fiacre Guyomar. 2*^ — ■ Pierre Gouronnec. 3*^ — Ernest Renan. Ont obtenu des croix prndant l'année : Af Edmond Barbanson. 2t Fiacre Guyomar. If Guillaume Le Goff (jeune). 142 ERNEST RENAN ÉCOLE ECCLÉSIASTIQUE DE TRÉGUIER DISTRIBUTION SOLENNELLE DES PRIX Faite par Monseigneur l'Évêque (1), le 9 août 1837. QUATRIÈME Mémoire. Prix. François Liart, de Plouguiel. l^"" Ace. Ernest Renan, de Tréguier. 2*^ — Jean-Baptiste Landouar, de Plouaret. 3^ — Jean Le Pennée, de Tréguier, et Pierre Lissil- lour, de Perros-Guirec. Thème. 1" Prix. Ernest Renan. 2® — François Liart. l^i" Ace. Jean-Baptiste Landouar. 2^ — Pierre Le Quellec, de Servel, et Henri Le Nepvou de Garfort, de Saint-Brieuc (2). 3e — pr, Gaultier, de Pleumeur-Gautier, et Louis Rochery, de Saint-Brieuc. A excellé pendant l'année : Ernest Renan. (1) Mgr Le Mée. (2) En 1864, un M. A. Le Nepvou de Carfort, journaliste, de concert avec M. Fr. Bazouge, publia une intéressante petite Biographie d'Ernest Renan (chez Douniol), tout en attaquant l'auteur de la Vie de Jésus, leur éminent compatriote breton. — brochure aujourd'hui introuvable. EN BRETAGNE. 143 Vej'sion latine. l^"" Prix. Ernest Renan. 2® — François Liart. l^'" Ace. Pierre Lissillour. 2^ — Julien Guillerm, de La Roche-Derrien. 3^ — Jean-Raptiste Landoiiar. A excellé pendant l'année : Ernest Renan. Version grecque. 1^='" Prix. Ernest Renan et François Liart. 2° — Jean-Baptiste Landouar et Pierre Le Quellec. !•''" Ace. Julien Guillerm. 2^ — Henri Le Nepvou de Carfort. 3" — Louis Rochery et Pierre Roulard, de Pleu- meur-Gautier. A excellé pendant l'année : Ernest Renan. Vers latins. |er Prix. François Liart. 2^ — Ernest Renan. 1*^'" Ace. Jean-Baptiste Landouar. 2° — Julien Guillerm. 3^ — Henri Le Nepvou de Carfort et Pierre Rou- lard. A excellé pendant l'année : Jean-Marie Co- nan, de La Roche-Derrien. (Cet élève, malade depuis quelque temps, n'a pu concourir pour les prix.) 14i ËRNESt RENAN Histoire et Géographie. ^er Prix. Ernest Renan. 2" — Julien Guillerm et Pierre Le Qiiellec. 1'^'' Ace. Pierre Lissillour. 2^ — Jean-Baptiste Landouar. S*" — François Liart. A excellé pendant l'année : Ernest Renan. Excellence. Prix. Ernest Renan. 1'''' Ace. François Liart. 2" — Jean-Marie Conan. 3® — • Jean-Baptiste Landouar. Ont obtenu des croix pendant Cannée : 6ti* Ernest Renan. 2t François Liart. If Henri Le Nepvou de Carfort. If Jean-Marie Conan. If Jean-Baptiste Landouar. Se sont distingué 'i par leur application et leur bonne conduite : Ernest Renan, François Liart, Pierre Le Quellec et François Gaultier. BRETAGNE. 1 4'B SERIE MATHEMATIQUE Géoinétrie. 1" Prix. Ernest Renan. 2° — Fiacre Guyomar. i*"" Ace. Guillaume Le GofT, de Pommerit-Jaudy. 2^ — Louis Pierre. Excellence. Prix. Fiacre Guyomar. V' Ace. Ernest Renan. 2'- — Guillaume Le Goff. Ont obtenu des croix pendant l'année : 6f Fiacre Guyomar. If Ernest Renan. liG ERNEST RENAN ÉCOLE ECCL^^SIASTIQUE DE TRÉGUIER DISTRIBUTION SOLENNELLE DES PRIX Faite par Monseigneur TEvêque, le 9 août 1838. TROISIÈME Mémoire. Prix. Ernest Renan, de Tréguier, et Pierre Le Quellec, de ServeL l'-^ Ace. Jean Le Fennec, de Tréguier. 2^ — François Liart, de Plougniel ; Yves Bourdel- lès, de Pleudaniel, et Pierre Lissillour, de Perros-Guirec. Thème. 1" Prix. Ernest Renan. 2e — François Liart. 1" Ace. Pierre Le Quellec. 2° — Jean-Baptiste Landouar, de Plouaret. 3^ _ Jean-Marie Conan, de La Roche-Derrien. A excellé pendant l'année : Ernest Rknan. Version latine. l*^' Piix. Ernest Renan. 2^ — François Liart. 1er Prix 2'^ — 1er Ace. 9a — 3^ — EN BRETAGNE. 147 1°' Acc. Antoine Cavigilly, de Tréguier. 2« — Pierre Le Quellec. 38 — Henri Le Nepvou de Carfort, de Saint-Brieuc. A excellé pendant l'année : Ernest Renan. Version grecque. Ernest Renan et François Liart. Pierre Le Quellec. Yves Bourdellès. Jean-Marie Conan. Pierre Boulard, de Pleumeur-Gautier, et An- toine Cavigilly. A excellé pendant l'année : Ernest Renan. Vers latins. i^"" Prix. Ernest Renan. 2<î — Pierre Le Quellec et François Liart. 1'^'' Acc. Henri Le Nepvou de Carfort. 2° — Jean-Baptiste Landouar et Yves Bourdellès. 3*" — Jean-Marie Conan. A excellé pendant l'année : Ernest Renan. Histoire et Géographie. P^' Prix. Ernest Renan. 2° — Jean-Baptiste Landouar, Pierre Le Quellec et François Liart. 1" Acc. Pierre Lissillour. 2° — Jean-Marie Conan. 3° — Henri Le Nepvou de Carfort. A excellé pendant l'année : Ernest Renan. 148 ERNEST RENAN Excellence. Prix. Ernest Renan. l^"" Ace. François Liart. 2e _ Jean-Marie Conan. 3e _ Jean-Baptiste Landouar. Ont obtenu des croix pendant Cannée 9t Ernest Renan. 4f François Liart. If Jean-Marie Conan. If Jean-Baptiste Landouar. SÉHIE MATHÉMATIQUE Trigonométrie. 1^' Prix. Ernest Renan. 2e — Fiacre Guyoniar. l«r ACC. Louis Pierre. Excellence. Prix. Ernest Rcnan. Access. Fiacre Guyomar. Ont obtenu des croix dans l'année : Af Ernest Renan. 4t Fiacre Guyomar. EN BRETAGNE. i49 A cette distribution de prix d'août 1838, qui fut aussi sa dernière à Tréguier, ses grands amis Liart (1) et Guyomar (2), ajussi ses plus sérieux rivaux d'études, lui firent une agréable surprise : ils placèrent ses prix sur une civière enrubannée et les portèrent jusqu'à sa demeure, suivis d'une foule sympathique... Les succès du jeune Renan le faisaient presque passer aux yeux de ses camarades pour un petit pro- (1) François Liart habitait au petit village de Plouguiel, situé près du pont sur le Guindy. Elève distingué sous tous les rap- ports, il fut le prand ami et confident d'Ernest Renan, et comme lui lit sa rhétorique à Saint-Nicolas-du-Chardonnet ; mais il revint malade à Tréguier et devint maître d'études au petit séminaire. Il avait l'amour de la mortification et de la charité. Bien souvent le jeune Liart partageait son goûter avec les pauvres du quar- tier ou leur donnait la petite pièce blanche ({u'il recevait le dimanche. Il fut en grandes relations épistolaires avec Renan, quand celui-ci était à Paris. Liart mourut diacre; il est enterré à Plouguiel, Son neveu, M. le chanoine Le Saulx, a été archi- prêtre de Guingamp. (2) Fiacre Guyomar (de Camlez) fut l'ami intime de Liart et de Renan. 11 fut désigné pour accompagner celui-ci au petit sémi- nairo de Saint-Nicolas-du-Chardonnet, mais il n'y fut qu'en 4839-1840. Là, M, Dupanloup, supérieur, lui fit changer son pré- nom de Fiacre en celui de Louis : comme saint Stanislas, Guyomar possédait au suprême degré la vertu d'obéissance et la résigna- tion. Quand un échec ou une punition avaient attristé un de ses camarades, il en était le consolateur. Il est mort jeune, en novembre 1840, et est enterré à Camlez. « Son souvenir vivra longtemps parmi nous, écrivait son ami Renan à sa mère le 8 novembre 1840; et pour moi, ma chère maman, je n'oublierai jamais le meilleur ami que j'aie jamais eu, après vous, chère maman, et mou frère et ma S(L'ur. Il était pour moi conmie un second frère. » E. Renan fut même chargé de faire son éloge au séminaire de Saint-Nicolas, devant les camarades, et selon l'ha- bitude. 150 ERNEST RENAN dige. « Ah! c'était le phénix du collège! nous disait naguère un vieillard trécorrois, son ancien condisciple. Sans cesse, on nous le proposait pour modèle. Nous étions là deux cents, qui tous « poussaient pour être prêtres », comme on parle chez nous ; et lorsque Renan s'en alla terminer ses études à Paris, surtout au grand séminaire de Saint-Sulpice, il devint pour ses camarades un objet d'admiration, d'orgueil et d'envie; aussi quand il fut lauréat des Inscriptions et Belles- Lettres. Mais le vent tourna, et quand il eut quitté le Grand Séminaire, surtout après la Vie de Jésus, jamais plus nos maîtres ne prononcèrent son nom... » Cet écolier, modeste, timide et un peu embarrassé d'allures, peu robuste, faisait tellement le désespoir des autres bons élèves, ses camarades, qui ne pou- vaient le dépasser aux compositions, que l'un d'eux ré- pondait à son tuteur, M. François L..., qui lui repro- chait de n'être pas des premiers : « Tréguier, le 11 février 1836. « Bien cher oncle et tuteur, « J'ai reçu votre bonne lettre; vous semblez vous étonner de ce que je ne sois pas encore à la tête de ma classe. Je fais pourtant le nécessaire pour cela et lutte de mon mieux avec mes concurrents. Le Golf et Gonan. Quant à ce diable de petit Ernest Renan, impossible de lui damer le pion; il apprend comme il veut, et nous reconnaissons l'impossibilité de lui disputer la première place... « Je compte malgré tout que vous n'aurez pas à être EN BRETAGNE. 131 mécontent de moi; j'aurai, j'ai tout lieu de l'espérer, plusieurs nominations et un accessit d'excellence... (( Julien G... (1). « A Monsieur François L...^ propriétaire à Pleudanief. » Nous avons parlé de l'écolier, l'honneur du collège ecclésiastique de Tréguier; disons un mot du condis- ciple modèle. Et c'était un modèle pour le travail et pour la conduite. Nous savons déjà qu'il était le préféré de sa mère — ayant d'ailleurs le privilège d'être le Benjamin de la famille. Il était charmant, du reste, avec ses boucles blondes couronnant un front élevé, et il joignait à ces agréments les qualités de l'esprit et du cœur. En classe, sa conduite était exemplaire, toutes les notes d'application qu'il obtint alors le constatent. Il se fit toujours remarquer par une ponctuelle régularité, une attention soutenue, un travail persévérant et une grande application à l'étude. Il en était de même dans la vie privée. En un mot, c'était le bon élève. Bien des fois, il a dit à l'ami Qaellien : « Je n'ai jamais connu qu'un chemin, de la maison au Petit Séminaire; depuis la rue Stanko, je suivais toujours la même ligne, le long du cloître et de la cathé- drale, par la ruelle qui débouche sur la place centrale, (1) Lettre inédite. lo2 ERNEST RENAN OÙ je n'ai jamais mis les pieds : il y avait là trop de monde. » Et de même, deux fois par jour, Ernest Renan quit- tait le collège pour revenir chez lui, et toujours en compagnie de son émule et ami de cœur Fiacre Guyo- mar, qui était externe comme lui. Il le dit lui-même dans ses Souvenirs : \ écrivait E. Renan à sa mère. Ses examinateurs étaient des célébrités : MM. Oazanam, Lacretclle, Garnier, Damiron et Lefébure de Fourcy. 196 ERNEST RENAN collège de Tréguier, en même temps qu'il donnait ses premiers articles à la Revue de l' Instruction publique, puis à La Liberté de penser, obtenait le prix Yolney à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, avec son étude sur V Histoire des langues sémitiques. Il était donc, k vingt-cinq ans, professeur de l'Université et lauréat de l'Académie. Il n'avait qu'à continuer... Après de tels succès, Ernest Renan vint passer ses vacances de 1847 en Bretagne. Ce ne fut pas à Tréguier, mais chez son frère Alain, à Saint-Malo, où il avait fait aller sa mère. A ce moment, M'"^ Renan vivait en petite rentière. Les dettes de son mari étaient complètement éteintes, grâce à l'abnégation et au travail de ses deux enfants aînés, et les petites propriétés qu'il lui avait laissées se trouvaient, dégagées de toutes charges, en ses mains. Elle trouvait même l'occasion de faire de petits voyages à Lannion et à Guingamp, lesquels ser- vaient un peu à la distraire de son isolement. De la cité des corsaires, Ernest Renan raconta à son ami Berthelot sa première rencontre avec sa famille, après avoir complètement dit adieu à la vie religieuse : « ... La grave difficulté que nous prévoyions, dit-il, relativement au dissentiment religieux entre moi et ma famille, n'a eu aucune suite. Ma mère s'est montrée d'une largeur très libérale et est entrée pleinement dans le système que la convenance me prescrit en ce pays ; ne rien dire ni ne rien faire qui témoigne affection ou antipathie pour les croyances dont j'ai fait, autre- fois, profession. Nous avons eu, maman et moi, des conversations des plus piquantes à ce sujet; je l'ai ame- EN BRETAGNE. 197 née très facilement à dire qu'il faut laisser les gens croire ce qu'ils veulent (1)... » Cependant, dès le 18 jan- vier 1846, 31*"^ Renan avait écrit, à ce sujet, à son fils Ernest : « ... Mon Dieul quel changement dans ta vie, à peine si j'en reviens!.. . Conserve toujours ce grand, ce joli caractère qui charme tous ceux qui te connais- sent, et ne mets point de barrière entre tes premiers amis et toi... Enfin, mon bon Ernest, il ne t'est pas venu dans ridée que je veuille te faire entrer dans le saint état du sacerdoce malgré toi? Tu avais nourri mon cœur et ma pensée de cette douce, de cette délicieuse espérance; si elle m'est ravie, eh bien! mon enfant chéri, tu me dédommageras par ta tendresse et par le zèle que tu mettras à tâcher de te faire une carrière, puisque nous sommes sans fortune sur cette pauvre terre. » Le 3 février de la même année, sa mère lui écrivait encore : a ... Non, mon enfant, tu ne seras pas mis dans l'alternative de prononcer entre ta conscience et les vœux que j'avais formés. Je remets le sceptre entre tes mains, persuadée que tu ne le laisseras pas tomber dans la fange. » Dans une correspondance, Renan parle d'une lettre plus ancienne qui lui fut adressée par la sous-préfec- ture de Lannion (2), relativement à la conscription. « On m'y notifiait, dit-il, que j'étais libéré du service militaire. » Comme cette lettre nous paraît un non-sens, à moins (1) Lettre du 28 août 1847 (Lettres du Séminaire). (2) Cette lettre n'a pu être retrouvée, 198 ERNEST RENAN qu'elle ne fût une réponse à une demande de renseigne- ments d'Ernest Renan sur sa situation militaire, nous allons expliquer ce qu'il en était à son sujet. C'est un point de la jeunesse du célèbre académicien dont il n'a jamais été parlé. Ernest Renan, qui était alors au séminaire de Saint- Sulpice, à Paris, faisait partie de la classe 1843, oi^i il y avait, cette année-là, 187 conscrits pour le canton de Tré- guier. Le tirage au sort eut lieu le 24 février 1844 ; il eut le numéro 118, et la mention portée en regard de son nom sur le procès-verbal du tirage fut : « Absent^ élève ecclésiastique. » Le conseil de revision eut lieu le 31 mai de la même année ; le contingent à fournir par le canton de Tréguier était de 49 hommes, comme le dernier numéro pris pour compléter le cadre à la suite des exemptions et dispenses accordées était 107 (1). Ernest Renan avait un bon numéro. D'abord, pour que Renan pût être appelé sous les drapeaux, il eût fallu que, dans les 117 jeunes gens qui le précédaient, 69 eussent bénéficié de dispenses ou d'ajournements. Or, en réalité, il n'y eut que 58 cas d'exemptions et dispenses accordées; il ne pouvait donc être soldat. Ce bon numéro lui évitait aussi de se faire dispenser comme « élève ecclésiastique ». C'est sans nul doute lors de ces vacances de 1847 à Saint-Malo qu'Ernest Renan rencontra un vieux barde de Basse-Rretagne, réduit, ainsi que ses compatriotes, (1) Archives départementales des Côtes-du-Nord. EN BRETAGNE. 199 à venir demander là, aux plus sordides besognes, de quoi ne pas mourir de faim. « L'un d'eux désira me voir, dit-il dans ses Souvenirs d'enfance; il était sous-aide balayeur. Il m'exposa en breton (il ne savait pas un mot de français) ses idées sur la fm de toute poésie et sur l'infériorité des nou- velles écoles. Il était partisan de l'ancien genre, de la complainte narrative, et il se mit à chanter celle qu'il savait la plus belle... » A la rentrée de 1847, M. Bersot, qui allait poser sa candidature en province, dans le Midi (1), offrit à Renan la suppléance de sa classe au lycée de Versailles. Ce- lui-ci accepta avec joie et enseigna la philosophie pen- dant quelques mois. Mais il déclina ensuite le poste qui lui fut offert en.province (2), paraissant même renoncer à l'enseignement militant pour s'adonner à des travaux d'érudition. Il songea à reprendre les études commen- cées au séminaire et qui l'avaient tant passionné; car la seule occupation digne de remplir sa vie, c'était de poursuivre ses recherches critiques sur le Christia- nisme par les moyens beaucoup plus larges de la science laïque. La Révolution de 1848 lui fit ainsi écrire V Avenir de la Science et Les Origines du Christianisme... Lors du second concours de l'Académie des Inscrip- tions et Belles-Lettres de 1848, sur la question suivante : Hisloire de Vétude de Vi langue grecque dans l'occident de C Europe, depuis la fin du V^ siècle jusqu à la fin du (1) Comme le fit Jules Simon à Lanaion. (2) A Vendôme. 200 ERNEST RENAN XIV^ sièclr, E. Renan présenta une étude complète, qui fut couronnée le l*''" septembre 1848. A cette occasion, un publiciste breton de grand talent, M. Charles Le Maoût, qui était lui-même un savant, publia ces lignes dans /.e Pubficaieur des Côtes-du-:\ord : a La glorieuse distinction dont M. Renan s'est rendu digne l'oblige à de nouveaux succès, et nous sommes sûrs que le jeune savant breton ne s'arrêtera pas en si beau chemin. Il voudra devenir une des illustrations de notre grande et noble Bretagne. La véritable noblesse aujourd'hui est celle de la science; et l'on ne dit plus : « Noblesse oblige ! » mais bien : « Science oblige ! » Plus tard, Ernest Renan revint plusieurs fois à Saint- Malo, car sa mère alla habiter définitivement chez son fils aîné Alain en 1850. Ce fait nous a été aussi confirmé par un vieux marin trécorrois, le retraité A..., qui était né lui aussi dans la maison natale d'Ernest Renan — mais dix ans plus tard que lui — et qui a connu Renan enfant, qui le revoyait à chaque fois qu'il venait à Tréguier, et qui se rappelle encore avoir été faire visite à M'"^ Renan à Saint-Malo, en 1851. Renan est à Saint-Malo en 1849. Son ami Berthelot lui annonce qu'on va le proposer pour une mission d'études en Italie; cela sourit infini- ment k Renan, qui répond de Saint-Malo :((... Je n'ai senti jusqu'ici que sous ce climat humide et froid; je n'ai vu que ces côtes dentelées et hérissées. J'imagine que sous ce ciel (d'Italie) qui, dit-on, révèle tant de choses, j'éprouverais des sensations plus complètes et que cela ferait époque dans ma vie esthétique et phy- EN BRETAGNE. ^01 siqitê. Je ne saurais vous dire combien la seule diffé- rence de Paris et de ce pays influe sur mon état normal. Le ciel ici est gris et atone, le soleil n'est jamais net, la mer seule est vivante, mais vous savez que dans la sen- sation qu'on éprouve au bord de la mer, il y a quelque chose de dur et de cassant, le contraire du mordet aqui. taciturnus amnis. » Il s'amuse aussi à comparer la vie bretonne h celle de Paris, au lendemain de la Révolution de 1848 : a J'ai cru passer d'une planète dans une autre quand je me suis trouvé transporté, en quelques heures, de ce foyer brûlant de la vie parisienne dans ce coin oublié du monde, qui est encore pourtant le coin de la Bretagne où la vie est la plus active. » Voulant peindre les mœurs politiques d'Ille-et-Vilaine, il trace aussi à M. Berthelot ce curieux croquis électo- ral : « ... Les candidats légitimistes ont passé avec 50,000 voix de majorité. L'évêque fait la liste avec ses curés de canton, on la prêche au prône, les bourgeois l'acceptent, et elle passe sans opposition, llélas ! cela ne s'explique que trop bien, et je n'ai jamais si bien com- pris que la nullité intellectuelle et administrative des provinces est le plus grand obstacle au progrès des idées modernes. Soit Saint-Malo, par exemple. La masse de la population, le peuple plus encore que les bour- geois, n'a qu'un but, gagner de l'argent, vivre à l'aise et tranquille. Ces gens-là sont indifférents à toutes choses, pourvu que les affaires marchent... » Pendant ses séjours au pays des corsaires, le nou- veau professeur fouilla toutes les bibliothèques de la 202 ERNEST RENAN région, même celle d'Avranches, et toutes riches en vieux manuscrits du plus grand prix. Celle de Saint- Malo était formée d'anciens fonds de couvents, où dor- maient, sous une couche épaisse de poussière, toute la scholastique, les éditions d'Aristote, avec les Commen- taires d'Averroès, imprimés à Venise, etc. C'est au milieu de ces volumes poudreux que Renan composa plusieurs chapitres de son histoire de VAverroisme, qui lui servit de thèse pour son doctorat es lettres, sous le titre : Avei^roès et Vaverroïsme, et publiée en 1852; sa thèse latine était intitulée : De Philosophià Penpateiica apud Syros... Il allait aussi très souvent au cabinet de lecture de Saint-Malo. Les succès commençaient pour le savant. Ils lui frayaient la route de l'Institut, où il entra à trente- trois ans. Nous ne pouvons les suivre, pas plus que ses grands et nombreux travaux; ils sont connus, d'ailleurs. Nous ne saurions mieux les analyser que ne l'ont fait MM. G. Monod, Philippe Berger, M.-J. Darmesteter, Armand Dayot, etc. Nulle vie d'érudit ou d'écrivain ne fut mieux remplie. Nous préférons nous borner à noter tout ce qui rapprocha Ernest Renan de son pays natal, de la Bretagne. La santé d'Henriette Renan la força k changer de climat. Son frère alla la chercher à Berlin en septembre 1850, pour la ramener avec lui en France. Il ne l'avait pas vue depuis dix ans. Elle vécut à Paris, rue du Yal- de-Grâce, et avec son frère, dans une solitude absolue, se contentant de lui donner des conseils et de lui servir de secrétaire. Le mariage d'Ernest avec la femme supé- EN BRETAGNE. 203 rieure que fut M"« Gornélie Scheffer, la nièce du grand artiste Ary Scheffer, en 1856, ne fît qu'augmenter les joies familiales du savant, qui avait déjà accompli sa mission d'Italie (1849), qui publiait son Histoire géné- rale des langues sémitiques et venait d'être élu membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. L'Empire n'avait pas voulu du savant et du brillant écrivain du Journal des Débats et de la Revue des Deux- Mondes (1) pour succéder à son ancien maître, M. de Quatremère, — décédé en 1857, — dans sa chaire d'hé- breu au Collège de France. Il préféra l'envoyer en mis- sion en Phénicie. A la naissance d'un fils devait bientôt se joindre la joie d'avoir sa mère chez lui. Le petit Ary Renan naquit le 28 octobre 1857. L'affection d'Henriette pour cet en- fant de son frère tant aimé se changea en une vraie adoration, et sa venue effaça à jamais la trace des larmes de mère qu'elle avait versées quand Ernest Re- nan avait partagé son cœur par le mariage. C'est un fait banal de la vie ordinaire, mais qui pourra paraître étrange dans l'existence de l'auteur de la Vie de Jésus, qui amena M""® Renan mère chez ses enfants, puisqu'elle vint pour le baptême de son petit- fils. En effet, Ary Renan fut baptisé à Saint-Thomas- d'Aquin le 11 novembre 1857. C'est M""^ Renan mère qui était la marraine de l'enfant. Elle s'entretint un peu (1) Le premier article de Renan dans la Renie est du 15 de- membre 1851 et a pour titre : Mahomet et les origines du Chris- tianisme. âÔ4 ERNEST RENAN avec le vicaire de garde, M. l'abbé Saint-René Taillan- dier, qui fît le baptême, et lui dit, entre autres, avec une certaine émotion : — Oh! Monsieur l'abbé, priez Dieu pour que ce petit enfant soit pieux comme l'était autrefois son père ! Ernest Renan assistait aussi à la cérémonie; sa tenue fut correcte et silencieuse, et il signa l'acte qui fut ré- digé séance tenante (1). La vive petite vieille, — elle avait soixante-quatorze ans, — toute pétillante encore, s'entendait à merveille avec sa belle-fille; peut-être la comprenait-elle mieux qu'elle ne comprenait l'adorable Henriette, si noble, si élevée, mais sévère et triste même. La vieille Lannion- naise donnait tout leur prix à la beauté, à la jeunesse, à la gaîté, et le rire de Cornélie faisait écho au sien (2). Et l'on vivait heureux dans l'appartement de la rue Ca- simir-Périer, où Renan s'était installé avec sa nom- breuse famille. Cette venue de M"'^ Renan, c'était la Rretagne rentrée à son foyer, c'était tout son cher Tréguier qui était à ses côtés. Tous les soirs, Ernest Renan allait passer une heure avec elle dans la chambre de sa mère, — surtout quand elle fut atteinte du cancer sénile qui l'emporta, — éclairée seulement par le bec de gaz de la rue. Alors les souvenirs d'autrefois revenaient en foule à la Bretonne. Elle re- voyait Tréguier, Lannion, la Bretagne, telle qu'elle était (1) Gazette de France du 6 octobre 1892. (2) La Vie d'Ernest Renan, par M"'« J. Darmesteter. EN BRETAGNE. 20o avant la Révolution; elle se rappelait tout, elle passait en revue toutes les maisons, désignant chacune d'elles par le nom de son propriétaire d'alors, et c'était avec une merveilleuse facilité qu'elle évoquait et faisait re- vivre tout ce passé. Et son fils ne se lassait pas de l'en- tendre. C'est d'elle qu'il a retenu plus tard ces belles histoires du Broyeur de Un, de La PeLile Noémie, de Mon oncle Pierre, Emma Kosilis, qui forment l'un de ses chefs-d'œuvre, les Souvenirs d'enfance, puis les Feuilles détachées. Sa mission archéologique en Phénicie et ses voyages en Asie Mineure devaient encore éloigner Renan de sa Bretagne natale. M™^ Renan venait d'avoir une fille, qui fut nommée Ernestine (le 20 juillet 1860) ; Henriette disait que cette petite venait pour la remplacer près de son frère déjà illustre. Il fut décidé qu'Henriette accom- pagnerait Ernest Renan, tandis que M"'^ Renan mère resterait avec sa bru et les enfants ; tous sous la sau- vegarde d'Alain, qui était venu s'établir à Neuilly, et aussi de M. Berthelot, qui venait les voir même plu- sieurs fois la semaine pour envoyer de leurs nouvelles à son grand ami, en Asie Mineure. Un jour, il lui raconta un voyage qu'il avait fait avec M. Bertrand au pays de Vannes, de Carnac et d'Auray. Ernest Renan lui répondit de Sour (Syrie) : « ... Je suis ravi que vous ayez vu la Bretagne, et je vois que vous l'avez bien comprise. Nos petites îles des C6tes-du-Nord ne vous auraient pas moins enchanté. Quand j'y pense, je suis pris d'un tel sentiment de désir de retour que le devoir qui me retient ici me devient à 12 206 ERNEST RENAN charge. Jamais ces pays-ci ne m'ont inspiré de tels sen- timents. On les admire, mais ils n'ont pas ce charme mélancolique et profond (1)... » Tout en remplissant à merveille sa mission scienti- fique, Ernest Renan visitait les Lieux Saints et écrivait sur place sa Vie de Jésus. Malheureusement, un double deuil devait frapper cruellement son cœur. Sa petite Ernestine avait succombé en mars, et sa sœur Hen- riette mourut d'une fièvre à Amschit, le 24 septembre 1861. Elle fut inhumée dans le caveau d'un riche maro- nite, Mikhaël-Tobia, près d'une jolie chapelle, et où son frère lui fit ériger plus tard un petit monument (2). On le rapporta lui-même presque mourant en France, où il rentra le 24 octobre. C'est grâce à la force de son tempérament, qui put supporter de puissants fébrifuges, qu'Ernest Renan avait résisté aux atteintes de la contagion. Lorsque sa sœur expira, il était lui-même évanoui; sa léthargie dura quatre jours entiers. Quand il se réveilla, sa sœur était au cercueil. Il voulut visiter la tombe où reposait Henriette. Là, il fut pris d'un doute horrible, croyant qu'elle n'était point morte. — Oh! vous l'avez enterrée trop tôt! s'écriait-il. Elle dormait comme moi; elle dort peut-être encore!... (1) Lettre du 19 avril 18B1. (2) M. et M°ie Renan allèrent rendre une visite pieuse au tom- beau d'Henriette, le 12 janvier 1865, dans une seconde mission en Phénicie. C'est au retour, en passant à Athènes et en visitant l'Acropole, qu'Ernest Renan écrivit la célèbre « prière » qui porte ce nom. EN BRETAGNE. 207 La scène était affreuse. On se hâta d'arracher Renan à ce lieu de douleur... La mort lointaine d'Henriette fut un coup terrible pour M"® Renan mère. Ecoutez ce qu'elle écrivit à l'une de ses amies de Tréaruier : 'O' « ... J'ai perdu ma pauvre fille en Syrie, où elle a accompagné son frère, qui a aussi pensé mourir. C'est à la force de son tempérament, qui a pu résister aux remèdes, qu'il doit son rétablissement. Ce n'est qu'alors qu'il a appris la mort de sa pauvre sœur; il a été quatre jours sans connaissance. Quand il est arrivé, il faisait pitié. Il se disposait à s'en retourner; tout était prêt; on n'attendait plus que le navire de l'Etat qui a eu du retard, et c'est ce malheureux retard qui a causé la mort de ma pauvre fille. Comment jamais me consoler d'une si grande perte! Mon fils et sa femme font tous leurs efforts; je suis entourée de soins et d'affection; mais ma pauvre fille me manquera toujours. « Veuve Rknan. » Henriette Renan fut aussi regrettée du monde litté- raire. Elle s'était fait remarquer dans plusieurs revues, notamment dans celle que dirigeait une Bretonne, M^''^ Ulliac Trémadeure, et ses articles, très appréciés, étaient signés : M'^*^ Emma du Guindy. Renan avait reçu alors la croix de chevalier de la Légion d'honneur le 29 décembre 1860, et un décret impérial du 11 janvier 18G2 le nomma professeur de langues hébraïque, chaldaïque et syriaque au Collège de France. La première leçon du savant fut un coup de 208 ERNEST RENAN foudre. C'était le 21 février, et Renan avait choisi comme sujet de son discours d'ouverture : De la part prise par les peuples sémitiques dans V œuvre de la civili- sation. Emporté par son sujet, enflammé par les applau- dissements des étudiants, il vint à parler d' « un homme incomparable, si grand que, bien qu'ici tout doive être jugé au point de vue de la science positive, je ne vou- drais pas contredire ceux qui, frappés du caractère exceptionnel de son œuvre, rappellent Dieu »... L'orage éclata. Les uns conspuèrent l'hérétique et les autres acclamèrent le savant. Il fut porté en triomphe. Ce dernier devait lui coûter cher, puisqu^e l'Empereur, sous prétexte que ce cours « pouvait entraîner des agi- tations regrettables », devait le suspendre d'abord le 27 février 1862 (1), puis lui enlever sa chaire deux ans plus tard... Mais W^^ Renan mère devait avoir une part de l'ova- (1) Voici le texte de cet arrêté ministériel : « [.e ministre de l'Instruction publique et des Cultes a rendu l'arrêté suivant : « Attendu que, dans le discours prononcé au Collège impérial de France pour l'ouverture du cours de langues hébraïque, chal- daïque et syriaque, M. Renan a exposé des doctrines qui bles- sent les croyances chrétiennes et qui peuvent entraîner des agi- tations regrettables, « Arrête ce qui suit : « Art. 1er. Le cours de M. Renan, professeur de langues hé- braïque, chaldaïque et syriaque au Collège impérial de France, est suspendu jusqu'à nouvel ordre. « Art. 2. L'administrateur du Collège impérial de France est chargé de l'exécution du présent arrêté. <( Fait à Paris, le 26 février 18G2. « ROULAND. » EN BRETAGNE. 209 tion parisienne faite à son fils par la jeunesse studieuse et libérale du quartier Latin. Ce fut l'heure de célébrité de cette Bretonne de Lannion, qui avait vu sa famille lutter contre la Révolution. Après son cours, Renan s'était dérobé à l'ovation. Le croyant chez lui, la jeunesse libérale se transporte en masse rue Madame, et, sous le balcon, elle acclame le Maître. On lui répond qu'il n'est pas rentré. A son dé- faut, les étudiants réclament M"^*^ Renan mère; et il faut que la vieille Lannionnaise de quatre-vingts ans se montre au balcon, escortée du professeur Egger, qui tâche d'atténuer un peu, pour les oreilles dévotes, le scandale du succès de son fils. Il aurait bien pu ne pas se donner cette peine, car la vieille Bretonne a son plus gai sourire pour saluer les champions d'Ernest Renan. La Vie de Jésus paraissait le 11 juin 18G3, avec un tumultueux et retentissant succès (1). « Ce livre, disait, à Ghazir, Henriette Renan à son frère, je l'aimerai; d'abord, parce que nous l'avons fait ensemble, et puis parce qu'il me plaît. «Aussi l'illustre auteur mit en tète de son livre une touchante dédicace, qu'il faut lire, et qui commence par ces trois lignes : A Vàme pure DE MA SOEUR HENRIETTE, Morte à Byblos, le 24 septembre 1861. « Ce ne sont pas des contrariétés de haine qui vont (l) L'édition in-S^ de ce livre est à sa 34° édition, et son édition populaire iu-32 a atteint sa 97« édition. 12. 210 ERNEST RENAN VOUS assaillir, écrivait à l'auteur son ami M. Berthelot, mais une tempête de contradiction et de haine : pape, archevêques, évêques, curés, diacres et sous-diacres, tout le monde s'en mêle, sans parler du tiers-ordre et des fils des ex-libéraux d'autrefois. Mais vous domine- rez tout cela, en vous tenant fermement dans l'opinion. Voltaire a bien résisté, et sans trop de persécutions. Votre nom va marquer dans le XIX^ siècle à légal des philosophes du XVIII^. L'acharnement et la haine per- sistante des catholiques suffiront pour vous montrer la route, si elle pouvait jamais s'obscurcir devant vous (1). » « Que tout cela est de l'eau de rose ! répondait Re- nan, de Granville. Songeons au temps où, pour penser librement, il fallait soigneusement cacher sa pensée ou s'exposer à la mort... « Ernest Renan passa son été de 1863 à Dinard, avec M'"^ Renan, son fils Ary et sa fille Noémi (2). Il y arriva fin juillet et descendit au Grand-Hôtel de Dinard. « Belle plage pour les bains, nature charmante, calme parfait : l'endroit est encore peu envahi », écrivait-il à M. Berthelot. Certes, ce séjour à Dinard de l'auteur de la Vie de Jésus, au lendemain même de la publication de l'ou- vrage, ne pouvait passer inaperçu; il fit même sensa- tion parmi les résidants et baigneurs qui fréquentaient alors la jolie Côte d'Emeraude. La curiosité était de ce (1) Correspondance Henan-Berthelot, (2) Née le 1er mars 1862. EN BRETAGNE. 211 fait fort excitée et l'on guettait au passage le célèbre écrivain, ne fût-ce que pour l'apercevoir. Ce sont les petits désagréments de la célébrité... Quelques journaux du cru racontèrent même, sans garantir absolument le fait, que, parmi les baigneurs logés momentanément sous le même toit que Renan et sa famille, certains allèrent jusqu'à protester avec éner- gie contre la présence de l'écrivain de la Vie de Jésus au milieu d'eux, et déclarant que, s'il s'asseyait à la même table, ils s'en iraient tous (1). Nous n'avons pu contrôler le fait, aimant à croire que les choses se pas- sèrent autrement pour l'honneur de l'hospitalité bre- tonne, si en renom parmi tous ceux qui viennent à Dinard et au pays malouin... Un moment, Renan eut l'idée de faire de là une excursion en Basse-Bretagne; mais, un peu souffrant, il préféra rentrer à Paris, en visitant Jersey au retour. « Du reste, je commence à aspirer au retour, écrivait- il encore de Dinard à son ami Berthelot. Une foule de soucis me rappellent. .Te fais le mort devant ce flot d'in- jures du parti clérical, et certes je ne changerai pas de plan de conduite. Mais il faut que je me fortifie ailleurs... » Le petit Breton qui, un jour, s'était enfui épouvanté de Saint-Sulpice parce qu'il croyait savoir qu'une partie de ce que ses maîtres lui avaient enseigné n'était pas tout à fait vrai, avait fait du chemin depuis lors. (l) Union mnlouine et dinannaise du 16 août 1863, 212 ERNEST RENAN Les savants de tous les pays appréciaient ses ou- vrages : Etudes d'Histoire religieuse (1857), De l'Ori- gine du Langage (1858), Le Livre de Job (traduit de l'hébreu, 1858) (1), Essais de Morale et de Critique (1859), Le Cantique des Cantiques (traduit de l'hébreu, 1860), parus avant la Vie de Jésus; Les Apôtres (1866), les Questions contemporaines [iSQS), Saint Paul (1869), et la Réforme intellectuelle et morale. Nous ne voulons pas laisser passer inaperçu l'un des plus beaux actes d'indépendance civique qui honore la vie publique d'Ernest Renan : sa destitution par l'Em- pire de professeur au Collège de France. Nous avons dit que son cours était suspendu depuis sa première leçon (27 février 1862). Le l^juin 1864, M. Victor Duruy, alors ministre de l'Instruction pu- blique, adressait à l'Empereur un rapport pour lui proposer de supprimer la chaire de langues hébraïque, chaldaïque et syriaque, en la convertissant en chaire de grammaire et de philologie comparées, au détriment de son propre titulaire, Ernest Renan. Une compensa- tion à la Bibliothèque impériale était offerte au savant professeur, dépouillé de sa chaire. Voici ce que disait ce rapport : (( ... Il y aurait donc lieu de supprimer à la Sor- (1) Le \\ avril 1859, le premier décret de la Congrégation de l'Index frappa pour la première fois un des ouvrages d'Ernest Renan, Le Livre de Job. Le dernier décret rendu contre lui par la même congrégation est de mai 1892. EN BRETAGNE. 213 bonne la chaire de M. Hase, mais de créer, sous le titre de grammaire et de philologie comparées, une chairo nouvelle au Collège de France. « La dotation de cette ch-aire n'existant pas au bud- get, on y appliquerait provisoirement les fonds votés pour la chaire des langues hébraïque, chaldaïque et syriaque. « Depuis plus de deux ans, cette chaire n'est point remplie, par des raisons d'ordre public qui subsistent dans toute leur force. Ce provisoire ne peut dnrcv plus longtemps. a Je tiens, Sire, à mettre une extrême régularité dans toutes les parties de l'administration que l'Em- pereur m'a confiée. Or, il est contraire aux intérêts du service, à la bonne gestion des deniers publics, autant qu'à la dignité même du savant distingué qui est forcé de subir cette anomalie, qu'un traitement soit touché sans que la fonction soit remplie. « Ne pouvant faire remonter M.Renan dans la chaire où il n'a paru qu'une fois, je crois qu'il convient de faire loyalement cesser une situation anormale et d'ap- peler M. Renan à d'autres fonctions. (( C'est de la Bibliothèque impériale qu'il est sorti pour entrer au Collège de France, et il en a emporté le titre de bibliothécaire honoraire; je prie Votre Ma- jesté de vouloir bien l'y ramener en lui confiant la place de conservateur sous-directeur adjoint au dépar- tement des manuscrits, où son érudition spéciale lui permettra de rendre au public de réels services. (( Si Votre Majesté daignait accepter les propositions 214 ERNBST RENAN contenues dans ce rapport, je La prierais de vouloir bien signer les décrets ci-joints. « Je suis, avec un profond respect, Sire, etc.. (( Le Minhtre de V 1 astruction publique^ (( V. DURUY. » Le lendemain, le Moniteur publiait les trois décrets concernant les changements importants dont nous venons de parler. Voici le texte de celui qui concernait personnelle- ment Ernest Renan : « Napoléon, « Par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Em- pereur des Français, « A tous présents et à venir, salut : « Sur la proposition de notre ministre de l'Instruction publique ; « Vu le décret du 14 juillet 1858, « Avons décrété et décrétons ce qui suit : « Art. 1^^ M. Renan, membre de l'Institut, profes- seur au Collège impérial de France, est nommé con- servateur sous-directeur adjoint au département des manuscrits de la Bibliothèque impériale. « Art. 2. Notre ministre de l'Instruction publique est chargé de Texécution du présent décret. « Fait au palais des Tuileries, le 1'^'' juin 1864. « Napoléon. « Par l'Empereur : « Le Ministre de llnstruclion publique, « V. DURUY, » EN BRETAGNE. 215 L'illustre auteur de la V ie de Jésus n'accepta pas le haut poste avec lequel on voulait atténuer l'attentat commis sur son indépendance de professeur. Il répondit au ministre Duruy par la belle lettre suivante, trop peu connue, et que nous nous faisons un devoir de repro- duire : « Sèvres, 2 juin 1864. k Monsieur le Ministre, « J'ai appris, ce matin, par la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser et par le Moniteur, que S. M. l'Empereur, par un décret signé d'hier, avait daigné me nommer conservateur sous-directeur adjoint au département des manuscrits de la Bibliothèque im- périale. « Aux des termes règlements actuels, toutefonction à la Bibliothèque impériale est incompatible avec un en- seignement. Accepter la fonction à laquelle S. M. l'Em- pereur a bien voulu me nommer serait donc donner ma démission de la chaire que j'occupe au Collège de France. J'ai déjà eu plusieurs fois l'honneur d'ex- poser à Votre Excellence les motifs pour lesquels il m'est impossible de donner d'une façon directe ou indi- recte cette démission. J'ai été porté à la chaire de langues hébraïque, chaldaïque et syriaque par les suf- frages de MM. les Professeurs au Collège de France et de mes confrères de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Cette chaire, d'ailleurs n'est pas pour moi la première fonction venue. Je l'a voulue pour 216 ERNEST RENAN elle-même et non pour le traitement qui y est attaché. Les langues hébraïque et araméenne sont ma spécialité scientifique. J'attachais beaucoup d'importance à un tel enseignement — la faiblesse des études critiques en France tenant en grande partie, selon moi, à la nullité dont les anciennes études sémitiques sont depuis long- temps frappées parmi nous. Relever ces études dans nos grandes écoles a toujours été ce que j'ai considéré comme ma tâche scientifique et comme une partie de mes devoirs moraux. (( Quels que soient les excellents souvenirs que j'aie gardés du département des manuscrits à la Biblio- thèque impériale, je n'accepte donc pas la fonction cj[ue S. M. l'Empereur a daigné me conférer hier. La chaire de langues hébraïque, chaldaïque et syriaque au Collège de France n'est pas supprimée; je ne suis pas destitué, seulement le traitement de ladite chaire est affecté pro- visoirement à un autre usage. Ce traitement, Monsieur le Ministre, j'avais continué de le toucher sans que ma dignité, dont je suis le seul juge, en souffrît; d'abord, parce qu'on me laissa espérer, lors de l'arrêté de sus- pension, une prompte réouverture; en second lieu, parce que renoncer à ce traitement eût été contraire à un état de choses contre lequel j'ai protesté en toute circonstance; en troisième lieu, parce qu'en réalité, j'ai rempli ma fonction autant qu'il dépendait de moi et même, selon mon opinion, de la manière la plus fructueuse. Dès qu'il me fut prouvé, en effet, que la réouverture de mon cours pouvait encore être fort éloi- gnée, j'ai fait chez moi, au petit nombre d'orientalistes EN BRETAGNE. îil et de philologues que mes leçons devaient intéresser, le cour^ que j'aurais fait dans la salle des langues au Collège de France. (( Ces sortes d'enseignement, je l'ai toujours dit, sont uniquement destinées à dix ou douze personnes déjà préparées et vouées aux travaux scientifiques. Aux époques les plus florissantes du Collège de France, les maîtres les plus célèbres ont procédé de cette manière, et j'ose croire que bien des cours qui se sont faits, cette année dans les salles réglementaires n'ont pas porté autant de fruits que le mien. Il ne faut pas que les étroites idées administratives de notre temps se trans- portent d'une façon trop absolue dans l'ordre des choses de l'esprit. L'économie superficielle qui regarde comme la suprême sagesse de voir le produit tangible et immé- diat de ses deniers n'a rien à faire avec la science. La science mesure les mériles aux résultais acquis et non à l'exécution plus ou jnoins ponctuelle d\ui règlement, et si jamais vous reprochez n un savant de ne pas Q(ujne.r la faible somme que l'h^tat lui alloue, croyez, Monsieur le Ministre, quil vous répondra comme je vous réponds en ce moment et selon un illustre exemple : Pecunia tua tecum sit. « Appli([uez donc, .AFonsieur le Ministre, les fonds votés pour la chaire de langues hébraïque, chaldaïque et syria(pie à telle fin que vous jugerez à propos. Je conserve un titre que je tiens à la double présentation de MM. les: Professeurs au Collège de France et de mes confrères à l'Institut. Sans traitement, je continuerai à remplir les devoirs que ce titre m'impose, c'est-à-dire 13 âl8 ERNEST RENAN k travailler de toutes mes forces au progrès des étudeâ dont la tradition m'a été confiée. (( Agréez, Monsieur le Ministre, l'assurance de la haute estime et du profond respect avec lesquels j'ai l'honneur d'être, de Votre Excellence, le très humble et très obéissant serviteur. « E. Renan. » La .réponse de l'Empereur se fit peu attendre, puisque le décret suivant destitua Renan de sa chaire : « Napoléon, « Par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Em- pereur des Français, « A tous présents et à venir, salut : « Sur la proposition de notre ministre de l'Instruction publique ; « Vu le décret du l^'^ juin 1864, par lequel M. Renan, professeur au Collège de France, est relevé de ses fonc- tions et appelé à la charge de conservateur sous -direc- teur adjoint du département des manuscrits à la Biblio- thèque impériale; « Vu la lettre de M. Renan qui refuse cette fonction et prétend conserver son premier emploi; « Vu le décret du 9 mars 185:2 portant que l'Empe- reur nomme et révoque les professeurs du Collège de France, « Avons décrété et décrétons ce qui suit : « Art. i"'. La nomination de M. Renan à la Biblio- thèque impériale est rapportée. I EN BRETAGNE. 219 « Art. 2. M. Renan demeure révoqué de ses fonctions au Collège de France. a Art. 3. Notre ministre de l'Instruction publique est chargé de l'exécution du présent décret. « Fait au palais de Fontainebleau, le 11 juin 1864. « Napoléon. (( Par l'Empereur : (( Le Ministre de l'Instruction publique, « V. DURUY. » Ce fut une faute de l'Empire. Renan était entré au Collège de France comme un savant déjà distingué; il en sortait comme un des hommes les plus célèbres de l'Europe. Après avoir essayé de se faire élire député en Seine- et-Marne en 1869, comme membre de l'opposition libé- rale (1), Renan voyageait en Norvège et en Laponie avec son ami le prince Jérôme-Napoléon, quand vint la dé- bâcle de TEmpire. Il rentra immédiatement en France, mais il se sentait sans force devant les malheurs de l'Année terrible. A noter qu'un des derniers actes peu connus de l'Empire fut dirigé contre Ernest Renan. Le 15 août 1870, l'Impératrice raya elle-même le nom du célèbre écrivain sur un décret arrêté au passage, et présenté, pour le grade d'officier de la Légion d'hon- neur, par le ministre de Tlnstr iictidn publique, M. Mau- rice Richard, à la signature de la Régente. La pièce est (1) II avait songé aussi à se présenter à Lunnion, et il l'avait écrit au lolkloriste Luzcl. 220 ERNEST RENAN aux Archives, avec cette rature significative. Etait-ce le célèbre auteur de la Vie de Jésus qu'elle tenait en suspicion ou l'habitué des dîners du vendredi du prince Napoléon?... La première réparation lui vint de la part d'un autre Breton illustre, puisque Jules Simon, alors membre du Gouvernement de la Défense nationale, lui restitua sa chaire du Collège de France, en novembre 1870. Renan revenait aussi à ses grands travaux, tout en visitant l'Italie en 1875 et en 1878. Il publiait successi- vement : V Antéchrist (1873), La Mission de Phénicie (1874), Les Evangiles et la Seconde Génération chré- tienne (1877), Mélanges d'Histoire et de Voyages (1878), le drame philosophique de Caliban (1878), L'Eglise chrétienne (1879), UEau de Jouvence (1880), Marc- Aurèle, LEcclésiaste... Son (( petit carillon littéraire » avait bien tinté, car la haute consécration de la France savante et littéraire arrivait pour Renan. Il fut élu membre de TAcadémie française le 13 juin 1878, en remplacement de Claude Bernard, par 19 voix contre 15, données à M. Wallon. Sa réception, qui eut lieu le 3 avril 1879, est l'une de celles qui font époque dans la maison de Richelieu. Mais tout n'était pas vanité pour lui, et il savait apprécier les choses à leur valeur intrinsèque. C'est ainsi qu'il défendit l'Institut, en disant un jour à un poète de ses amis : « J'ai un grave reproche à vous faire; vous et vos amis vous négligez trop l'Académie! Je vous assure que l'Académie ne mérite pas un pareil dédain. C'est après tout une institution rationnelle. EN BRETAGNE. 221 Croyez-moi : Encouragez TAcadémie. Envoyez-lui des vers à récompenser, et vous aurez fait une bonne action. » Ernest Renan n'oubliait cependant point sa Bretagne bien-aimée. Et, aux bords des sources de l'Adonis, dans les délicieux paysages de Ghazir, comme dans la capti- vante Venise ou dans les sites enchanteurs d'Ischia, l'enfant de Tréguier avait parfois la mélancolie de ses grèves natales, et, bien des fois, loin de France, il crut entendre sonner les cloches d'Ys... Le Dîner celtique devait le ramener à son pays natal. Dans la fin de l'année 1878, Ernest Renan fit la con- naissance d'un de ses jeunes compatriotes du pays de Tréguier, qui venait d'écrire un curieux article breton- nant sur le nouvel académicien. C'était Narcisse Quellien, un barde breton à barbe d'Hellène, qui avait été, vingt-cinq ans après Renan, aussi élève du petit séminaire de Tréguier. Ils parlèrent du vieux collège et des vieilles légendes d'Armorique. Ils se revirent, et, bien que Renan fût un personnage dont on ne captait pas aisément l'intimité, qui avait pour maxime la ré- serve personnelle, et qui ne vivait, chez lui, que dans un cercle très fermé de vieux amis, Quellien était par- venu, à force d'attentions, de petits soins, d'assiduité, de quotidiens services, à s'immiscer, sinon dans la vie intellectuelle, du moins dans l'existence familiale du Maître et surtout dans sa vie bretonne. Comme, pour les admirateurs intimes et aussi pour tous les Bretons, le nom de Quellien restera attaché à celui de Renan le Celtisant, dont il fut l'humble et ser- ERNEST RENAN viable assistant, le a famulus », nous devons tracer ici le véritable rôle, près du Maître, de ce barde égaré à Paris et qui eut maintes fois les honneurs de la chronique parisienne. « Il remplissait auprès du grand écrivain ces fonc- tions incertaines, aux attributions imprécises, qui attachent certains esprits dévoués, attentifs et ser- viables, à la vie, à l'œuvre, à la mémoire des hommes célèbres. Ce sont des fonctions auxquelles on se nomme soi-même... Quellien faisait les courses chez les édi- teurs, dans les journaux, soignant la gloire du grand homme; en voyage, il surveillait les bagages, préparait les logis, discutait avec les voituriers et les aubergistes, et remplissait avec zèle et intelligence l'emploi de fourrier qu'il s'était donné (1). » Ajoutons que l'ami Quellien avait aussi pour mission de solliciter Renan, de l'amorcer, pour ainsi dire, dans les dîners bretons où il allait. Il fut pour l'illustre Breton ce qu'Eckermann fut pour Gœthe, Paul Meurice pour Victor Hugo. Et ce ne sera pas sa plus petite gloire. Pour nous, Bretons, il fut encore l'organisateur et l'âme du Biner celtique^ que la présence de Renan rendit célèbre... Tout d'abord, au printemps de 1879, le Dîner cel- tique ne fut qu'une simple réunion de poètes, de prosateurs et de linguistes bretons ou de personnes s'occupant d'études bretonnes ou celtiques. M. Paul (1) Edmond Lepelletier {Echo de Paris du 19 mars 1902). EN BRETAGNE. 223 Sébillot (1), qui en fut le promoteur avec Quellien, avait choisi comme restaurant le très modeste entresol du Café d'Alençon, place de Rennes, où l'on dînait dans les prix doux et où il y avait parfois des dîners d'artistes. C'était le plus près possible de la gare où l'on met pied à terre en arrivant de Bretagne et que l'on prend pour y revenir... Il ne comptait guère qu'une douzaine de convives, souvent pas, dont les plus assidus étaient naturelle- ment ceux qui habitaient Paris. Citons leurs noms. Atout seigneur tout honneur : Narcisse Quellien, puis Paul Sébillot, Alexandre Bertrand, J. Loth, l'abbé Martin, F. -M. Luzel, Arthur Rhoné, H. de la Ville- marqué, puis Henri Gaidoz, d'Arbois de Jubainville, Anatole de Barthélémy, Henri Martin, Eugène Rolland. Ces cinq derniers ne se rattachaient à la Bretagne que par leurs études. C'était un repas de causeries à 5 francs par tète, où l'on venait pour deviser une fois par mois des choses du pays. Il se terminait toujours par l'audition de vieilles chansons populaires de Bre- tagne, et les vitres de la modeste petite salle tressail- laient quand M. Hamonic jouait du biniou... « Le deuxième samedi du mois, les Celtisants se réunissent aux abords de la gare Montparnasse, presque au bout de la route qui ramène les Bretons au pays natal. Et dans un coin de ce carrefour de Paris, où se heurtent tant de races et de nations, nous venons parler de la Bretagne, de nos absents; nous chantons (1) 11 avait aussi fondé La Pomme eu i^ll, avec Léonce Petit. 224 ËRNËST tlENAN (Fantiques gwerz ou des sônn populaires, tout comme nous les avons entendus dans quelques fermes ou sur la place d'un pardon (1). » N. Quellien y amena, vers l'été de 1879 (2), Ernest Renan, qui en accepta aimablement la présidence. Le barde transforma alors le modeste dîner des Celtisants en une gigantesque Table-Ronde des Lettres contem- poraines, car il fit admettre gaiement que les limites de la race celtique sont les limites même du monde, et toutes les races y reçurent le même cordial accueil. La poésie y déborda dans les langues les plus diverses, et Quellien lui-même se faisait applaudir en « brezonek », même par ceux qui n'y comprenaient pas un traître mot. C'était du panceltisme fin-de-siècle, de l'ethnographie complaisante, parfumée d'un éclectisme enthousiaste. Cette modification des premiers « Dîners celtiques » eut pour résultat d'en écarter quelques-uns des con- vives de la première heure, qui ne trouvaient plus la réunion assez intime ni assez celtique. L'élément celto- phile y était encore dominant pendant les premières années que Renan présida le Dîner celtique, et l'on y voyait, outre l'illustre Trécorrois, Alexandre Bertrand, Henri Martin, de la Villemarqué, Loth et Luzel; plus tard, il fut noyé par ceux qui venaient au « dtner » (1) Allocution de N. Quellien à Quimper, en 1885. (2) Le premier Biner celtique présidé par Renan eut lieu le 18 juin 1879, et le second, le 14 juillet, même année. C'est à celui-ci que le Geltisant Luzel envoya une caisse de crêpes bre- tonnes, accompagnées d'une pièce de vers intitulée : Krampouez pardon Plouaret. EN BRETAGNE. z!z5 pour voir et pour entendre Renan. Sa brillante person- nalité y attira, en effet, à côté des Celtisants, beaucoup de ses compatriotes et nombre d'hommes de lettres de tous pays. Citons, parmi ceux-ci : MM. Waldeck- Rousseau, Armand Rousseau, François Coppée, Marcellin Ber- thelot, Georges Perrot, André Theuriet, Bourget, Jean Richepin, Gabriel Vicaire, Edmond Lepelletier, Pierre Zaccone, Maurice Bouchor, Charles Le Goffic, etc., qui furent souvent ses assesseurs au dîner des Bretons. Le fondateur du Dhier celtique s'est défendu du re- proche qu'on lui a fait d'en avoir entr'ouvert les portes à des étrangers, et il dut répondre qu'aux repas des pardons^ en Bretagne, des invités sont admis à s'asseoir entre les gens nombreux de la commune famille; puis, que M. Renan accueillait avec le même sourire que les siens ces « gens du dehors ». Ceux qui ont entendu Renan dans sa chaire du Collège de France ou qui l'ont considéré à l'Institut ou dans d'autres cérémonies officielles, mais qui ne l'ont pas vu au milieu des Bretons du Dîner celtique, ne s'imaginent pas quel était ce grand Celtisant. Car c'est surtout pour ceux-là que l'éminent écrivain se faisait accueillant, facile, avec un mot aimable pour tous ses convives, et puisant dans le merveilleux trésor de ses souvenirs. On connaît l'académicien, avec son air tantôt aimable et tantôt impassible, lorsqu'il écoutait ce qu'il lui conve- nait d'entendre, sans blâmer jamais. Quelquefois, chez les autres ou dans son salon, il passait la soirée tout 13. 226 ERNEST RENAN entière dans la pose attentive qu'a vulgarisée le tableau de Bonnat. Dans la placidité de la face large et glabre, à peine éclairée par les yeux mi-clos, on devinait l'éternel rire intérieur; les mains demeuraient posées à plat sur ses genoux ou bien étaient croisées, de pauvres mains d'arthritique nouées et difformes. Quel- quefois, son attention n'étant plus sollicitée suffisam- ment, il abaissait ses paupières sur ses grands yeux clairvoyants, et sa pensée continuait de s'agiter dans son for intérieur. Mais un sourire de douce béatitude se jouait sur ses lèvres, comme si la douleur elle-même — dans ses dernières années surtout — n'eût pu venir à bout de cette joie réchauffante, de cette sérénité invincible qu'il a gardées jusqu'à la mort. Or, il ne recherchait pas ces repos factices quand il présidait les Bretons du Dîner celtique, et il y vibrait de tout son être moral et physique. Les gravures qui ont consacré ce banquet des admirateurs du Maître l'ont bien représenté sous cet aspect. Renan assistait à deux ou trois Dîners celtiques par an, surtout à ceux qui rappelaient les fêtes coutumières bretonnes : à la rentrée de novembre, aux Rois, en janvier, et à la réunion d'avril, que Quellien appelait le grand Pardon des Bretons. Et c'était un vrai régal de l'entendre causer familièrement, et à propos de tout, des îles italiennes ou des paysages de Norvège, des vieux saints d'Armorique ou d'histoires d'Orient; mais c'était surtout les légendes de la Bretagne et ses sou- venirs d'enfance qu'il éparpillait ainsi avec une élo- quence familière, qui n'avait pas d'égale... EN BRETAGNE. 227 A travers ces inénarrables et charmantes causeries, la joie de tous ses auditeurs, qui attendaient sa parole caressante, subtile et délicieusement ironique, avec une angoisse frémissante, il fallait remarquer combien était changeante la figure de ce narrateur incompa- rable, suivant les événements et suivant les paysages. De fait, la mobilité de la physionomie était un carac- tère peu remarqué chez l'auteur de la Vie de Jésus, qui avait toujours la même pose avec un autre public. Il avait la constante habitude de tenir ses yeux ouverts au large, signe de force et reflet de placidité. Un le voyait aussi, sur une interruption, tourner la tête entièrement, le cou à découvert et l'œil toujours dans son plein, de même qu'un lion enfermé accompagne de la tête, l'œil fixe, tous les mouvements du curieux qui l'environne (1). Renan se plaisait beaucoup dans ce milieu sans gène du Dîner celtique , où tout le monde, cependant, avait pour lui une déférence, affectueuse chez les uns, respec- tueuse chez tous. C'est une véritable joie enfantine qu'il goûtait à présider ces fraternelles agapes, en mangeant des crêpes et en buvant du cidre de son pays. C'est lui-même qui nous a donné ces détails (2). « Quellicn prolongea ma vie de dix ans quand, vers 1880, il m'invita à ces réunions pleines de gaieté et de cordialité. J'y retrouve tous mes vieux souvenirs ; je (1) Notes de N. Quellien. (2) Feuilles détqchéed. :228 ERNEST RENAN me crois rajeuni de cinquante ans. (Il n'avait que soixante ans !) « J'y parle beaucoup, et comme j'aime à parler aux dîners, sans compter ni préparer mes paroles, j'en sors comme d'un voyage en Bretagne, gai, relativement dispos, ardent au travail, rattaché à la vie... L'amitié de ceux qui m'écoutent leur fait, d'ailleurs, trouver du plaisir à se rappeler les propos décousus, qui n'eurent d'autre intérêt que l'abandon avec lequel ils furent dits... » Cet abandon est significatif chez le Maître. L'on n'ignore pas que tous ses livres ne contiennent que d'incomplètes révélations, et qu'il en enveloppe d'autres dans des décors étendus pour voiler la nudité du paysage ou la réalité brutale des faits. Il cachait son véritable état d'âme quand il écrivait. La clarté de sa phrase, si limpide, n'a jamais fait toute la lumière sur sa conscience, fermée comme un tabernacle. Il n'a jamais dit que ce qu'il a voulu dire, et tout était pesé, mûri, calculé. Or, si ce savant penseur, toujours si fermé et si maître de soi dès sa jeunesse, a entr'ouvert un peu les portes de sa conscience, de son « moi » ou de son cœur, ce n'est que dans la liberté de ces entretiens entre com- patriotes; c'est peut-être là seulement qu'il a précisé, QA confidences familières, les traits vagues et obscurs de sa pensée intime, de son caractère... Les Dînera celtiques nous ont valu le « Renan intime »; c'est pourquoi il faut remercier le regretté Narcisse Quellien d'avoir créé ces modestes repas de Bretons, EN BRETAGNE. 229 qui rappelaient les banquets philosophiques des anciens maîtres de la sagesse humaine. Il faudrait pouvoir réunir ici toutes ces originales causeries, et il est très regrettable qu'elles n'aient pas été sténographiées. On nous a assuré que l'assistant d'Er- nest Renan avait conservé des notes et des témoignages de ces récits particuliers et si vivants, et que son fils, M. Georges Quellien, les publiera un jour. Que ce soit le plus tôt possible. En attendant, nous ne pouvons qu'en citer ici quelques-unes, même de simples extraits : Certain soir, la Judée et les Juifs de Jérusalem eurent tous les honneurs du Dîner celtique. Renan donna une curieuse explication du séjour ou des pèlerinages que font les Juifs à Jérusalem. C'est que là on est plus près de la vallée où l'ange (iabriel, d'après une croyance hébraïque, est chargé d'amener les morts confiés au tombeau, par une route souterraine, pour que le trajet soit moins long, et leurs cadavres moins roulés sur cette voie d'outre-tombe, les pèlerins, avant de mourir, se rapprochant de la Terre promise. C'est sans doute pourquoi aussi ceux qui habitent le sanctuaire de la patrie se prétendent les plus nobles de la race... Une autre fois, au lieu du Liban, ce furent les col- lines armoricaines dont il fut question, ainsi que nombre de curieuses réminiscences à la fois de la grande Bretagne et de la petite. Au Pardon de 1889, le grand Trécorrois parla des pardons d'autrefois de Bretagne et de celui de sa ville natale. « A Saint-Yves, disait-il, par exemple, près de Tréguier, je me rappelle cette chaire adossée au mur de 2130 ERNËST RENAN l'église — au moyen âge, vous le savez, on prêchait en plein air. On arrivait à la chaire par une échelle : aucune autre communication, ni par l'intérieur, ni par rextérieur; aucun escalier. Le prédicateur escaladait la bajustrade et parlait. En somme, ce qu'on disait était assez dans mes cordes, au moins quand on y prêchait le pardon des injures, la réconciliation; si mon cher saint Yves a inspiré de son tombeau une si bonne doc- trine, je suis deux fois son disciple... Saint Yves est un des hommes qui ont le plus honoré la Bretagne. Sa réputation s'est étendue, au xv^ siècle, dans le monde entier. Un Bas-Breton qui fait parler de lui le vaste monde a bien à cela quelque mérite. Pour trouver un saint avocat, on a dû venir le chercher jusqu'en Basse- Bretagne ; c'est qu'il n'y en avait pas beaucoup ailleurs. Mon Dieu! j'aimerais bien, du haut de cette chaire, ou de toute autre, faire un sermon laïque. J'étais fait pour prêcher. Du reste, n'est-ce pas? je suis un curé raté, et le costume civil ne me va pas du toutl (Rires.) J'aurais voulu prêcher dans un pardon en Bretagne, et ce que j'aurais aimé, je le répète, c'est la pacification. Les hommes sont trop divisés, cela m'attriste... » Parfois, au Dîner de novembre, son président parlait de ses vacances en Bretagne et de tout ce qu'il y avait revu, des souvenirs d'enfance et de ses petites connais- sances d'autrefois, des jeunes filles jolies de son temps, des oiseaux de son pays natal et de leur touchante mythologie, comme, par exemple, la légende de « l'oi- seau qui se scie le cœur ». C'est à lire dans ses Feuilles détachées... EN BRETAGNE. 231 Ecoutez ce récit d'un de ces Dîners celtiques, à l'époque de la fête des Rois, et où le poète Coppée était son assesseur : « C'était au mois de janvier et l'on avait décidé de tirer les rois. Le barde Quellien avait récité un certain poème, qu'il eut la précaution de traduire en français pour ceux des convives qui n'entendaient point la langue celtique (et ils étaient apparemment en majorité). Le président écoutait avec attendrissement ces strophes plaintives : La cloche de Ker-Is sonne tous les sept ans; Sur la grève on s'arrête à l'écouter longtemps... Ce même son voilé, tous les mois je l'entends. Le corn bout en Argoat sonnait la fin du jour, A votre voix, Renan, nous marquons le retour Des fêtes au pays; Breiz vous tient en amour... « La blonde galette fut apportée. C'était l'instant des harangues. Renan parla, comme il savait parler, sans apprêt_, avec une négligence où se dissimulait la malice. Il s'adressa à ses voisins et plus spécialement à François Coppée, qui ne se passionnait alors que pour la beauté, l'art et les lettres. Léon Durocher sténographia cette allocution, qui mérite d'être sauvée de l'oubli. « — Vous savez, contait Renan, combien j'ai hor- reur des discours. Et, cependant, je ne puis m'empécher de songer aux rois mages... Oh I ces bons rois mages!... Oui, j'ai une dévotion particulière pour ces excellents rois mages. Dans ce temps-là — c'est le bon temps — les mages étaient rois, les rois étaient mages. Ce sont ^3â ERNEST RENAN là nos vrais patrons, à nous Bretons. Nous autres, idéa- listes, détachés des choses de la terre, nous suivons comme les mages une étoile, sans trop savoir où elle nous conduit. Ils avaient des attributs différents : L'un portait l'encens, l'autre portait la myrrhe. Et le troi- sième — Goppée, soufflez-moi donc 1 — Ah ! oui ! le troi- sième portait l'or. Ah! dame! c'étaient des rois bien chimériques. Et s'ils arrivaient à Paris et se présen- taient au suffrage universel — oh! certainement, nous voterions pour eux, nous autres, n'est-ce pas, Quellien? — Mais aussi, comme nous ferions un beau fiasco! Oh! un fiasco complet! Ces pauvres rois mages, comme ils seraient battus ! Ils seraient victimes du suffrage uni- versel. Evidemment, le suffrage universel est une belle chose. Mais je crois que les rois mages auraient mieux fait de se présenter en Bretagne. Là, peut-être, — car enfin c'étaient de vrais idéalistes, — on leur eût fait fête. Je n'en doute pas. On les eût nommés à l'una- nimité souverains de ce royaume, dont nous faisons tous partie, dont nous sommes les fidèles sujets, le royaume d'éternelles chimères. Si j'avais été curé de campagne, comme c'était évidemment ma vocation, — quelle profession charmante!... comme on peut y faire du bien et être heureux! — j'aurais prononcé tous les^ans le panégyrique des rois mages... Aussi je veux porter un toast, avec cet excellent cidre, à la santé des rois mages, à la santé de Melchior, de Balthasar, de Gaspard. « Au moment où Renan leva son verre, nous criâmes tous : EN BRETAGNE. 233 « — Quel est le roi? « Renan découpa le gâteau qui était devant son assiette et reprit nonchalamment : « — Oui, quel est le roi?... Ah! il faut voir cela. Tiens! est-ce que ce serait moi, par hasard?... « Ajoutons que le hasard avait été un peu dirigé par N. Quellien. « — Oh! mon Dieu!... Ah bien! je m'aperçois un peu tard qu'en buvant à la santé de Balthasar, j'ai bu à ma santé ! Messieurs, je suis vraiment touché. Me voilà roi ! J'ai pour insigne la fève ! Quelle délicieuse royauté que celle de la fèveî C'est peut-être le hasard qui m'a favo- risé. Mais je suis plus heureux que si j'avais été nommé par le suffrage universel. Buvons donc à la fèveî aux rois mages! et à la forêt de Brocéliande (1) ! » Lorsque Renan se trouvait au Dîner celtique, en pré- sence d'un invité de marque, à la situation particulière, militaire, voyageur ou homme politique, il savait varier avec un à-propos étincelant ses improvisations atten- dues. Ainsi, à l'une de ces agapes, il avait à sa droite M. Waldeck-Rousseau, alors éloigné de la Chambre et dont on souhaitait la rentrée aux affaires. Le pré- sident prononça une courte mais bien fine allocution où la politique était en cause — ce qui lui arrivait bien rarement. Et cela sous la couleur de la légende des Sept Dormants : « C'étaient des frères, ensevelis dans une crypte bre- tonne, plongés dans un sommeil profond, mais hanté (1) Notes de notre confrère A. Brisson. 234 ERNEST RENAN de rêves, de visions, de cauchemars peut-être. Impa- tients d'un réveil, toujours ajourné, les Sept Dormants, à de certaines époques, éprouvaient des sursauts et brusquement changeaient de position, de gauche pas- sant à droite, pour reprendre ensuite leur première position, sans que, pour cela, leur sommeil fût moins agité, sans atteindre le repos complet, le bien-être absolu qu'ils cherchaient tantôt à droite, tantôt à gauche. » Cet apologue des Sept Dormants fit beaucoup sou- rire MM. Waldeck- Rousseau et Berthelot, les deux hommes politiques importants présents, et l'échange des propos des assistants, sur la perpétuelle oscillation de la France, toujours en rumeur comme un océan, avec ses flux et ses reflux d'opinions, couvrit pendant un instant le chant des Sabuts de la reine Anne et la plainte nasillarde des joueurs de binious et de bombar- dons, dont Quellien s'improvisait le chef d'orchestre... Terminons ces aperçus des discours d'Ernest Renan au Dîner celtique par celui qu'il prononça au Dîner du 10 mars 1888, et qui est peu connu. C'est encore un excellent Celtisant qui le nota séance tenante : « Notre ami Quellien est véritablement un homme incomparable, et si j'étais le bon Dieu ou le Président de la République, ou quelque chose de semblable, je l'attacherais sûrement à moi comme publiciste. C'est un orateur incomparable : il vient de nous faire une histoire du celticisme à Paris, qui est un prodige de profondeur. Il aurait peut-être pu, il est vrai, trouver quelques points à rectifier, quelques points méticuleux EN BRETAGNE. 235 à examiner en détail, mais, naturellement, nous ne fai- sons pas ici une théorie de l'érudition... « Je vous remercie, mon cher Quellien, d'avoir fondé le Dhier celtique. C'est bien une bonne institut'on, c'est une chose excellente que vous avez faite ce jour-là, je vous assure , et vous en remercie sincèrement... u II y a neuf ans et plus que la fondation en a été faite. Je n'y étais pas dès le premier jour, mais peu s'en faut, et je vous avoue que j'ai passé dans ces réu- nions d'excellentes heures, et j'y reviens, surtout à ce moment de l'année, plus solennel que les autres, avec infiniment de bonheur. (( L'année dernière, à cette époque du Pardon, je me demandais si je me trouverais l'année suivante au nou- veau Pardon... et j'y suis encore, et je m'y trouve avec cette Bretagne, ces Bretons que j'aime tant... « Autrefois, au xvii* siècle, on faisait ce que l'on appelait une retraite. C'était une bonne chose : avant la fin de la vie, on mettait un intervalle qui séparait la vie de la mort. Ce devait être un moment bien agréable à passer. « Aujourd'hui, matériellement parlant, la Bre- tagne est trop petite, si bien qu'on se trouve entraîné, on est obligé de continuer sa vie comme on l'a com- mencée. « J'aurais bien aimé à me retirer dans une petite maison de Tréguier, par exemple, — dont je ne suis pas propriétaire, et je ne serai jamais propriétaire, je n'ai pas été fait pour ça; — j'aimerais bien vivre au milieu de ces excellentes gens de Bretagne; mais, à 236 ERNEST RENAN défaut de cette retraite, j'aime à me trouver au milieu de tant de sympathies si sincèrement exprimées. [Ap- plaudissements.) « Je compte beaucoup sur vous, mes amis... (( Vous serez mes témoins après ma mort. <( ... On dira, en effet, sur moi beaucoup de choses après ma mort; je m'amuse même quelquefois à m'ima- giner ce qu'en diront mes biographies — car il y en aura plusieurs dissemblantes. — Mais quelle sera la vraie? Oui, on dira de moi d'étranges choses. Il m'a paru que c'était une étrange littérature que celle qui consistait à tirer de mes conversations des renseigne- ments incomplets, comme s'ils étaient véridiques... J'ai même reçu la visite de quelqu'un qui a ainsi jugé de mes sympathies littéraires. Il a vu à Lannion un livre de ma bibliothèque qui était très mal relié. J'ai là- bas un nombre considérable de livres, une bibliothèque assez importante, et, entre parenthèses, je voudrais bien trouver un relieur. Mon visiteur a vu un livre excessi- vement mal relié : il en a conclu que c'était mon livre de prédilection. C'est là un genre d'induction véritable- ment un peu hasardé et qui me fait énoncer, par exemple, des opinions qui sont l'inverse absolu de la vérité. Ce genre de littérature n'est pas à encourager. C'est un peu fort, mais, que voulez-vous, cela ne tire pas à conséquence, je n'ai jamais réclamé et je ne récla- merai certainement pas... « On a dit aussi, dans un article que vous connaissez, que je trouvais inconvenants les couplets de la Reine Anne. Pour moi, je vous avoue que je ne m'en suis EN BRETAGNE. 237 jamais aperçu. Je ne les ai jamais trouvés méchants. Ils ne présentent pas de bien graves inconvénients. « ... Non, il faut s'élever plus haut. Pour moi, Mes- sieurs, je crois à la vérité absolue. Il n'y a qu'un être dont nous ayons un intérêt suprême à connaître l'opi- nion, c'est la vérité absolue. « Elle existe. On doit tout faire pour l'atteindre. Eh bien ! vous serez mes témoins. Messieurs, pour dire que je n'ai pas été tout à fait aussi méchant qu'on veut bien le dire. Beaucoup de gens me damnent complètement depuis ce discours que j'ai prononcé pour la propagande de la langue française. {Applaudissements.) « Je ne trouve pas cela bien. Je sais que j'aurai un purgatoire à souffrir. Tout le monde a quelque chose k purger. Ce sera peut-être l'an prochain que je le ferai, mon purgatoire. On y verra des choses charmantes; on y verra peut-être un Dfner celtiquel... Eh bien! Mes- sieurs, je me fie à vous pour rectifier les choses proba- blement fausses qui circulent de mon vivant et qui cir- culeront encore plus persistantes après ma mort. En tous cas, ceux qui me connaissent diront que j'ai été un brave homme; pas un homme de lettres (1), — oh! pour (l) E. Renan n'a jamais appartenu à la Société des Gens de lettres, [l l'a explit|ué un jour, en 1883, à un de ses compatriotes de Saint- Bricuc , M. Le Maoùt, dans une lettre peu connue : « Cher Monsieur, je ne suis pas de la Société des Gens do lettres. Ce qui jn'a toujours empêché d'en faire partie, c'est que je n'aime pas à voir des gendarmes s interposer entre moi et les personnes (jui me font l'honneur de me citer. Si quelqu'un trouve qu'une page de moi oCFiu de l'intérêt, je le remercio et iiç lui fais pas de procès... u 238 ERNEST RENAN cela, non, — mais un brave homme... Aussi ceux qui se souviendront de moi amélioreront ma situation dans l'éternité. . C'est ainsi que j'aurai obtenu la béatitude éternelle... Et — pour terminer à la façon d'un prédi- cateur — c'est le bonheur que je vous souhaite à tous... » Malheureusement, les textes, rapportés plus ou moins exactement, ne pourront jamais rendre l'effet de ces persuasives et spirituelles allocutions, où les phrases étincelaient comme des gemmes, où les périodes décri- vaient leurs volutes ciselées comme des coupes, et où les intonations significatives, surtout les silences élo- quents, étaient remplis de sous-entendus d'une expres- sion véritablement suggestive. Afin d'aider à conserver le souvenir le plus exact de ces agapes bretonnes, dont Ernest Renan fut l'idole, et qui ne lui ont guère survécu, surtout après la mort de leur fondateur, nous publions le menu d'un des menus du Dîner celtique : DINER CELTIQUE Du ^8 Juin 4889 Potage Tapioca Hors-d'œ Livre variés Saumon de la Loire Chateaubriand sauce madère Haricots verts de Roscoff EN BRETAGNE. 239 Canetons de Rohan Salade Desserts assortis Màcon, Cidre Café, Cognac Hôtel-Restaurant de la Marine 59, boulevard du Montparnasse Le Dîner celtique eut tout pour lui, et la renommée de son illustre président et encore une bonne presse, grâce à Quellien, qui le soignait à sa façon, dans nombre de grands journaux; il eut même les honneurs de la presse illustrée et l'ironie de la caricature. Cependant, il y eut un temps où il était peu connu dans le monde érudit. Le grand Celtisant du Collège de France a même raconté à ce sujet quelques anecdotes peu connues. Il assistait, un jour, à la Sorbonne, à la soutenance d'une thèse d'un de ses anciens élèves, M. J. Loth. Le sujet de la thèse était : L'Emigration bretonne en Armo- rique aux v^ et vi*^ siècles. M. Loth avait conservé des réunions du Dîner celtique un souvenir si agréable, qu'il crut acquitter une dette de reconnaissance en dédiant sa thèse : « A mes Amis du Dîner celtique », Le doyen de la Faculté des Lettres, M. Himly, pro- testa séance tenante contre cette dédicace, ne la trou- vant pas assez solennelle, faisant remarquer au jeune docteur es lettres qu'il aurait dû lui soumettre sa dédi- cace, et que c'était la coutume depuis le jour mémo- rable oii un étudiant en médecine avait fait paraître la 240 ERNEST RENAN sienne avec cette dédicace en gros caractères : A mes Amis du Cochon fidèle. M. Loth n'eut pas de peine à démontrer qu'il n'avait pas voulu manquer de respect à la Sorbonne et qu'il était quelque peu étonné lui-même que le Dîner cel- tique scandalisât le maître d'un établissement où le Banquet de Platon était en si grande estime, d'autant plus que, si Platon n'assistait pas au dîner portant son nom, pas plus qu'au Dîner celtique, celui-ci avait pour président fidèle et assidu M. Renan. Le doyen évita de répondre et porta ses critiques sur d'autres points de la thèse présentée. Ernest Renan devait bien sa bienveil- lance à ce jeune commensal breton... Il y avait aussi des « sauvages ))(!), qui ne paraissaient pas au Dîner fondé par Quellien et les Geltisants; parmi eux, un autre élève de M. d'Arbois de Jubainville. Ce maître put à peine obtenir de lui qu il fît une visite au grand savant originaire de Tréguier, alors même que Renan avait chargé son collègue du Collège de France d'une aimable invitation pour lui. Or, un jour, ce jeune rebelle fut candidat au prix Volney, où Ernest Renan était un des juges. En même temps, parmi les candi- dats, était le propre gendre de Renan, M. J. Psichari. Celui-ci se retira, et ce fut le Breton obscur et récalci- trant, M. Ernault, qui obtint le prix Volney. Belle ven- geance, digne de l'illustre apôtre de la tolérance... (l) Malgré ce qu'en dit réminent directeur de la Revue Celtique, son élève Ernault n'avait rieu de « sauvage », car il allait souvent voir E. Renau. EN BRETAGNE. 241 L'auteur de la Vie de Jésus fut le président du Dîner celtique jusqu'à sa mort, et il fallait qu'il fût véritable- ment malade ou sérieusement indisposé pour ne pas y assister. La dernière fois qu'il parut au Dine?' celtique, ce fut au pardon annuel de mai 1892. Il était déjà bien malade et revenait du Midi. Trop souffrant pour assister au dîner, il ne vmt qu'au dessert, à neuf heures, avec son fils Ary. C'est là qu'il conta aux convives et à ses com- patriotes, les Bretons de Paris, et de sa voix douce, qui semblait déjà une voix de l'au-delà, la légende de Notre-Dame-de-Délivrance de Runan. Comme l'excellent Quellien, dans une de ces improvi- sations étonnantes qui lui étaient familières, venait de l'inviter au grand « Pardon » breton de 1900, Renan sourit et accepta, en effet, cette manière de rendez- vous qui lui promettait huit longues années de fertile labeur et de gloire incontestée. 11 n'a pu voir ce dîner breton du nouveau siècle. Mais il était quand même parti heureux pour l'Elysée des Celtisants, car le Dhier celtique l'avait ramené, de son vivant, et en triomphe, dans sa chère ville natale de Tréguier, et encore pour passer ses vieux jours dans sa Bretagne bien-aimée... li VII Le Retour au pays natal. — Le Dîner celtique de Tréguier. Dans certain vieux conte breton, il est avéré qu'une malédiction pèsera sur rémigré qui n'aura pas revu, avant de mourir, son clocher paroissial. Renan demeura toujours fortement attaché à sa loin- taine Bretagne, dont les nécessités de la vie et les mis- sions à l'étranger le tinrent si longtemps éloigné. Ce n'était pas l'enfant prodigue, mais bien, aux yeux d'une grande partie de la population, Caïn le maudit — sur- tout après la publication de la Vie de Jésus. Pour revenir à la maison natale, il eût suivi le fil de la Vierge... C'est \e Dîner celtique qui devait le ramener définitivement à Tréguier... (( Si courtes et si rares ont été les apparitions que j'y ai faites (dans la ville de Tréguier), depuis que le vaste monde m'a entraîné, que je peux dire qu'il y a quarante ans que je l'ai quittée. Quarante ansi Quei EN BRETAGNE. 243 long espace dans les choses humaines!... » disait-il un jour à ses compatriotes (1). Un événement de famille devait hâter son premier retour au pays natal. M"^^ Renan mère mourut à Paris, en juin 1868. Nous avons donné la lettre inédite dans laquelle le célèbre Trécorrois annonce ce nouveau deuil à son locataire de la maison natale de Tréguier, dont il devenait le principal propriétaire, et où il prévoyait un voyage prochain, en septembre, au pays de Goëlo. Sans nul doute, c'était un voyage d'affaires, mais il en profita aussi pour revoir quelques-uns des membres de sa famille. Après avoir déjà annoncé son futur voyage à Tréguier à son locataire Le Bigot, Renan en parle aussi à son ami , l'érudit Celtisant Luzel , dans une lettre du 23 juillet 1868 : « J'irai peut-être à Tréguier au mois de septembre », lui dit-il brièvement, après autre chose. Il lui en reparla dans une seconde lettre, datée du 10 septembre de la même année : « Provisoirement, j'ai fixé mon départ pour la Bretagne à lundi prochain, 14 septembre, au matin. Je vais directement à Guin- gamp, où je serai vers neuf heures du soir. Le lende- main, je prendrai une voiture pour Tréguier (2). » M™^ E. Renan, qui visitait la Bretagne pour la pre- mière fois, accompagnait son mari. De Guingamp, les illustres touristes se rendirent à (1) Discours de Tréguier, 2 août 1884. (2) Lettres inédites de Renan à Luzel. (Collection A. Le Braz.) 2M ERNEST RENAN Tréguier, où ils descendirent à riiùtel. Peu de traces restent de leur passage, sinon de curieuses lettres que nous avons pu retrouver. Ils préféraient passer ina- perçus, car c'était le premier retour au pays natal depuis que Renan avait quitté le séminaire, et il n'y avait encore que peu d'années que la Vie de Jésus avait paru. Jules Simon, passant à Tréguier, après avoir visité la maison natale de son ami Renan, voulut aller au petit séminaire de Tréguier, oii il avait fait ses pre- mières et subsiantielles études. « Je fus reçu au petit séminaire, dit-il, avec la plus grande cordialité, malgré ma qualité de philosophe et d'ancien universitaire. Le supérieur ne me laissa pas lui exposer le but de ma visite. « — Vous venez au berceau de Renan ! me dit-il. (( Et tout de suite : (( — Quel admirable esprit! quel grand écrivain! Et quel malheur qu'il soit sorti du bon chemin !... mais, Monsieur, nous sommes tous ici persuadés qu'il revien- dra, et nous prions Dieu avec ardeur pour obtenir sa conversion... (( Je me gardai d'insister sur ce sujet brûlant, et le bon supérieur évita lui-même d'y revenir... » Ainsi que l'avait fait Jules Simon, Renan désira revoir les lieux qui abritèrent sa jeunesse, surtout le collège de sa ville natale, où il avait passé une enfance si studieuse. Avec son tact, sa grâce et sa prudence habituels, il EN BRETAGNE. 245 écrivit la lettre suivante au supérieur du petit sémi- naire : « Tréguier, le 21 septcmbic 1868. « Monsieur le Principal, « Je ne puis quitter Tréguier, où je suis revenu ravi- ver de vieux souvenirs, sans vous dire pourquoi je me suis abstenu d'aller rendre mes devoirs à un établisse- ment auquel se rattachent les meilleurs de mes sou- venirs. Je sais la délicatesse et la profondeur des convic- tions religieuses; comme tous les sentiments exquis, cette délicatesse entraîne parfois la susceptibilité. J'ai crains que ce qui n'est à mes yeux qu'un dissentiment, n'empêchant en aucune manière la sympathie, ne fût pour d'anciens amis un motif de me revoir sans joio. Voilà uniquement ce qui ma fait me priver d'un des plaisirs les plus vifs que j'aurais eus, le plaisir de visiter une maison à laquelle je dois de précieuses leçons d'honnêteté et de sérieux, où j'eusse trouvé vivante la mémoire de maîtres vénérés, oii j'eusse rencontré d'an- ciens condisciples auxquels n'a cessé de m'unir la plus vive amitié. « Agréez, Monsieur le Principal, l'expression de mes sentiments infiniment distingués, avec lesquels j'ai l'honneur d'être votre tout dévoué serviteur. « Ernest Renan. » A cette demande si exquisement voilée de rendre visite à d'anciens maîtres qu'on voudrait avoir encore pour amis, le principal du collège de Tréguier répondit par cette non moins exquise lettre, oii le refus se parc 14. 246 ERNEST RENAN de formules d'une parfaite politesse et d'une courtoisie si délicate : « Tréguier, 28 septembre 1868. (( Monsieur, « J'étais absent pour quelques jours lorsque votre lettre a été remise au concierge ; vous voudrez donc bien excuser le retard que j'ai mis à vous répondre. « La maison de Tréguier n'est point indifférente à l'égard de ses anciens élèves; elle est heureuse et fîère de leurs succès, et elle y applaudit vivement. (( Ainsi, lorsque fut couronné votre travail sur les Langues sémitiques, tout le collège de Tréguier se réjouit de votre triomphe et prit plaisir à le publier. Mais que nous avons payé cher ces moments de joie, car depuis... hélas! « Je ne veux point vous le dissimuler. Monsieur : c'eût été pour nous une grande douleur de revoir un ancien enfant de Tréguier qui eût pu être la gloire de ce petit séminaire, et qui en est la plus amère tristesse. C'est parce que vous connaissez « la délicatesse et la pro- fondeur des convictions religieuses » que vous pouvez vous expliquer ces sentiments de vos anciens maîtres et amis. Car entin, Monsieur, à s'en tenir à vos divers écrits, ce ne serait pas quelque chose « d'honnête et de sérieux » que vous auriez jadis puisé dans cette maison, mais une honteuse idolâtrie. « Cependant, Monsieur, nous sommes bien loin de croire que nous n'aurons plus avec vous de ces rapports de franche^et sincère amitié qui vont si bien à votre cœur. Ce qui nous le fait le plus espérer, c'est cette affection et cette estime que^vous avez conservées pour EN BRETAGNE. 247 la maison qui vous a élevé et pour vos anciens maîtres. « Ah! Monsieur, que vous avez raison de songer à eux; de leur côté aussi, ils ne vous ont pas oublié. Le dernier de vos maîtres, qui est mort dans cette maison, après dix longues années de souffrance, M. l'abbé Pasco, semblait avoir oublié tout le monde pour ne s'occuper que de son Ernest Renan. Quand vint pour lui le moment de paraître devant Dieu, il demanda, comme grâce, le retour à la foi de ses pères de l'enfant qu'il avait le plus aimé, et il nous disait à nous : « Ne « désespérez pas d'Ernest Renan, il reviendra à Dieu, « je vous le promets. » « C'est avec bonheur, Monsieur, que je vous apporte ces paroles de votre vieux maître. Nous avons tout lieu de croire qu'il est maintenant dans le sein de Dieu, oii il est en train d'intercéder pour vous. Croyez bien que ceux qui restent encore dans la maison ne vous oublient pas non plus; ils prient pour vous devant les saints autels, et le plus heureux jour de leur vie serait celui oii ils pourraient presser sur leur cœur Ernest Renan, revenu à la foi de sa pieuse mère et à la religion qui fît le bonheur de sa jeunesse. « Je suis, avec une affection qui vit d'espérance. Monsieur, le plus humble et le plus dévoué de vos ser- viteurs. « Mando, tt Prêtre, chanoine honoraire (1). » L'une de ces deux lettres fait honneur à son auteur; quant au mot « honteuse idolâtrie », il caractérise (1) Le chanoine Pierre Mando. Il fut d'abord professeur dans les classes inférieures du petit séminaire de Tré^uier. puis pro- 248 ERNEST RENAN l'autre... Cependant, leur résultat fut qu'on ne voulut jamais laisser le célèbre enfant du collège de Tréguier revoir les lieux si chers de ses premières études... Lorsqu'il revint à Tréguier en 1868, avec M'""' Renan, qui visitait pour la première fois la Bretagne, Ernest Renan écrivit à son parent M. Morand, de Lannion : « Me voici à Tréguier, oii je n'étais pas venu depuis vingt-trois ans... » M. Morand invita M. et M'"'^ Renan à aller à Lannion. Là, Renan voulut revoir le manoir de Trovern et la mer, qui avait charmé ses yeux d'enfant. Ils visitèrent Perros, La Clarté, Ploumanac'h (1), en compagnie de leur parent Morand. Ils se trouvèrent sur la côte par un jour d'affreuse tempête ; et l'auteur de la Vie de Jésus, qui n'avait jamais assisté encore à pareille chose, fut frappé de ce grandiose et terrifiant spectacle, tout étonné de l'intensité de l'action corrosive des vagues sur les rochers du rivage... Les illustres voyageurs retournèrent ensuite à Tré- guier, d'où ils partirent ensuite pour Lézardrieux et Paimpol, qu'ils visitèrent en passant. M. et M"^^ Renan embarquèrent à Paimpol pour pas- ser à l'île de Bréhat. On s'en rappelle encore dans ce port. « Il ne m'a pas été donné de voir cette fois l'arri- vée de M. Renan en notre ville, — écrivait en 1891 un fesseur de quatrième et de rhétorique, euQn supérieur. Il devint ensuite vicaire général. Il était l'oncle de Mgr Mando, mort récemment évoque de la Rochelle, et de M. P. Mando, député actuel de Loudéac. (1) Lettre inédite de Renan à Luzcl, du 28 septembre 1868. EN BRETAGxNE. 249 Paimpolais(l), — que je le vis traverser, il y a longtemps déjà, encore jeune et déjà courbé sous le double faix du travail et de la renommée. C'était sous l'Empire. En ce temps-là, on aspergeait d'eau bénite la place où s'était assis celui qui se nommait alors ÏAnlec/irist. En- core presque enfant, je regardais avec une admiration mêlée de terreur cet bomme que la Vie de Jésus avait fait anatbème et célèbre entre les célèbres. Il me parut méchant (2). M'"® Renan, qui descendait la rue de l'Eglise à son bras, portait sur le dos une longue natte de cheveux blonds. Ils étaient seuls tous deux dans la rue déserte (3)... » A l'ile de Bréhat, Ernest Renan allait revoir les lieux qu'il avait tant fréquentés dans sa jeunesse et aussi sa tante, M""*^ Ollivier, dont nous avons parlé. Sa fille, M'"° Maria Dauphin, qui est cousine germaine du grand écrivain, se rappelle fort bien le voyage qu'il fit à Bré- hat à cette époque. Elle nous a dit que M. et M"'*^ Renan — dont elle a gardé le plus affectueux souvenir et avec qui elle fut très liée depuis — passèrent seulement deux jours dans Tile chère aux touristes et aux peintres de la Côte d'Emeraude, après avoir visité avec atten- drissement le mûrier et le rocher, camarades insépa- rables des vacances à Bréhat de l'illustre écrivain pen- dant ses jeunes années. (1) M. Le Chapelain. (2) Eruost Renan s'est justifié un jour île ce renom de " méchant " ou de « diabolique », qu'on se plaisait ii lui décerner en Uretagne, dans une alloculiou qu'il prononça à Laiiuion en ItJSS. Nos lec- teurs la trouveront au chapitre VIII. (3) Journal de Paimpol, 13 septembre 1891. â80 ËRNÈST RENAK Un autre souvenir que M™^ Renan emporta de la Venise bretonne, c'est que, là, elle coucha pour la pre- mière fois dans un lit-clos. Il n'y en avait pas d'autres chez sa cousine et il fallut s'en contenter : elle y dormit mal, alors que Renan trouva qu'il avait bien dormi, lui, dans son lit-clos. « J'y étais habitué autrefois! » ajouta-t-il. En passant à Saint-Brieuc, au retour, Renan rendit visite à M. Glais-Bizoin, à sa propriété de Cesson. Renan ne devait revoir Bréhat que vingt-trois ans plus tard — dans une circonstance qui est une date de sa vie bre- tonne et que nous relaterons. Le Dîner celtique devait le ramener plus tôt au pays natal. C'est lui qui a écrit, un jour, qu' « une race vit éter- nellement de ses souvenirs d'enfance ». Son voyage de 1868 àTréguier, et aussi les premières attaques d'un mal qui devait lui être fatal, suggérèrent au célèbre écri- vain de noter ces doux enfantillages qui avaient bercé son enfance et sa jeunesse, et dont personne comme lui ne sentait tout le charme. Il les avait encore revécus avec sa mère, dans les dernières années de celle-ci à Paris, quand elle fut atteinte, à quatre-vingt-cinq ans, d'un mal incurable. Cette forme des « souvenirs » lui per- mettait d'ailleurs d'exprimer plus facilement certaines nuances de pensée que ses autres écrits ne rendaient pas et qui conviendraient mieux avec le décor breton qui s'imposait. Il y mit toute la poésie captivante de son cœur d'adolescent qui aimait à la passion son coin de terre natale. EN BRETAGNE. 25l Renan écrivit la plupart de ses Souvenirs de jeunesse pendant deux de ses séjours d'Italie, à Ischia, en 1875, puis en 1879. Il les termina lors d'une villégiature dans la Haute-Savoie, à Talloires, en 1881. Et nous croyons savoir que c'est le Diner celtique qui lui donna l'idée de les terminer et surtout de les publier. Il en parla à l'une de ces réunions bretonnes, et il tint sa promesse... Les Souvenirs d'enfance et de jeunesse parurent le 24 juin 1863. Ce fut un événement. Rien de pareil n'avait été publié depuis les Mémoires d'outre-tombe, de Chateaubriand, un autre Breton illustre du siècle. Ce long et solitaire rappel du passé venait de concéder l'immortalité à ce petit port breton, à cette vieille ville monastique de Tréguier, dont les rues ont des aspects de cloître, où l'on parle doux, où, derrière de hautes murailles monacales, monte la psalmodie grave des prières, mêlées aux chants des pécheurs tirant leurs bateaux sur la grève. L'ouvrage eut aussi le succès de cœur qu'il méritait ; il a eu plus de cent trente éditions Le public adore que ses grands hommes parlent d'eux-mêmes... Dès 1875, Ernest Renan exprimai/ à son ami Luzel son grand désir d'aller revoir la Bre- tagne et d'y passer quelques étés au bord de la mer : « Verriez-vous dans vos parages, ajoutait-il, quelque chose qui pourrait nous convenir? 11 me semble qu'à Roscoff il y a de fort jolis endroits » (1)... Les Celtisants voulurent alors réaliser le vif désir que leur avait souvent témoigné Renan de revoir sa (ly Lettre inédiic. S^o'i ERNEST RENAN ville natale, car déjà il pressentait sa fin prochaine. Renan ne revint à Tréguier qu'en 1884. C'était M. Ange Le Goaster, receveur de rentes, qui percevait pour lui ses modestes rentes et les lui adressait à Paris, tout en se chargeant de l'entretien et des réparations des bâti- ments, etc. Il avait encore pour compatriote et ami, dans sa ville natale, M. Charles Le Gac, notaire, et alors maire de cette ville. Celui-ci incitait toujours l'académicien à venir plus souvent dans sa ville natale. Aussi, quand les Celtisants de Paris, ceux du Diner celtique, écrivirent dans l'été de 1884 à M. le Maire de Tréguier pour lui demander de faire un de leurs « dîners celtiques » à Tréguier même, et sous la présidence effective d'Ernest Renan, le plus illustre enfant de cette cité, celui-ci, qui était plein d'admiration pour l'auteur de la Vie de Jésus, fut enchanté de la chose et fit tout pour donner un éclat particulier à cette fête, que nous allons relater. Un jour de ce même été de 1884, un dimanche de juin, — a raconté N. Quellien, — Ernest Renan re- montait la rue de Rennes pour aller prendre le train pour Bellevue, sa résidence estivale ordinaire, et où il allait rejoindre sa famille.. Au moment du train, le barde dit à son illustre compatriote trécorrois : — L'été dernier, vous nous avez promis, à Luzel et à moi, que vous retourneriez quelque jour en Bretagne. Bellevue est sur le chemin; allons donc, allons jus- qu'au bout de la route... Renan eut alors, à ce moment^ ce bon et intime sou- rire des Dîners celtiques. J EN BRETAGNE. 253 Quand le brave et enthousiaste Quellien alla au Col- lège de France, un peu plus tard, demander la réponse, TAdministrateur écouta l'invitation dans un silence qui n'était plus une objection. Et Quellien et lui se rappe- lèrent longuement les traditions locales : celle de la tour Saint-Michel, d'où part le Chariot de la Mort pour suivre le chemin de la Mission et la grève de Saint- Yves, la nuit qui précède un malheur dans le pays; cet asile de Minic'hi, dont la dévotion au grand saint Yves a transformé la chapelle en église paroissiale; ils par- lèrent aussi de ce sanctuaire de Saint-Yves-de -Vérité, qui a disparu... Dans cette conversation de deux véritables Celtistes, les plus riants paysages de la Grèce et de Syrie s'en- fuyaient des souvenirs de Renan, sous la vision de la Bretagne. Et dans ses paroles on sentait une douceur résignée à laquelle ne se trompe pas un Breton ; là, il ressentait ce mal inné chez tous ses compatriotes, le regret du pays. Sous les yeux du barde armoricain et dans le charme de ses évocations, l'illustre savant tré- corrois était repris des douleurs qu'il appelait ses « éternelles misères ». — Je me reposerai jusqu'au jour du départ, ajouta Renan, et j'aurai des jambes ce jour-là; sinon, que l'on me porte en voiture^ et il faudra bien que j'aille alors jusqu'au bout... Comme il Tavait promis, Ernest Renan alla assister au « Dîner celtique » de ïréguier ^ dont tout l'honneur revient à son promoteur, M. Narcisse Quellien. Quel- ques-uns des Bretons de Paris trouvaient ce projet au- 15 254 ERNEST RENAN dacieiix. Cependant le barde, natif de la Roche-Derrien, proche Tréguier, réussit à inspirer confiance aux Tré- corrois, et aussi aux convives du Dîner celtique. On pouvait craindre des manifestations, puisque le fana- tisme clérical des campagnes bretonnes allait jusqu'à faire de Renan un « diable » (1), et à faire croire qu'il avait des pieds de bouc. Les gens du pays étaient très troublés ; certains répan- daient le bruit que le « diable » allait arriver dans le pays. Et la vue d'un chat noir que M^e Renan avait eu l'imprudence d'amener corroborait cette fable étrange. Et, jusqu'au dernier moment, on n'était pas sûr que tout se passerait sans incidents provoqués par de telles gens. Heureusement, il n'en fut rien. L'illustre Breton partit de Bellevue le 31 juillet 1884 au soir, accompagné de sa fille et de son gendre; il arriva le lendemain à Guingamp, où u les nouveaux pèlerins trécorrois » déjeunèrent, après avoir été reçus à la gare par le maire de Guingamp, M. Riou, et plu- sieurs amis. En arrivant à Tréguier, Renan voulut passer au ras des ruines de Saint-Michel, dont le haut clocher porte jusqu'à la mer des signaux aux marins de la côte; puis (1) Un jour, une jeune femme de Palerme, qui avait entendu parler en chaire de Renan, demandait si c'était un saint ou un diable. Qu'Ernest Renan ait été un diable, beaucoup le croient et beaucoup l'ont cru, car bien des ressentiments se sont apaisés depuis la Vie de Jésus. Qu'il ait été un saint, il ne faudrait pour le croire qu'un peu d'effort et de bonne volonté à ceux qui ont connu son détachement des choses et son infinie douceur, qui avoisine l'état de perfection demandé par l'Eglise. EN BRETAGNE. 2oD il traversa le Léandi (i), avec ses vieux couvents, ses rues étroites et tortueuses, qui étaient les mêmes que de son temps. 11 remarqua ce peuple qui le regardait avec l'air calme et superbe de gens de race antique; puis il retrouva la cathédrale avec sa flèche dominante et sa fameuse tour d'Hastings au milieu; et, en faisant le tour du cloître, il reconnaît quelques camarades de collège... Il arriva enfin à sa vieille maison natale, un peu plus bas que la cathédrale; comme elle est contiguë à celle de son parent et ami, M. Le G..., chez qui il descendait, Renan put — ainsi qu'il le dit ensuite — redormir ses nuits d'enfance... Celui qui connaît le culte qu'Ernest Renan gardait à tout ce qui ravivait ses souvenirs d'enfance et de jeu- nesse doit comprendre l'émotion profonde et la joie intime qu'il ressentit en se retrouvant en cette ville de Tréguier où il avait vécu mentalement depuis tant d'années, dont il s'était privé comme par pénitence; sous ce toit paternel surtout, où chaque pierre lui par- lait dupasse... Toute sa vie d'adolescent lui refluait au cœur. Il dé- pouillait le doute, son scepticisme tombait comme une cuirasse lourde à porter. Il redevenait croyant, simple, naïf, presque enfant, aux sons des cloches du couvent qui avait abrité sa jeunesse de lévite. Ce fut, certes, pour lui un moment délicieux, surtout à la fin de ce beau jour. (1) Principal quartier du vieux Tréguier; son pendant e3t ÏEscopti. 256 ERNEST RENAN Car un autre sentiment, croyons-nous, l'agitait aux premiers moments de ce « retour au pays ». Ernest Renan n'avait jamais oublié les amertumes du départ, les malédictions de la fuite, les imprécations du fana- tisme contre l'auteur de la Vie de Jésus, et il se deman- dait « quel visage on lui ferait » . Il n'est pas douteux que l'illustre enfant de Tréguier n'ait caressé la pensée de revenir, en sa vieillesse, passer une partie de chaque année, la belle saison, en ces lieux où il est né, où il a été élevé, où il a commencé à penser et plus encore à aimer. Son voyage avait pour but intime de « tâter le terrain » pour réaliser son projet de revenant breton. C'est pourquoi il se demandait, non sans trouble, si on l'accueillerait de façon à lui permettre de revenir, et pour plus longtemps. Il voulait surtout vé- rifier si la réception qu'on lui réservait était de céré- monie et de commande, ou de sympathie et spontanée. Il constata le fait et parut satisfait quand il déclara, le lendemain, « qu'il trouvait la vie chose excellente et qu'il se sentait rajeuni ». Il est vrai qu'on lui fît « très bonne mine ». Sa simplicité désarma la défiance. L'illustre académicien s'entretenait en breton avec des voisines qui l'avaient connu enfant et le trouvaient à peine changé. Il trouvait un secret ravissement à écou- ter leur innocent bavardage et à y répondre. On l'abor- dait sur la rue. — Monsieur Renan, c'est votre mère qui m'a nommé. Cela signifiait : C'est votre mère qui a été ma mar- raine. Il avait ainsi quantité de filleuls ou de parents dans le pays... EN BRETAGNE. 257 Par le même train qui amenait Renan, il y avait nombre de journalistes parisiens, tous désireux de voir et de dire comment la dévote Bretagne, et surtout l'in- transigeant pays de Tréguier, recevrait le célèbre auteur de la Vie de Jésus. Etaient arrivés avec lui, aussi, plu- sieurs Bretons de Paris ou Celtisants de marque, amis ou admirateurs de l'Administrateur du Collège de France, tremblant peut-être d'avoir à le consoler d'une avanie ; mais tous se rassurèrent vite quand ils virent la population trécorroise, guettant l'arrivée de Renan, lui faire une réception bien de son goût, toute sympathique, émue plus qu'enthousiaste. Après s'être reposé dans la vieille maison paternelle, la première visite de Renan fut pour le maire de Tré- guier, M. Le Gac. Celui-ci, devinant, à son regard, une question, s'empressa de lui dire que les souscripteurs au banquet qui lui était offert allaient venir nombreux, se faisant un devoir et un honneur de lui prouver que les Bretons, pour rebelles qu'on les dise à l'émancipa- tion de l'esprit, savent apprécier, applaudir et aimer ceux d'entre eux qui deviennent de grands hommes... Et de fait, dès le matin du samedi 2 août. Ton vit de nombreuses voitures déboucher de toutes les routes et amener à Tréguier tant d'étrangers, que cette petite ville n'en avait jamais vus autant — même dans les plus grands « pardons » de Saint- Yves. On en voyait de tous les points des Côtes-du-Nord, puis du Finistère, aussi du Morbihan et même de rillc-et- Vilaine. Tous s'empressaient d'aller déposer leur carte chez Renan, à sa maison natale — tenant à faire dès leur 258 ERNEST RENAN arrivée ce bien touchant pèlerinage, tant il est vrai que l'on aime aussi à voir les lieux où s'est d'abord écoulée, obscure, l'existence des hommes renommés... Tout se passa, du reste, dans des conditions très con- venables de simplicité. A midi, Ernest Renan, accompagné de son gendre, M. Psichari, et du fidèle Quellien, l'ordonnateur zélé de la fête, ainsi que de quelques intimes, sortit de sa maison natale, puis traversa les rues de l'ancienne ville épiscopale pour se rendre à VHôlel du Lion d'or, lieu du banquet. En sortant, comme N. Quellien demandait à Renan dans quel ordre il fallait se placer et quel protocole observer, celui-ci répondit qu'il désirait se placer entre Luzel et Paul Sébillot, et qu'ainsi il se trouverait entre les deux Bretagnes. F. -M. Luzel était de la Bretagne bretonnante, et M. Sébillot du pays « gallo ». Il prit le bras de M. Sébillot, qui fut un peu surpris tout d'abord que l'Administrateur du Collège de France n'eût pas donné ce rang à Luzel, plus ancien; mais il ne tarda pas à savoir pourquoi : c'est que Renan souf- frait un peu du pied — il était déjà rhumatisant — et il croyait probablement que M. Sébillot, qu'il connais- sait plus familièrement, aurait facilement compris quand il aurait eu besoin de quelque repos. Ernest Renan, en effet, fit quelques haltes pendant le parcours, qui n'était pourtant pas très long. Au sur- plus, il lui revenait à chaque instant des souvenirs : tantôt, c'était un seuil de porte sur lequel il s'était assis, pour repasser ses leçons en se rendant au collège; tan- EN BRETAGxXE. 259 tôt, il se souvenait de la demeure d'un ancien camarade. Au milieu d'une rue, il s'arrêta pour dire : — Ah! quel pays que ceTréguier! Il y a des endroits où rien n'a changé : il n'y manque pas une ardoise ! Les Trécorrois rencontrés ou groupés sur leurs portes le regardaient passer avec sympathie, d'un air calme, ou le saluaient avec une curiosité respectueuse. Ils étaient gagnés par sa bonne figure et sa bonhomie. Comme pour aider à la chose, Re*nan eut toute cette journée un air de contentement, car il n'y eut non plus aucune note discordante, ni à l'aller, ni au retour, ni pendant le banquet (1). La façade de VHôlel du Lion d'or était coquettement pavoisée de drapeaux tricolores. La cour que l'on tra- versait était toute sablée et fleurie, car le banquet était servi sous une tente dressée dans le jardin. Celle-ci était garnie, à l'intérieur, de jolies tentures, de drapeaux, de fleurs, d'écussons aux armes des principales cités bretonnes ou aux initiales de la République; tout au fond, dominant le fauteuil qui lui était réservé et la table d'honneur, le chiffre d'Ernest Renan, enguirlandé de verdure. A la vue des cent cinquante convives qui l'atten- daient, des têtes qui se découvrent et des mains qui se (1) « Je restai deux ou trois jours à Tréguier, avec Ledrain, Lepelletier, Durocher et Qucllien, etc. Nous pûmes nous con- vaincre que Renan avait compris le coHir de ses compatriotes, comme il devait plus tard, a llosmapamon, conquérir ceux des habitants qui l'appelaient Den Vad^ le « brave homme ». » (Note de M. P. Sébillot.) 260 ERNEST RENAN tendent vers lui, l'enfant illustre de Tréguier ne put se défendre d'un réel mouvement d'émotion, et il mur- mura ces mots éloquents de sincérité et de naturel, en serrant quelques mains de droite et de gauche : — Ah ! les braves gens que vous êtes ! Ah ! les braves gens!... L'empressement ne permit même pas de garder tous les souscripteurs de la dernière heure, et beaucoup de retardataires eurent le regret de ne pouvoir ainsi faire partie du banquet officiel de leur illustre concitoyen, qui se montra heureux et plein de gaieté en reconnais- sant à ses côtés deux de ses camarades d'école. En efifet, par une délicate attention, on avait mis à sa droite M. Pasquiou, maire de Pontrieux, et à sa gauche, M. Le Sidaner, adjoint au maire de Tréguier. En face étaient : MM. Armez, député, et Le Gac, maire de Tré- guier. Citons encore à la table d'honneur : Paul Sé- billot, Luzel, Ledrain, Edmond Lepelletier, Bertrand Robidou, Armand Dayot, Pierre Giffard, Narcisse Quellien, Riou, André Hallays, Adolphe Paban, Joseph Morand, etc. Sur chaque couvert, les convives trouvèrent un menu qui est un véritable objet d'art. C'était un dessin dû au crayon de Vierge, fait, gravé et tiré pour la circonstance. Il représente un joueur de biniou en costume breton, adossé à un mégalithe; dans un angle, la maison oii Renan est né et, entre des palmes de chênC; ces mots : Souvenir du 2 août 1884. — Tréguier, EN BRETAGNE. 261 Au Champagne, l'une des jeunes filles de la maîtresse d'hôtel, M"*' Caroline Mallo, apporta un télégramme pour le président du Dîner celtique. Elle avait une rose à la main. Quand Renan sut qui elle était et que, surtout, elle était née dans la même maison que lui, en même temps que proche parente d'un de ses loca- taires (1), il la complimenta et lui fit remarquer sa fleur que, toute intimidée, elle avait oubliée dans sa main : — Je l'avais cueillie dans notre jardin à votre inten- tion et je suis heureuse de vous l'offrir — ajouta presque à mi-voix la jeune Trécorroise. Extrêmement touché de ce délicat souvenir, son des- tinataire promit de la conserver, car c'était de long- temps la première fleur qu'il recevait de sa Bretagne aimée. Ernest Renan tint sa promesse et emporta la rose du banquet celtique; à son tour, il voulut laisser un autre et particulier souvenir à M"e Mallo; ce fut son portrait avec cet autographe : Souvenir affectueux offert à 3/"« Caroline Mallo. Tréguier, août 1884. E. Renan. (1) Nièce de Le Bigot. 15. 262 ERNEST RENAN Ajoutons que ce toast « muet » du banquet fut fort applaudi... N. Quellien, en qualité de président-fondateur du Dîner celtique, présenta les Celtisants de Paris à leurs camarades de Bretagne, et d'une façon si charmante que nous ne pouvons résister au désir de reproduire le fragment d'un speech si plein « d'humour bretonne » : « Le Dîner celtique, Messieurs et chers compatriotes, est l'un des quarante ou cinquante dîners littéraires de Paris. Nous l'avons institué dans les premiers mois de 1879, et M. Renan a bien voulu en accepter la prési- dence à vie... « Des gens de lettres, des artistes et des savants inaugurèrent notre Société. Cette petite famille de Cel- tisants compte aussi des universitaires; mais il n'a été question d'enseignement qu'une fois entre nous. Il s'agissait de demander au Gouvernement que l'étude du bas-breton, comme langue vivante, fût introduite dans les collèges de Bretagne. Si le Collège de France survient dans nos conversations, c'est un peu parce que le Breton saint Yves y fut écolier; car il y avait au moyen âge, sur un flanc de la fameuse montagne Sainte-Geneviève, à l'endroit où s'élève, depuis trois siècles et demi, le Collège de France, un collège de Tréguier : là se rendaient les kloers trécorrois, que leur évêque envoyait à Paris comme étudiants en Sor- bonne. « Le deuxième samedi de chaque mois, à Paris, on parle bas-breton dans les dialectes de Tréguier et de Cornouaille, de Vannes et de Léon. Et nos chansons EN BRETAGNE. 263 populaires? Que de fois les délégués des autres Sociétés littéraires sont venus les écouter, nos vieilles mélodies bretonnes, gaies ou tendres, mélancoliques le plus sou- vent et douces au cœur comme un chant de l'exil! « Ces lettrés et ces artistes du dehors — tud a diavez — se trouvent au milieu des Bretons pour le motif précisément qui nous amène à Tréguier aujourd'hui, afin de diner une fois en la compagnie de M. Renan, Quelques-uns ont paru étonnés qu'un membre de l'Ins- titut soit un si aimable penn-tiégez; ceux-là ne se rendent pas compte que chacun de nous est formé de deux moitiés bien différentes ; tantôt l'une, tantôt l'autre prend le dessus. u Je me suis permis de vous demander. Monsieur Renan, s'il ne vous arrive pas, le soir de nos parchns celtiques, de vous arrêter sur le seuil pour chasser ce Gascon qui s'est, avez-vous dit, allié en vous au Breton de Tréguier. Je ne sais avec quelle eau bénite vous éloignez ce diable : toujours est-il que le génie seul de la Bretagne nous est manifeste durant la soirée. M Et quel air de famille autour de vous! N'est pas familier qui veut. Il me semble, — pardonnez-moi, cher Maître, cette furtive appréciation, — il me semble que nul écrivain moderne n'a conquis autant que vous la noblesse de la simplicité. La fée qui voua vos pre- mières et vos vingt dernières années à la Bretagne ne vous a-t-elle pas attribué celle-là au nombre de vos qualités celtiques? Je vous en connais bien d'autres... » M. Charles Le Gac, maire de Tréguier, souhaita la 264 ERNEST RENAN bienvenue à Renan, exprimant en termes excellents des pensées vraiment élevées : (( Monsieur, « Permettez au maire de votre ville natale de vous souhaiter la bienvenue et de répondre au sentiment sympathique qui vous guide vers nous. « Tréguier, nous le savons, aura une grande place dans vos souvenirs. Vous semblez prendre plaisir à vous élever au-dessus des ardeurs exagérées qu'occa- sionnent, entre les hommes, les luttes de l'esprit, et, dé- daigneux des polémiques, vous aimez à faire revivre votre enfance en gravant sur des pages immortelles les impressions des premières années de votre jeunesse. Vous trouvez dans ces souvenirs comme une force de calme bienveillant, presque solennel, qui vous porte à rendre justice (chose trop rare), même à ceux qui ont suivi des voies dififérentes de la vôtre. Les hommes n'existent pas pour s'entre-déchirer au nom de la diver- sité de leurs sentiments. Vous pensez que nul n'a le droit d'être exclusif. Vous jugez que l'humanité n'a pas trop, pour soutenir sa marche, de la somme générale de bien produite par tous les membres de la famille humaine. « Ce sentiment de haute justice est le caractère domi- nant qui honore le plus votre esprit. (( Je suis heureux, en saluant l'enfant dont la gloire fait la gloire de la ville, de porter fraternellement mon toast à l'expression la plus élevée de la liberté de conscience : « A Monsieur Ernest Renan! » EN BRETAGNE. 265 Au moment où l'oraleur, ami de Renan, allait se rasseoir, on lui remet un télégramme signé Hémon, qu'il lit aussitôt et qui est salué d'une triple salve d'applaudissements : « Paris, 1 h. 15 soir. « Monsieur le Maire de Tréguier, « Les députés républicains bretons, retenus par leurs devoirs législatifs, regrettent vivement de ne pouvoir se trouver aujourd'hui au milieu de leurs compatriotes et vous prient d'assurer M. Ernest Renan qu'ils s'asso- cient de cœur à l'hommage qui lui est rendu par la Bretagne. » Le célèbre Académicien se leva ensuite et, avec sa bonhomie souriante et pleine de finesse, toute de séduc- tion, il parla ainsi : « Messieurs et Amis, (( Que je vous remercie de m'avoir enlevé, moi déjà si peu enlevable, à cet éternel fauteuil oii jem'ankylose, k ces douleurs par lesquelles je me laisse envahir, à ces hésitations d'où j'ai besoin d'être tiré par force! Je vous devrai la joie d'avoir revu encore une fois ma vieille ville de Tréguier, à laquelle m'attachent de bien chers souvenirs. « Si courtes et si rares ont été les apparitions que j'y ai faites, depuis que le vaste monde m'a entraîné, que je peux dire qu'il y a quarante ans que je l'ai quittée. Quarante ans 1 Quel long espace dans les choses hu- maines ! Que de choses changent en quarante ans ! xMais, nous autres, Bretons, nous sommes tenaces, et hier, en 266 ERNEST RENAN faisant le tour du cloître et de la cathédrale, en visi- tant une vieille maison , je me disais que rien absolu- ment n'était changé, ni en moi, ni en ce qui m'entou- rait. « Ah! sûrement, dans les hommes, le changement est énorme 1 Presque tous ceux qui ont entouré mon enfance ont disparu ; ma mère, à qui je dois le fond de ma nature, qui est la gaieté; ma sœur, si pure, si dé- vouée, ne sont plus aux lieux où je les ai vues autrefois vivre et m'aimer. Ma bonne Marie-Jeanne est morte, il y a quelques années. Et mes excellents maîtres, à qui je dois ce qu'il y a de meilleur en moi..., un seul d'entre eux, je crois, et des plus méritants, vit encore. M. Pothier et M. Duchesne, qui m'apprirent les deux choses qui m'ont été les plus utiles, le latin et les ma- thématiques; M. Pasco, si plein de bonté; M. AufFret, le principal, qui me fit comprendre ce que peut avoir de charme austère une vie grave consacrée à la raison et au devoir, tous ces hommes excellents ne sont plus. Ils ont disparu, après avoir fait le bien, et compté dans une tradition de sérieux et de vertus. Mais le cadre où ils vécurent dure toujours. Hier, je retrouvais presque pierre pour pierre le Tréguier d'autrefois. (( J'aurais pu mettre un nom sur chaque maison; la cathédrale a toujours son adorable légèreté : l'herbe qui pousse sur les vieilles tombes du cloître est toujours aussi touffue; j'aurais pu croire que c'est la même vache qui la broute toujours. « Et alors, je me suis demandé si j'avais changé, et je me suis répondu bien fermement : De corps, oui, EN BRETAGNE. 267 sans cloute, et pourtant, même sur ce point, j'aurais beaucoup à dire. Enfant, j'étais difficile à remuer, ne jouant jamais, porté à m'asseoir et à m'acoquiner. « La distance de la maison au collège, je la parcou- rais deux fois par jour, sans me détourner d'un pas, ni- à droite, ni à gauche. Les rhumatismes qui me rendent maintenant la marche si difficile, je les avais déjà. « Quant à l'âme, oh! c'a toujours été bien la même. Ce petit écolier consciencieux, laborieux, désireux de plaire à ses maîtres, c'est bien moi tout entier : j'étais doué dès lors; j'avais tout ce que j'ai maintenant; je n'ai rien acquis depuis, si ce n'est l'art douteux de le faire valoir. Il vaudrait certainement mieux vivre et mourir solitaire; maison n'est pas maître; le monde vous prend par les cheveux, fait un peu de vous ce qu'il veut. Ce que j'ai toujours eu, c'est l'amour de la vérité; je veux qu'on mette sur ma tombe fah! si elle pouvait être au milieu du cloître : mais le cloître, c'est V Eglise, et V Eglise, bivn à tort, ne veut pas de moi), je veux, vous dis-je, qu'on mette sur ma tombe : Veri- tatem dilcxi. Oui, j'ai aimé la vérité, je l'ai cherchée, je l'ai suivie où elle m'a appelé, sans regarder aux durs sacrifices qu'elle m'imposait. J'ai déchiré les liens les plus chers pour lui obéir, je suis sûr d'avoir bien fait. — Je m'explique. Nul n'est sûr d'avoir le mot de l'énigme de l'univers, et l'infini qui nous enserre échappe à tous les cadres, à toutes les formules que nous voudrions lui imposer. <( Mais il y a une chose qu'on peut affirmer : c'est la sincérité du cœur, c'est le dévouement au vrai, et le sen- 268 ERNEST RENAN timent des sacrifices qu'on a faits pour lui. Ce témoi- gnage, je le porterai haut et ferme sur ma tête au juge- ment dernier. « En cela, j'ai été vraiment Breton. Nous sommes une race naïve, qui a la simplicité de croire au vrai et au bien. Avec le nécessaire et une petite part d'idéal, nous sommes heureux comme des rois. Cela sert à quelque chose de mieux qu'à faire fortune : cela rend heureux. Oui, notre gaîté vient de notre honnêteté. Dans un temps où le mal général est le dégoût de la vie, nous continuons à croire que la vie vaut la peine qu'on en poursuive le but idéal. « Nous sommes les vrais fils de Pelage, qui niait le péché originel. Une critique que m'adressent toujours les protestants est celle-ci : « Qu'est-ce que M. Renan fait du péché?» Mon Dieu, je crois que je le supprime. Je ne comprends rien à ces dogmes tristes. Je vous l'avoue, plus j'y réfléchis, plus je trouve que toute la philosophie se résume dans la bonne humeur. Nous autres. Celtes, nous ne serons jamais pessimistes, nihilistes. Sur le bord de ces abîmes, un sourire de la nature ou d'une femme nous sauverait... Ma mère, mourant à quatre-vingt-sept ans, après une maladie longue et terrible, plaisantait encore une heure avant de mourir. « Croyez-moi; ne changez pas. Vos qualités sont de celles qui reprendront de la valeur. Le monde est en train de se laisser envahir par des races tristes, qui n'ont jamais su ce que c'est que jouir, races dures, sans sympathie, qui n'ont ni l'amour, ni l'espoir des EN BRETAGNE. 269 hommes. Votre santé morale sera le sel de la terre. Vous aurez du talent quand il n'y en aura plus, de la gaieté quand on médira d'elle; vous aimerez la gloire, rhonneur, le bien, le beau, quand il sera convenu que ce sont là de pures vanités. Sachons être à notre jour des arriérés; les rôles changent si vite en ce monde I Ce sont presque toujours ces prétendus arriérés qui fondent ce que les empressés compromettent. Je songe souvent que c'est votre adhésion, en apparence tardive, qui donnera l'existence définitive à ces délicates choses que l'on perd par trop de zèle : un état légal, où l'ordre soit aussi assuré que la liberté; un état social, où la justice ne soit pas trop violée; un état religieux, qui donne à l'âme humaine son aliment idéal, sans con- trainte officielle ni chimères superstitieuses. <( Votre place est marquée dans l'exécution de ces grandes œuvres modernes; car, en même temps que vous êtes du présent, vous tenez fortement au passé. Ce n'est pas le moment de changer; restez ce que vous êtes. Entrez hardiment, avec votre génie propre, dans le concert de l'œuvre française; portez-y votre raison, votre maturité. Osez valoir ce que vous valez. Notre cote en ce monde est au-dessous de notre valeur réelle. Nous avons des défauts, cela est hors de doute. Le prin- cipal est peut-être de trop douter de nous-mêmes. « Croyez-en l'expérience d'un compatriote qui vous a quittés jeune et qui vous revient vieux, après avoir vu des mondes assez divers. Je ne vous enseignerai pas l'art de faire fortune, ni, comme on dit vulgairement, l'art de faire son chemin ; cette spécialité-là m'est assez 270 ERNEST RENAN étrangère. Mais, touchant au terme de ma vie, je peux vous dire un mot d'un art où j'ai pleinement réussi, c'est l'art d'être heureux. Eh bien ! pour cela, les re- cettes ne sont pas nombreuses; il n'y en a qu'une, à vrai dire : c'est de ne pas chercher le bonheur; c'est de poursuivre un but désintéressé, la science, Tart, le bien de nos semblables, le service de la Patrie. A part un très petit nombre d'êtres dont il sera possible de diminuer infiniment le nombre, il n'y a pas de déshé- rités du bonheur. Notre bonheur, sauf de rares excep- tions, est entre nos mains. « Voici le résultat de mon expérience. Je vous la livre pour ce qu'elle vaut. J'ai toujours eu le goût de la vie, j'en verrai la fin sans tristesse, car je l'ai pleinement goûtée. Et je mourrai en félicitant les jeunes, car la vie est devant eux, et la vie est encore chose excellente. « Merci encore, chers amis, d'avoir procuré cette réunion, qui m'a rajeuni. » (Applaudissements.) Voilà les paroles. Mais ce qu'on ne saurait rendre, c'est le ton familier et touchant dont elles étaient pro- noncées; c'était ce bon sourire, joyeux et un peu iro- nique, dont elles étaient comme assaisonnées. Quand Renan, répondant à une interruption, déclara qu'il avait écrit ses Souvenirs d'enfance, mais qu'il promettait aux Bretons d'écrire ses « Souvenirs de vieillesse », ces paroles furent accueillies par un véritable enthou- siasme. On sait qu'il regretta parfois de n'avoir pu mettre en marge de ses Souvenirs : Cum grano salis. Or, lorsque l'écrivain parle, c'est son sourire qui rem- EN BRETAGNE. 571 place le commentaire de la marge ; on n'est pas plus charmeur... Nous ne pouvons relater ici les poésies de Luzel, de Paban (1), de Léon Durocher; les chansons bretonnes ou françaises de Narcisse Quellien, de Paul Sébillot, de' M. Guyomard, maire de Trédarzec; pas plus que les toasts de MM. Ledrain, Le Nordez et Blanchard. Nous ne voulons retenir que les « hommages de Paris à Renan », apportés par M. Edmond Lepelletier, alors au i)Iot d'Ord?^e : « La capitale, dit l'orateur, a le droit de fêter avec vous, Bretons, avec toi, ville de Tréguier, l'auteur de tant, de beaux et profonds ouvrages écrits à Paris. « Le cœur de la France travaille partout oii est l'âme, partout où est le génie. Aujourd'hui, Paris est ici... 1) ... Cet idéal, c'est lui qui vous ramène encore Dans le pays natal à la magique voix, Dont le couchant paisible a des lueurs d'aurore, Et dont le charme est fait des choses d'autrefois. Fidèle au souvenir avec qui l'on divorce, Il a hâté votre retour Vers ce vieux sol pétri de douceur et de force. Où le flot gronde, où croit le chêne à rude écorce : « Bois au milieu, mer à l'entour ». Ne l'avez-vous pas dit : ses nautoniers antiques. Dont sur toutes les mers séparpillait l'essaim, Les anciens clans d'Arvor, les laboureurs celtiques Reprennent vie en votre sein. Qu'il nous soit donc permis — car un frisson nous gagne. De saluer ici, maître puissant et doux, Avec votre grand nom que la gloire accompagne L'àme même de la Bretagne Visible au milieu de nous. Paba.n. 272 ERNEST RENAN « Il y est de cœur et d'intelligence. Nous faisons la part de la ville natale, mais nous demandons à y joindre la nôtre. « Salut à l'auteur de la Vie de Jésus! Salut à la libre- pensée dont le triomphe est inauguré aujourd'hui sous cette tente, dans cette ville antique, à côté du berceau d'Ernest Renan, à l'ombre de la vieille cathédrale!... « Là où l'enfant ployait le genou, c'est maintenant le penseur qui incline son front devant la lumiè.e mo- derne, ce front qui n'a pas ployé devant le despotisme. « Souvenons-nous qu'un jour le gouvernement impé- rial, n'osant pas le révoquer, proposa de le payer pour se taire. N'ayant plus le siège du professeur, Renan monta sur une chaise et continua sa mission ensei- gnante. C'est alors que le pouvoir, forcé par lui, se vit contraint de le destituer. (( Paris, qui fut pour M. Renan un foyer d'inspira- tion, fut aussi son appui, sa consolation. (( A la libre discussion! A Paris! A la Bretagne I » Un député breton, M. Armez, porta aussi un toast applaudi à son éminent compatriote, disant avec raison que la présence d'Ernest Renan à Tréguier témoigne du progrès qui s'est accompli dans les idées. On tient géné- ralement la Bretagne pour arriérée, la fête de Tréguier prouve le contraire. Mais si nous avons à proclamer aujourd'hui le progrès réalisé par la société moderne au point de vue du libre examen, que serait-il advenu si Renan eût écrit la Vie de Jésus au moyen âge? Il est permis de supposer ou de se demander ce qui lui serait arrivé!... EN BRETAGNE. 273 — Ah! ça, j'étais flambé!... s'écria Renan, au milieu de l'hilarité générale... L'illustre Trécorrois remercia de nouveau. « J'avais mes souvenirs de jeunesse, fait-il observer entre autres ; vous allez me faire des souvenirs de vieillesse aussi charmants... » Puis il leva la séance, en donnant à chacun une poi- gnée de mains accompagnée d'un mot aimable. Il reprit le chemin de « sa maison », entouré par tous les convives. Et ce n'était pas là un des spectacles les moins curieux de cette grande journée, que celui de celte procession laïque reconduisant au lieu de sa nais- sance, à travers les rues étroites et tortueuses, par la place Levée, au ras de la cathédrale et du cloître, le grand écrivain presque renié précédemment par ses compatriotes intolérants. Cet hommage spontané et populaire alla droit au cœur du penseur, dont les ouvrages étaient condamnés par l'Index. — C'est une des plus belles journées de ma vie! ajouta Renan, en adressant à tous, du seuil de sa mai- son natale, un dernier remerciement. Ne pouvant aller cette fois à l'île de Bréhat, Ernest Renan avait invité à venir le voir, à Tréguier, sa cousine germaine, M'"^ Maria Dauphin. Elle dîna avec lui, en famille, le soir du banquet, dans la vieille maison de leur grand-père commun. Même le propriétaire fit prendre à sa cousine l'ancienne chambre de sa mère à elle (Perrine Renan), et lui voulut coucher dans son lit d'enfance et dans son ancien cabinet de travail... 274 ERNEST RENAN Avant de reprendre le chemin de Paris, Renan voulut encore revoir un des autres lieux où s'était écoulée son enfance, et il s'arrêta à Lannion, chez son parent, l'honorable M. Morand. C'était le 6 août 1884. Le premier pas était franchi : le paj-s natal avait reconquis son illustre enfant. Désormais, Renan devait passer ses dernières années en Bretagne, et revenir sou- vent dans son cher et pittoresque Tréguier... Mota. — C'est un gentil épilogue du Dîner celtique de Tréguier. A la promotion de janvier 1885, M. LeGac, maire de cette ville, reçut les palmes d'officier d'Aca- démie. Ce fut Ernest Renan qui lui annonça cette distinction par l'aimable lettre (1) suivante : « Paris, le 31 décembre 1884. (( Cher Monsieur Le Gac, « M. le Ministre de l'Instruction pubUque vient de m'avertir que, par arrêté du 1" janvier, vous êtes nommé officier d'Académie (2). Ce titre n'aura jamais été mieux mérité que par celui qui emploie une si louable et si intelligente activité à répandre l'instruction dans un pays oii elle n'a pas été jusqu'ici au niveau des rares qualités morales de la race. (1) Lettre inédite. (2) Sait-on qu'Ernest Renan, qui fut nombre de fois lauréat de l'Institut et membre de deux Académies, aussi grand officier de la Légion d'honneur, n'était même pas « officier d'Académie »? On ne lui décerna jamais les palmes académiques... EN BRETAGNE. 275 « Recevez mes sincères compliments et aussi mes meilleurs souhaits pour l'année qui commence. Elle sera bonne, j'en suis sûr, pour moi du moins qui, grâce à vous, reverrai ma chère Bretagne et aurai le plaisir de vous serrer la main. « Croyez à mes sentiments les plus affectueusement dévoués. « E. Renan. » VIII Séjours en Bretagne. — Rosmapamon et Tréguier. La fête inoubliable de Tréguier (1884) fait époque dans la vie d'Ernest Renan : elle fut la première étape de la réalisation d'un de ses rêves les plus chers; celui de revenir, chaque année, passer ses vacances au paj^s natal, comme il le faisait au temps de son enfance. Pendant les trois jours que Tillustre académicien passa à Tréguier, dans les premiers jours d'août de l'année 1884, son ami M. Le Gac insista à nouveau près de Renan pour qu'il vînt se fixer désormais, pendant l'été, au pays trécorrois. Les nécessités et les obhgations de sa vie de savant l'avaient jusqu'ici tenu éloigné de la Bretagne; il devait lui consacrer sa vieillesse. L'en- fance et la vieillesse ne sont-elles pas sœurs?... Cédant aux instances du maire de sa ville natale, Ernest Renan pria alors M. Le Gac de lui trouver, non à Tréguier même, — où il serait trop près de ses détrac- teurs acharnés, — mais dans les environs, une villa pour lui et sa famille, et convenant à la simplicité de sa vie toute familiale. Son mandataire, qui connaissait bien sa région, pensa aussitôt à Rosmapamon (que l'on écrivait Roz-mab-hamon, ou Colline du fils Hamon), qui EN BRETAGNE. 277 appartenait justement à une famille trécorroise et amie. Il en parla à M. Renan et lui promit de la lui faire louer, si elle lui convenait, et de suite, afin qu'il pût y passer l'été de 1885. Aussitôt rentré à Paris, Renan écrivait de Bellevue, le 6 août 1884, la lettre inédite suivante à son ami, le notaire trécorrois : « Cher Monsieur, (( Laissez-moi d'abord vous serrer bien cordialement la main. C'est grâce à vous que j'ai revu ma chère ville natale dans des conditions de sympathie qui m'ont été au cœur. Je vous en garderai toujours la plus vive reconnaissance. La fête a été charmante, et c'est vous qui en avez été l'âme et l'esprit. « A Lannion, j'ai prié Morand de me conduire à Ros- mapamon. Le sentiment que j'avais conçu en vous entendant parler de ce bel endroit a été pleinement con- firmé. C'est bien l'idéal que j'avais rêvé, et je désire vivement que la chose s'arrange. La seule difficulté est que ma femme, à qui je laisse, en mari bien correct, l'entier gouvernement des choses pratiques de la mai- son, devrait voir la propriété avant la conclusion du bail; or, pour le moment, il est impossible qu'elle s'absente, à cause des couches prochaines de ma fille. « Peut-être tout serait-il concilié, si, dès à présent, nous concluions le bail, en y insérant la clause que, au bout de la première année, je pourrais demander la résiliation moyennant un dédit. L^ne telle hypothèse est bien peu probable, puisque, dès la première année, 16 278 ËRNËST RENAN nous aurions à faire tous les frais d'ameublement, les- quels se trouveraient ainsi perclus. La clause en ques- tion nous rassurerait seulement pour le cas où ma santé ne s'accommoderait pas du climat. De la sorte, nous en- trerions en jouissance à la Saint-Michel prochaine. « Vers le mois d'avril ou mai, ma femme irait visiter les lieux au point de vue de l'ameublement. (( Je vous serais très reconnaissant, cher Monsieur, s'il vous plaisait de nous aider à mener à bien cette affaire dont vous avez eu la première idée. Une des raisons qui m'en font désirer la réussite, c'est de me rapprocher des personnes avec lesquelles j'aimerais tant à nouer des relations plus suivies. « Veuillez agréer, cher Monsieur, l'assurance de mes sentiments les plus distingués et les plus dévoués. « E. Renan. » Le zélé intermédiaire de Renan dut lui répondre qu'il préférait que M°^^ Renan vît la maison avant la location, car l'Administrateur du Collège de France lui répondit, dès le 19 septembre de la même année : « Cher Monsieur, « Je vous remercie bien vivement des soins que vous voulez bien prendre pour que je puisse réaliser le vœu que je forme depuis longtemps d'aller passer mes étés en Bretagne. Comme je vous l'ai dit, je ne voudrais pas louer sans que ma femme eût vu les lieux. Ma femme serait certainement partie aujourd'hui ou demain, sans la même circonstance qui l'empêche de s'absenter en ce moment. EN BRETAGNE. 279 « ... Je renonce donc à cette clause (celle de la faculté de résiliation au bout d'un an). Ce que nous voudrions, c'est un bail fixe de six ans au moins. « J'espère que, de manière ou d'autre, nous serons, l'année prochaine, voisins d'été. J'en serai ravi; car, je vous assure, il y a peu de personnes en ce monde pour lesquelles j'aie conçu plus d'estime et de sympathie que pour vous. Votre situation doit être souvent difficile en notre pauvre cher pays. Ce me sera une grande joie de causer avec vous de tant de sujets sur lesquels, j'en suis sûr, nous nous trouverons avoir des sentiments communs. (( Croyez, cher Monsieur et ami, à mon affection la plus dévouée. E. Renan. » ^jme Psichari mit au monde sa petite Euphrosyne le 30 septembre; le voyage de M™« Renan à Rosmapamon put donc avoir lieu. Son mari l'annonce ainsi au maire de Tréguier : « Bellevue, 1" octobre 1884. « Cher Monsieur, « L'événement que nous attendions est arrivé hier. Tout s'est passé fort heureusement; la mère et la petite fille qu'elle nous a donnée se portent à merveille, et nous sommes à peu près assurés que, dans quelques jours, ma femme pourra accomplir le voyage de Ros- mapamon. Nous fixons son départ au mardi 17 octobre au soir. Le mercredi matin, ma femme sera à Lannion, et, dans la journée, mon cousin Morand la mènera à Louannec. « Que je vous suis reconnaissant de vouloir bien 280 ERNEST RENAN VOUS rendre à Rosmapamon ! Vos conseils seront, pour ma femme et pour moi, on ne peut plus précieux. Il est très probable que la conclusion de tout cela sera celle à laquelle je tiens tant et qui, chaque année, nous fera voisins pendant quelques mois... (( Agréez, etc.. E. Renan. » Tout d'abord, le nom de Renan, qui devait venir ré- sider à Louannec tous les ans, jeta un certain trouble parmi les gens dévots et autres. Les faits suivants nous ont été certifiés exacts, aussi nous les citons à titre de spécimens de l'état d'âme de ce coin breton. Quand on sut son arrivée dans le pays, une noble dame (ou vieille demoiselle) de Trévou-Tréguignec, commune voisine, dans sa prévention étrange et cal- culée contre lui, se crut permis de faire les plus vives instances auprès de M™^ Le S..., propriétaire de Rosma- pamon, afin de dissuader cette dernière de lui louer sa propriété. A l'appui de ses démarches, elle prétexta que c'était souiller et profaner une maison que de la donner pour demeure à un homme aussi impie et aussi pervers que Renan, à un renégat de cette trempe. M™^ Le S..., en personne intelligente et clairvoyante, se contenta tout simplement d'éconduire sa trop empressée et avisée solliciteuse, avec tous les honneurs dus à son rang et à une telle démarche. Ajoutons qu'avant de venir dans sa villa de Louannec, l'Administrateur du Collège de France était déjà l'objet de tant d'aversion préconçue de la part d'une partie de la population, que beaucoup de bonnes gens du voisi- EN BRETAGNE. 281 nage de Rosmapamon crurent bon, dans leur simplicité et leur naïveté, de s'adresser au curé pour lui demander s'ils pourraient vendre à « Tapostat Renan » (sic) les denrées et autres objets nécessaires à l'usage de sa maison. Nous ne savons pas exactement quels furent les conseils donnés par l'homme d'église, mais toujours est-il qu'ils ne furent pas suivis d'effet. Car les voisins du grand écrivain, revenant de leurs idées préconçues, échangèrent bel et bien avec lui et sa famille, dans la suite, les meilleurs rapports, tant commerciaux que sociaux. Et il nous faut dire encore que tout ce mauvais vernis, toute cette aversion, que l'on voulait jeter sur le nouveau touriste du pays de Perros, s'en allèrent très vite. Par sa bonté proverbiale, sa bienveillance incomparable et sa charité inépuisable, il sut s'attirer bien vite les sympathies et l'estime de la population de Louannec. Lui-même recommandait encore aux siens, la veUle de sa mort, les pauvres de Rretagne, et les souvenirs qu'il a laissés en ce petit pays, qui lui était cher, sont des plus vivaces. Le voyage de M"'® Renan fut décisif; la première impression qu'elle laissa fut excellente, et elle pria M. Le G... de faire le bail. Après avoir signé cet acte, qui date du 18 décembre 1884, M. Renan le renvoya à son notaire, accompagné de cette lettre : « Paris, 15 décembre 1884. « Monsieur et ami, « Je vous renvoie, revêtu de ma signature, le bail 16. 282 ERNEST RENAN que nous avons conclu sous votre inspiration, et qui, j'en suis sûr, nous procurera à tous d'amples satisfac- tions. Je m'en promets de bons et tranquilles étés; M""^ Le S... peut compter sur de solides locataires; le voisinage de Lannion et de Tréguier, où j'ai tant d'amis, me remplit de joie. Voilà une bien bonne retraite qui m'est préparée pour mes vieux jours. Nous avions compté vous voir prochainement à Paris. Nous espérons que votre voyage n'est que différé. Ce sera pour nous une vraie fête de revoir notre cher pays où je vous devrai d'être revenu un peu sur le tard. « Croyez, je vous prie, à mes sentiments les plus affectueusement dévoués. « E. Renan. « Nous nous remettons à vos bons soins pour que l'enregistrement soit fait en temps utile. Nous sommes en compte ouvert avec A... Le G... Il vous remboursera toutes les avances que vous ferez pour nous. » Ernest Renan ne pouvait mieux trouver que Rosma- pamon, pour y fuir Paris et les bruits des discussions qui se continuaient sur ses œuvres d'exégèse. C'est à mi-côte, lorsqu'on descend de Louannec à Perros-Guirec, à un coude subit de la colline et sur l'étroit plateau, que se cache, derrière un massif d'ormes et de hêtres, au bout d'une jolie et ombreuse avenue, la paisible retraite, qui appartient à la veuve d'un ancien avoué. C'est le nid de verdure où Renan vit s'apaiser le fanatisme breton et où il est venu, huit années de suite, rajeunir sa vieillesse et aussi se reposer de son incessant labeur de la \ille, tout en travaillant EN BRETAGNE. 283 de nouveau (1). II y vivait dans la tranquillité et l'iso- lement, et voilà pourquoi, se renfermant dans la pra- tique stricte de ce genre de vie paisible, il ne tint à avoir que le moins de relations possibles avec les gens du pays. La colline tourne autour d'une petite rade, entre des champs bordés d'arbres et d'ajoncs. « L'étrange région que ces hauts lieux noyés de verdure ou rongés de mousse, battus d'en bas par la grande mer! Partout une dualité de puissances régit le monde. » La maison est simple : les quatre murs nécessaires, le rez-de-chaussée, un étage, les combles. Le jardin est simple aussi : une petite pelouse, des corbeilles de fleurs. La villa est au milieu d'un jardin qu'entourent les futaies, dans un bois devant l'océan. C'est la paix d'un cloître au bord duquel vient se taire la fureur des flots. Là, dans le rideau d'arbres de la haie de clôture, une échancrure a été ménagée; et sous les yeux, tout de suite, c'est la mer. Une grève désolée au bas d'une prairie et, à perte de vue, les horizons du large... Renan et sa famille arrivèrent à Rosmapamon dans les premiers jours de juillet 1885. Voici la lettre qu'il écrivit à son grand ami. M. Berthelot, l'illustre savant : « Rosmapamon, le 6 juillet 188;>. (( Nous voici, mon cher ami, installés fort à notre (1) A Rosmapamon, il a écrit en partie toute sa volumineuse Histoire d'Israël, et surtout l'y a corrigée, ainsi que les Dia- lorjues philosophiques et autres œuvres de moindre importance. 284 ERNEST RENAN guise. Ma femme a fait un vrai miracle d'activité, llien ou presque rien ne manque à notre établissement. Cet établissement, sans être parfait, est bien à peu près ce que nous cherchions. Les jardins et les bois sont char- mants; la maison est petite, pa?wa sed apia mihi; nous trouverons moyen que nos amis n'y soient pas trop mal... » Renan et sa famille venaient toujours à Rosmapamon par chemin de fer jusqu'à Lannion, où ils s'arrêtaient chez leur parent, M. Morand. Ce long voyage annuel par voie ferrée fournissait chaque fois une preuve des plus convaincantes de l'extrême pudeur de l'illustre penseur, de sa grande et fine politesse, de son efface- ment modeste porté jusqu'à la gêne personnelle. Il a dit un jour : « Nos machines démocratiques excluent l'homme poli. J'ai renoncé depuis longtemps à l'om- nibus : les conducteurs arrivaient à me prendre pour un voyageur sans sérieux. En chemin de fer, à moins que je n'aie la protection d'un chef de gare, j'ai tou- jours la dernière place. » En effet, quand TAdministrateur du Collège de France se rendait en Rretagne, son gendre, M. Psichari, voulait lui retenir une place dans le train. Renan s'y opposait de toutes ses forces. — Cela vous est dû, disait M. Psichari. — Mais non, rien ne m'est dû. Je suis très bien avec tout le monde. Effectivement, l'illustre Breton se casait dans un coin; puis il s'assoupissait et ne se réveillait qu'à des- tination, sans avoir changé d'attitude. Il était enchanté. EN BRETAGNE. 283 Sa pudeur n'avait pas été blessée ni par un excès de faveur, ni par un manque d'égards. C'étaient là les deux périls qu'il redoutait le plus au monde... Malgré sa vie d'isolement relatif, Ernest Renan était devenu cher aux gens de la région et du voisinage. On nous a conté qu'avant son arrivée, pas un fruit ne mû- rissait dans les jardins; le propriétaire n'en tirait pas le moindre légume, malgré la surveillance des gen- darmes. Plus tard, la police de Perros a cessé ses visites, et les fruits néanmoins restaient aux arbres de Rosma- pamon. « Je passe l'été près de Perros, au milieu d'un hameau de très pauvres gens, a dit lui-même le célèbre écrivain; notre petite aisance doit leur paraître de la richesse; mais, comme dit Dante, « cela ne leur abaisse (( pas le ciel ». Dès que je leur ai parlé breton, ils m'ont tenu absolument pour un des leurs (1). » Les seules personnes qui reçurent les visites presque quotidiennes du célèbre écrivain, c'étaient, en effet, les fermiers d'un petit lieu nommé Roch'Gwen, ferme située dans le voisinage de Rosmapamon. Avec ces gens de mœurs très honnêtes et d'un caractère toujours doux et jovial, il aimait souvent à causer, quand, le soir, en compagnie de M""® Renan, il faisait sa prome- nade habituelle et favorite dans la direction de leur ferme. Ces fermiers, qui s'appelaient les Le G..., étaient l'objet de l'affection particulière d'Ernest Renan, et, pour preuve, c'est qu'à l'occasion du mariage de leur (1) Discours de Renan à Quimper. 286 ERNEST RENAN fille cadette Marie avec un second maître de timonerie, François Le B..., l'illustre Breton tint à honneur d'accompagner le jeune couple jusqu'à l'église et d'as- sister à la bénédiction nuptiale, ainsi qu'au banquet servi à Roch'Gwen, auquel assistaient également son gendre et M°^° Psichari. Un témoin nous a conté avoir vu Renan, qui, dans le cortège à l'église, s'était tenu un peu éloigné du chœur, se faufiler dans les rangs et s'approcher, pour écouter la petite allocution que l'abbé L..., desservant de la paroisse à l'époque, crut devoir prononcer et adresser en cette circonstance aux jeunes mariés. Cet abbé L... était, dit-on, contemporain de Renan et avait fait, comme lui, ses classes au petit séminaire de Tréguier. On raconte encore que le curé, afin de bien montrer l'état des esprits, causant un jour avec une personne notable de Louannec, lui fit part de la situation embar- rassée dans laquelle il se trouverait si, par hasard, l'auteur de la Vie de Jésus se trouvait à avoir besoin de son ministère, et l'appelait sur son lit de mort. Devrait-il, de son libre arbitre, se transporter au chevet du mourant, ou, en l'occurrence, ne devrait-il pas plutôt demander l'autorisation de son supérieur diocésain, avant de confesser et d'extrémiser un renégat de cette envergure? Ce fut un problème difficile que se posa notre naïf recteur, et qui ne cessa de lui boule- verser le cerveau tout le temps que Renan demeura à Louannec... Si Renan, pendant le repos de l'été, aimait à re- cueillir les bruits lointains d'une « Atlantide disparue », EN BRETAGNE. 287 il était très hospitalier et il a invité maintes fois les Celtisants à venir le voir à sa campagne bretonne. Même trop grand était le nombre des importuns qui, chaque jour d'été, gravissaient l'avenue ombreuse. Les uns venaient quémander une recommandation pour leurs fils, leurs cousines, leurs neveux ou pour eux- mêmes ; d'autres sollicitaient un appui pour un avan- cement trop lent; ceux-ci, des secours de toute sorte; ceux-là, des places de tous genres. Les bureaux de tabac faisaient prime, et c'étaient les articles les plus demandés. Mais les visiteurs les plus nombreux peut- être, et non les moins fâcheux, c'étaient les touristes de passage dans le pays. Rencontrant à Rosmapamon un appareil moins imposant et des formalités moins académiques qu'au Collège de France, ils en profitaient et se présentaient au Maître sous le prétexte le plus futile ou même sans prétexte aucun, pour la seule vanité de pouvoir dire à leurs amis moins favorisés : — Ah! moucher, j'ai eu l'honneur d'être reçu par Renan I Et ils croyaient tout bonnement qu'un peu de rayon lumineux était tombé sur eux. La, le grand penseur vivait de la vie simple de famille, avec les siens, ayant parfois un ou deux amis de Paris, M. Rerthelot, Perrot, Luzel ou d'autres. N. Quellien était aussi un des familiers de Rosmapamon. E. Renan aimait aussi à y recevoir ses parents de Lan- nion, de Tréguier, de Plounez et de Bréhat, quelques- uns des membres survivants du clan des Renan des bords du Trieux. C'est ainsi que Renan retenait quel- 288 ERNEST RENAN qiiefois pendant des huit jours sa cousine de Bréhat, ^jme Dauphin. Il en était de même pour sa vieille « bonne », Manon, qui fut deux ou trois fois le voir. Les Le Bigot, de la « maison natale », allaient aussi payer leur terme à Rosmapamon. Leur propriétaire recevait parfois des étrangers ou gens de marque d'autres pays visitant la Bretagne, et il se plaisait à les promener et à leur faire visiter les endroits curieux de la région, les vieilles égUses de Perros ou de la Clarté, ou les curiosités naturelles de la grève de Ploumanac'h. On peut même le dire : c'est grâce à cette villégiature d'Ernest Renan sur Cette côte que la plage de Perros et celles des environs sont sorties de l'ombre. On sait que Perros-Guirec est borné au nord par l'oratoire de Saint-Kirek; à l'ouest, par Téglise de Saint- Yves-en- Louannec; la paroisse de Saint-Ké s'étend au sud, et Saint-Méen est resté debout vers l'ouest. Ne serait-on pas tenté de croire et de dire que ces quatre saints, tous de race celtique, avaient fatalement la garde de Renan, lors- qu'il venait se reposer sous les bosquets de sa villa?... Nous tenons à rappeler ici une visite que V Association archéologique du pays de Galles fît à Renan, à Rosma- pamon, dans l'été de 1889. Déjà, depuis une quinzaine, un savant de l'Université d'Oxford, M. John Rhys, professeur de langues cel- tiques, était venu passer ses vacances avec sa famille dans le voisinage des Renan, et ils furent même leurs hôtes à Rosmapamon. « Pendant que nous demeurions à Perros, nous a déclaré M. Rhys, nous rendions visitQ EN BRETAGNE. 280 presque chaque jour à M. Renan; et quand ma femme et moi nous faisions des excursions dans d'autres par- ties de votre pays, nos deux filles vivaient avec les Renan, et ceux-ci se montraient très aimables et très afifeclueux pour elles. » C'est ainsi que M. Rhys fut amené à introduire à Ros- mapamon des antiquaires, ses compatriotes, au nombre d'une trentaine environ, qui terminaient par là une grande excursion celtique en Bretagne. 11 y avait, outre M. Rhys, MM. J. Romilly Allen, l'archidiacre Thoma?, Ll. Thomas, professeur au collège gallois d'Oxford. Davies, de Bangor, le folkloriste Hartland, Edmunds, principal du collège de Saint-David, etc. Une relation de ce voyage scientifique a paru dans la Saturday Heview de septembre 1889. Nous allons en extraire quelques passages concernant la visite à Rosmapamon : « De Lannion, les excursionnistes prirent la direction de Perros-Guirec pour se rendre vers une maison do- campagne nommée Rosmapamon. Ce n'était certai- nement pas pour voir des dolmens ou des menhirs étonnants, ce n'était pas pour énumérer les styles suc- cessifs de l'architecture dans la construction d'une an- cienne église, c'était pour voir et entendre le pins fameux des Bretons contemporains. « C'est dans cette plaisante retraite que M. Renan aime à passer ses étés, et dans le bien-être et les rudes travaux. Les livres dont il a besoin sont peu nombreux. L'un d'eux est marqué avec le pouce presque à chaqi:e page. Du restC; le Maître pourrait s'épargner la peine 17 âOO ERNEST RENAN de le feuilleter, car il en connaît le contenu par cœur : c'est la Bible. « Après avoir reçu notre Société avec sa politesse habituelle et sa bonne humeur, il nous fit un de ces petits discours qui sont bien connus comme l'élément essentiel des Dîners celtiques à Paris. Mais, hélas! il n'y avait pas de reporter de Paris qui fût présent ici (1). Son discours roula en partie sur les choses que nous aurions à visiter dans notre promenade de l'après-midi et en partie sur le caractère général des anciens saints de la Bretagne. Il insista sur ce fait que Rome n'a jamais aimé foncièrement les saints celtiques, et il nous raconta une anecdote montrant qu'un prêtre des envi- rons, tout dernièrement, avait cherché à se débarrasser d'un honnête saint breton pour mettre à sa place l'image de la Vierge de Lourdes... » Nous allons compléter ces notes de voyage par la présentation de M. Rhys et le texte du petit discours d'Ernest Renan. M. Rhys s'est exprimé sur le compte de l'Association cambrienne avec une modestie et une élégance remar- quables : « Vous ne vous faites pas l'illusion, Monsieur Renan, que les Kymrys soient tous des archéologues. Moi-même, je l'avoue franchement, je remplis ici presque un rôle de charlatan, et je viens comme essayant, de loin, de retenir un pli de sa robe à la muse de l'Archéologie. (1) Lo réducteur fit erreur, car N. QuoUien était là, et il narra ensuite cette visite, donnant surtout les allocutions de chacun. EN BRETAGNE. 2 « Quand j'appris que notre Association allait en Bre- tagne, je me réjouissais, comptant du moins faire quelques remarques sur la phonétique de la langue bretonne, et quelques comparaisons entre nos habitudes et nos institutions réciproques : car je ne pouvais ne pas me rappeler qu'il y a ici bien des choses de ma pa- trie, et que vous et nous sommes d'un même sang. Et ce sentiment de plaisir, qui était celui de mes confrères de l'Association, nous avons cherché le moyen de l'expri- mer, Monsieur Renan, avec toute l'ardeur de notre race celtique. « Pour l'exprimer au peuple breton, nous avons éprouvé la même difficulté que quelqu'un dont vous avez peut-être entendu parler : il regrettait que le beau sexe n'eût pas un seul et même visage, afin de les em- brasser tous à la fois. Le mieux était donc de chercher un Breton assez grand pour représenter tout votre peuple. Ce Breton pouvait en même temps être le pre- mier écrivain de France, le plus en vue sur l'horizon de la littérature et de la science modernes. Et l'idée d'un tel représentant nous étant venue, il n'y avait pas de place à une hésitation. Et nous voilà! » M. Renan a répliqué par l'allocution suivante à l'in- terprète des Gallois : « Mesdames et Messieurs, « Je devrais vous remercier en breton des paroles si aimables que vient de dire M. Rhys. Mais il y a qua- torze cents ans que nous sommes séparés; nos dialectes ont eu le temps de diverger beaucoup; nous aurions 292 ERNEST RENAN peut-être quelque peine à nous entendre. Et en anglais. . . Voilà une de mes hontes. De notre temps, on ne nous apprenait que le latin. Je lis l'anglais, mais je le com- prends mal à l'audition, et je ne le parle pas. La faute en est un peu à ma femme, qui sait assez bien l'anglais, et m'a servi d'interprète dans les nombreuses occasions où j'ai eu besoin de votre belle langue. « Oui, votre visite si cordiale me touche profondé- ment le cœur. J'y vois une preuve de la sympathie qui, malgré la distance et la diversité des aventures histo- riques, unit les deux groupes bretons. Permettez au professeur d'hébreu un souvenir biblique : Ecce quam bontim et quam jucundum habitare frali^es in unum ! Quand j'allai à Londres, il y a quelques années, j'eus l'honneur de voir M. Tennyson, qui me conta l'anecdote suivante. Faisant justement le voyage que vous faites, il passa la nuit à Lannion, d'où vous venez. Avant de partir, il demanda le compte à son hôtesse, qui lui répon- dit : (( Oh î non. Monsieur. N'est-ce pas vous qui avez « chanté notre roi Arthur? » Cette hôtesse était évi- demment lettrée; notre peuple n'a plus guère de ces souvenirs littéraires. Mais quand nos marins vont a Cardifif, ils comprennent bien vos compatriotes et sont bien compris d'eux. M. Rhys, depuis quelques jours, cause avec tous nos braves gens. Il ne perd pas un mot de ce qu'ils disent; eux-mêmes, avec quelques explica- tions, le suivent très bien. Cela n'est pas surprenant. Les habitants de ces contrées, surtout du Goëlo (la Golovia), viennent du Cardigan. Le chef de leur émi- gration, qui eut lieu vers l'an 500, était Fragan. Tous EN BRETAGNE. 293 les pauvres gens qui portent ici le nom de Renan viennent du Goëlo. M. Uhys est du Cardigan; nous sommes sûrement congénères. fM. Rhijs et M. Renan se serrent la main avec effusion.) a Je me suis souvent dit que, si les orages que tra- verse, en notre siècle, notre pauvre pays de France me forçaient à chercher un asile en Angleterre (cela n'est pas probable ; je suis vieux ; et puis, ce cher pays a la vie dure : il ne faut pas s'émouvoir à chaque crise qu'il traverse), je me prévaudrais, ne fût-ce que pour amu- ser un peu le public, de la vieille loi d'Edouard le Con- fesseur : Qui de Bintannia Mino?n veniunt recipi debent tanquam probi cives regni hujus, quoniam exierunt quon'iam de corpire regni hujus. On se souvenait alors de la vieille histoire. ÎVous n'avons pas, du reste, beau- coup changé. Nous sommes une race obstinée, toujours en arrière du temps. Même, quand, en apparence, nous passons du blanc au noir, nous restons, au fond, toujours les mêmes. Nos vieux saints étaient très entêtés. Ces bons vieux saints de Bretagne, tous d'origine galloise ou irlandaise, sont ma grande dévotion. Je n'aime pas beaucoup les saints modernes, je l'avoue; ils sont trop intolérants. « Vous savez quel curieux phénomène historique présente notre ancienne hagiographie bretonne du vi% du vii^, du vïii« siècle. Dans une seule paroisse, quel- quefois des dizaines de chapelles portent toutes le nom d'un saint, absolument inconnu dans le reste du monde. Ces saints portent tous de beaux noms gallois ou irlan- dais, et sont contemporains des siècles de l'émigration. 294 ERNEST RENAN Vous connaissez mon patron, saint Renan, sous sa vraie forme Ronan (Locronan, les eaux de Saint-Ronan, etc.). C'était un Irlandais, un grand original. J'ai vu, dans une église de ces parages, un autel de saint Cadoc, avec son titre : prince du Glamorgan. (M. Quellien rappelle à M. Renan que Saint-Cadoc est aux environs de Plestin.) (( Eh bien ! ces vénérables saints vont chaque jour se perdant. Le clergé moderne ne les aime pas; on leur dit la messe une fois par an dans leur chapelle, mais on n'est pas fâché quand leur chapelle et leur légende dis- paraissent. Le clergé sent d'instinct que ces saints d'un autre monde étaient un peu hérétiques ou schisma- tiques; en tout cas, ils n'ont jamais été canonisés par le Pape. Voici, d'après ce que l'on m'a conté, ce qui s'est passé, ici tout près, il y a quelques années. Il y avait une petite chapelle dédiée à saint Beuzec. C'est, je pense, le vieux nom de Budoc. (M. Rhys fait un signe d'assentiment.) Sa statue de pierre étant devenue à peu près informe, le curé fit une quête pour la renouveler. Cela produisit une quarantaine de francs, avec lesquels le curé acheta, chez les imagiers de la rue Saint-Sul- pice, une Vierge de Lourdes, qu'il substitua habilement à la statue décrépite. Voilà comment on supprime un saint, pour le remplacer par l'effigie d'un triste miracle moderne. Au ciel, nous le savons, saint Beuzec est inat- tingible. Mais, sur la terre, que de dangers courent ces vieux saints! Quelques bonnes femmes savent encore leurs légendes, que le curé feint d'ignorer; il importe au plus vite de les recueillir. « Vous voyez combien nous avons de traits d'union I EN BRETAGNE. Î95 les uns avec les autres. Les difï'érences ne sont j^as grandes. Vous êtes protestants, nous sommes catno- liques. Uh ! que voilà une dilïerence secondaire : pro- testants et catlioliques ne sont-ils pas également près de Dieu, quand ils pratiquent la religion du cœiirl J'ai coutume de dire que, selon beaucoup d'analogies, les populations bretonnes de France auraient dû devenir protestantes, comme celles d'Angleterre. Le sentiment religieux, cbez ces peuples, est très profond, très indi- viduel, très détacbé des formes et des livres. Renée de France, la fille d'Anne de Bretagne, fut le plus ferme appui de Calvin. La puissance de Home, en ces parages, s'est faite par les concordats français, qui ont eu pour résultat que, depuis des siècles, il n'y a pas eu, dans les pays bretons, un seul évêque parlant breton. « Vous êtes bons Anglais, nous sommes bons Fran- çais : deux belles traditions civilisatrices!... Ah! par exemple, un haut devoir nous incombe aux uns et aux autres. C'est de maintenir en bonne amitié les deux grandes nations entre lesquelles nous sommes partagés, et dont l'action commune, la rivalité, si l'on veut, est si nécessaire au bien de la civilisation. C'est si bête de se haïr! En travaillant à la paix, nous travaillerons vérita- blement à une œuvre celtique. Nous sommes une race sympathique, et voilà pourquoi le monde nous écoute volontiers. « Je voudrais vous expliquer mes vues sur l'ethno- graphie générale de la France et du lioyaume-Uni. Se- lon moi, la proportion des éléments celtiques et germa- niques y est à peu près la même. Mais je vous ai déjà 296 ERNEST RENAN trop retenus par mon bavardage. Vous avez hâte d'aller faire vos dévotions à Notre-Dame-de-la-Clarté (an ilron Varia Sclerde)') et à saint Guirec. Je souhaite que vous voyiez son petit naos à une heure de haute mer. Vous serez là en plein paganisme. Il n'y a pas un endroit au n>onde où l'on puisse mieux se figurer ce qu'était un petit sanctuaire grec aux temps homériques, avant que les Grecs eussent commencé à bâtir et sculpter. Je veux, du reste, vous y accompagner. Merci de ce beau jour! Nous dirons aux Bretons que vous avez été con- tents d'eux. Nous garderons, je vous assure, de votre passage parmi nous, un bien cher souvenir (1). » Les Gallois ont répondu aux paroles de M. Renan par un triple hourrah d'enthousiasme. On raconte que, devant une telle ovation, un vieux serviteur de Rosma- pamon, habitué au calme de ces lieux, s'est réfugié au fond des jardins... Ensuite, Renan, accompagné de M™^ Renan, de W^"^^ Rhys, de MM. Rhys et Quellien, monta en voiture et conduisit les délégués de l'Association cambrienne, d'abord à la vieille église de Perros, qui date du xu^ siècle. L'illustre cicérone s'intéressa surtout à la cha- pelle volive de Notre-Dame-de-la-Glarté, qui est remar- quable, et en elle-même et par le site pittoresque qu'elle occupe. Un des professeurs gallois prit un fidèle instan- tané du Maître, pendant qu'il faisait une remarque amu- sante et curieuse dans l'église de la Clarté, et des abbés de laparoisse lièrent conversation aveclesérudits gallois. (1) Feuilles détachées. EN BRETAGNE. 297 De là, Ernest Renan conduisit la compagnie sur le bord de la mer, pour régaler ses yeux d'objets plus anciens que l'église, plus anciens même qu'aucun des ouvrages préhistoriques qu'on peut voir en Bretagne ou ailleurs; nous voulons dire les étranges, les effrayants escarpe- ments qui bordent la cote, les fauteuils de pierre, les bordures de granit, placés où ils se trouvent par les forces de la nature, alors qu'elle n'a pas autre chose pour occuper ses mains oisives. Dans le lointain, il attira l'attention des Gallois sur l'île d'Aval (ou île des Pommes); les faiseurs de guides l'appellent quelquefois l'île d'Agalon ou d'Avalon — ce qui les conduit à y faire sommeiller le roi Arthur en toute tranquillité, alors que le paysan breton ne connaît rien de sa présence dans ces lieux, et que cette légende paraît une invention suggérée par le nom seul de l'île. Au retour de cette excursion dans les rochers du havre de Ploumanac'h, les excursionnistes longèrent une petite baie sablonneuse, avec un enfoncement agréable à la vue. C'est là que se trouve la statue en bois de saint Kirek. La présence de Renan fut un vrai bonheur pour les Celtisants d'outre-Manche, car rien ne lui faisait plus plaisir que l'occasion de discuter une question qui touche à ce que nous pourrions appeler l'anthropologie chrétienne. Saint Kirek est l'objet d'une pratique cu- rieuse de la part des jeunes filles du voisinage. Celles qui désirent se marier rendent de fréquentes visites à la grotte du saint, et piquent des épingles dans les jambes du pauvre bienheureux; ce qui, h ce que l'on 17. zy» ERNEST RENAN croit, assure le mariage dans l'année. Renan conta en- core à ses hôtes les histoires de matelots de ces côtes, qui vont aussi consulter le pieux solitaire sur la con- fiance à donner aux promesses de leurs fiancées. La persistance de cette croyance sur l'efficacité de ces épingles fut attestée par un artiste qui eut la curiosité de se cacher, un des jours précédents, pour épier la venue d'une porteuse d'épingles vers la grotte tant visitée. Ernest Renan était porté à appuyer l'explication sug- gérée par un prophète hébreu, et d'après laquelle le pouvoir de saint Kirek, comme celui de Baal, se trouve en dehors, ou sommeille, ou est ailleurs. La mission des épingles serait de le réveiller, de le stimuler... Ce pèlerinage laïque et le charmant accueil du philo- sophe de Rosmapamon causèrent la plus grande joie aux Bretons du pays de Galles. Au départ, Renan salua de la main, non sans quelque émotion, cette mer par laquelle étaient venus en Bre- tagne ses ancêtres d'Hibernie... Il aimait aussi à conter à ses hôtes d'été ou de pas- sage à Louannec la légende du rouge-gorge de Rosma- pamon : « Dans mes bosquets, disait-il, chante un oiseau sin- gulier. C'est (( l'oiseau qui se scie le cœur ». Quelque- fois, il interrompt ses antiennes pour faire entendre un râle étrange, étouffé comme l'appel d'un mourant, un hoquet sinistre : on croirait ouïr le bruit d'une scie allant de haut en bas, et se persuader que le pauvre chanteur ailé, h bout de voix, désespéré, s'est ouvert le cœur, mais avec une scie de diamant aux dents acé- EN BRETAGNE. 299 rées et Drodigieusement fines. C'est depuis la scène de la Passion, dit une légende, où il essuya, de son frêle poi- trail, le sang jailli autour de la couronne d'épines, que l'oiseau du Christ a retenu ce gémissement d'agonie. « Des oiseaux de mer, ajoutait Renan, qui viennent des îles Shetland, chaque été, faire leurs nids entre les rochers de Taveac, s'égarent souvent jusqu'au retrait de llosmapamon, attirés peut-être par la plainte du rouge-gorge. Et l'on raconte que les marins, passant au ras de l'île Thomé, sur le tard, entendent cette même lamentation parmi les écueils; et les braves pêcheurs se disent tout bas : « — C'est une àme qui émigré de cette viel... >^ Quellien croyait plutôt que ce sont les oiseaux de Re- nan qui lui chantent ainsi l'adieu tous les soirs... L'un des hôtes préférés de Renan était son plus vieil et grand ami, M. Rerthelot, de l'Institut. C'est lui aussi qu'il tient toujours au courant de ses travaux, des dou- leurs qui l'assiègent déjà, même des indispositions de ses petits-enfants. « Nous sommes fort éprouvés, lui écrit-il de Rosma- pamon, le 24 septembre 1885. Avant-hier, j'ai éprouvé quelques douleurs névralgiques au poignet gauche; c'est à peu près passé. C'est néanmoins un avertisse- ment... Les petits ont ' la coqueluche tous les trois, malgré les précautions que nous avons prises pour séparer le tout petit. C'est ce dernier qui nous a le plus inquiétés. Nous croyons, maintenant, que le plus fort du mal est passé. Cependant les quintes continuent; la mère et la grand'mère sont très fatiguées. Que cela ne ,K .-jcSÉr- 300 ERNEST RENAN retarde pas votre venue. Nous aurons tant de plaisir à vous voir, que ce sera pour toute la maison comme la levée d'un voile noir. » Une autre année, dans l'été de 1889, l'Administrateur du Collège de France écrit encore, à son arrivée à Rosma- pamon, à M. Berthelot : « Cher ami, « L'effet de ces premiers jours de plein air a été excel- lent pour tout le monde. Votre vieil ami en particulier s'en trouve parfaitement bien. Me voilà tel que je suis depuis des années, dans mes bons moments. Ma capa- cité de travail, surtout, est plus grande qu'elle n'a jamais été, et je fais mes deux petits kilomètres par jour. Venez le plus tôt que vous pourrez ; le temps est délicieux. Vous savez quelle joie vous nous ferez. » Les années s'avancent et deviennent de plus en plus mauvaises pour le locataire de Rosmapamon. Le l^-" août 1890, il le dit à son ami : «... Mon mois de juillet a été très bon pour le travail , médiocre pour la santé. J'ai pu à peine sortir de ma chambre, par incapacité de marcher. Maintenant, cela va un peu mieux. En tout cas^ le grand repos dont je jouis ici m'est bon d'une façon générale. Je me sens fort; je ferai mon quatrième volume. Vers décembre, il sera achevé ; seulement, il me faudra deux ans pour le publier, avec le soin que j'y mets. Mon troisième vo- lume paraîtra sûrement en octobre prochain ; mon tra- vail personnel est presque achevé. « Quelle joie pour nous de songer qu'avant un mois, EN BRETAGNE. 301 nous aurons le plaisir de vous voir. Nos bois, celte année, sont singulièrement frais et verts. » Comme on le voit, M. Berthelot est venu plusieurs fois à Rosmapamon, et il aimait se promener, avec son ami Renan, dans la campagne et les villages des envi- rons, ou le long des grèves. Un jour, Renan et l'illustre chimiste faisaient une promenade le long de la grève de Louannec, quand, arrivés au village de Nantliouar, ils entrèrent, pour se reposer, dans une petite ferme, où la ménagère était occupée à faire des crêpes, mets traditionnel des paysans bretons. Intimidée et troublée par l'arrivée et la présence de ces deux personnages qu'elle ne connaissait pas, celle- ci fut sur le point de les rudoyer et de les renvoyer. Mais Renan, qui connaissait très bien le breton, com- mença par lui faire ses excuses et les compliments d'usage, dans cette langue; il finit, après lui avoir remonté le moral, par la rassurer complètement sur ses intentions et sur celles de son compagnon. Voyant qu'il avait devant lui une personne plutôt ingénue que méchante, il lui déclina ses nom et qualité, ainsi que ceux de son ami, puis il lui demanda une petite place pour deux auprès du foyer, afin de pouvoir se délasser un peu. Notre brave paysanne, voyant qu'elle avait affaire à un homme parlant sa langue et ayant un maintien correct et irréprochable, avec, de plus, un air patriarcal, simple et bon, se remit de son émotion, et, pour effacer Ja trace de mauvaise humeur qu'elle n'avait pu s'empêcher de montrer tout d'abord, 302 ERNEST RENAN le pria, ainsi que son compagnon, de s'asseoir à la place principale du foyer. Renan et M. Berthelot, que cette course un peu longue avait fatigués, ne se firent pas longtemps prier et s'assirent, l'un en face de l'autre, sur les bancs-dossiers des deux côtés de l'âtre. Comme il est de coutume dans les maisons bretonnes, quand on fait des crêpes, d'en offrir à presque toutes les personnes qui font aux maîtres ou maîtresses de maison l'honneur de leur visite, notre villageoise, se piquant de galanterie, leur fit la même offre gracieuse, que nos deux illustres savants s'empressèrent d'accep- ter de grand cœur. Pendant qu'ils croquaient à belles dents leurs ex- quises crêpes, dont la cuisinière avait eu soin de relever le goût en cassant et en faisant cuire un œuf sur cha- cune d'elles, la conversation allait bon train. Notre mé- nagère, loquace et babillarde, comme le sont d'ailleurs presque toutes nos campagnardes, répondait à toutes les questions que lui adressaient ses visiteurs, sur la tenue de sa maison et autres petits détails, et ne se serait pas encore lassée de leur raconter mille et mille choses charmantes, si ceux-ci n'avaient eu besoin de prendre congé d'elle... A l'ombre des arbres du jardin qui précède la mai- son, Renan aimait à regarder les flots bleuâtres roulant autour de la petite île Tavéac. L'après-midi, lorsque des invités ne lui donnaient pas l'occasion de se promener dans le bois qui s'étend, par derrière, entre Rosmapa- mon et le mandr de Barac'h,'il parcourait volontiers la petite distance qui le séparait de la mer et il contemplait EN BRETAGNE. 303 longuement cette immensité. La veille de son dernier dé- part pour Paris, se sentant touché par la mort, il voulut encore revoir de sa fenêtre la plage et l'îlot voisin... Nous avons dit que le Dîner celtique avait ouvert comme un chemin devant Renan : celui du retour au pays natal. Presque chaque année, pendant ses séjours à Rosmapamon, il allait à Tréguier, surtout à la fin de l'été, et avant de retourner à Paris. L'illustre Trécorrois connaissait les tristes sentiments d'intolérance de certains de ses compatriotes, quelques catholiques intransigeants qui lui gardaient rancune d'avoir jeté le froc et qui affectaient de le considérer comme un excommunié (1); il y en avait qui le dési- gnaient comme V Antéchrist (2). Il se vengeait spirituellement de ces mesquines attaques en donnant à ses ennemis de véritables leçons de tolérance, même à chacun de ses voyages à Tréguier. On a dit que, pour ne pas froisser la susceptibilité des Tré- corrois pieux, Renan évitait tout d'abord d'imposer sous la nef de la cathédrale ce qu'ils appelaient « le scandale (1) Emest Renan ne fut pas excommunié, comme on l'a pré- tendu avec méchaDceté en Bretagne, et comme ses ennemis se sont plu à le répandre partout. A un rédacteur du Matin qui le lui demandait, à l'époque de la mort du célèbre académicien, M. l'abbé Pelgé, vicaire général de Paris, répondit : — Pas le moins du monde! Jamais l'excommunication directe et nominale ne lui fut appliquée. Quelques-uns de ses ouvrages ont été mis à l'index, comme la Vie de Jésus, et, je crois, UAbbesse de Jouarve; mais c'est tout. (2) C'est le nom d'un livre de Renan, mais aussi un substantif pris en mauvaise part en Bretagne. 304 Ernest renan de son apostasie ». S'il allait revoir les antiques arcades ogivales, qui enserrent entre elles quelques arcades ro- manes plus antiques encore, et aussi la cathédrale, c'était simplement, et pour la montrer à des amis. Mais il se contentait, la plupart du temps, de contempler en dehors le majestueux portail, les arcs-boutants légers et la triomphante envolée de la haute flèche, py- ramide à huit pans bizarrement ajourée, percée de signes inattendus, as de cœur, as de carreau, comme si une fantaisie céleste eût éparpillé là un colossal jeu de cartes en granit. Puis Renan passait; il prenait la rue qui descend vers la jolie rivière, pour rentrer à la maison. Le plus souvent, dans ses courts séjours, l'illustre enfant de Tréguier descendait à l'hôtel Mallo, mais désirait quand même coucher, au moins une nuit, dans sa chambrette d'enfant, d'écolier (1) — et non dans sa chambre natale, comme on s'est plu à le redire, et oii il n'y a plus de lit. Une fois, — en 1886, croyons-nous, — Ernest Renan vint seul à Tréguier, et il tint à habiter sa maison natale. Les Le Bigot, ses locataires, s'empressèrent de mettre une chambre de derrière à sa disposition. — Je suis heureux, leur répétait-il, quand je viens dans ma maison... Gomme à Rosmapamon, il y recevait quantité de per- sonnes des environs. Il en venait jusque de Lézardrieux et de l'autre côté de Paimpol; beaucoup des Renan des bords du Trieux, parents ou non, venaient lui faire vi- (1) Assertion de M^e Le Bigot. EN BRETAGxNE. 305 site. On affluait chez lui au point que M""^ Le Bigot crai- gnait que cela ne dérangeât trop son illustre propriétaire ; elle lui avait même exprimé ses craintes à ce sujet. — Non, non! ma bonne Marie-Yvonne, répondait-il; laissez ces gens-là monter, ça me fait plaisir de les voir! Beaucoup prétendaient être ses parents. « Des pa- rents comme nous en avons beaucoup en Bretagne ! » nous a déclaré M"*® Le Bigot. Et, dès que Renan venait à Tréguier, sa maison ne désemplissait pas. Il est vrai qu'il recevait aussi d'anciens condisciples, ou des Tré- corrois qui l'avaient connu dans sa jeunesse. Cependant, Renan ne laissait jamais partir ces gens — le plus souvent des femmes — sans leur donner un louis d'or, quelquefois deux. Et ces braves femmes en étaient si heureuses, qu'elles donnaient à la fille de la locataire de l'Académicien, qui était alors enfant, quatre ou cinq sous, pour les avoir laissées monter chez M. Renan. — J'ai eu ça, disaient-elles, en ouvrant la main où elles gardaient encore la pièce d'or... — Oui, c'était un brave homme, et bon et honnête, que M. Renan 1 nous a déclaré encore M^'^ Le Bigot... Si vous saviez tout ce qu'il donnait ici pour les pauvres et les malades, de l'argent, des vêtements, des médica- ments. Il en donnait que c'était une bénédiction ! Aussi les malheureux l'aimaient bien, je vous assure, et l'an- née où il n'a pu venir, comme d'habitude, avant de rentrer à Paris, car il était déjà sur sa fin, on l'a joli- ment regretté. Ah 1 oui, s'il avait des ennemis, il avait aussi bien des amis, de bons amis du pays!... 308 Ernest renan Comme l'un des plus grands griefs des adversaires d'Ernest Renan était de dire : « II n a rien fait pour le port de Tréguier; il ne se souciait nullement de ses compatriotes », la plus élémentaire équité de l'historien nous oblige à publier les quelques lettres suivantes, choisies parmi tant d'autres analogues, adressées à des Trécorrois, les intermédiaires de sa discrète charité : (( Enfin, on va toujours. Je suis porté à croire que, dans quelques jours, je reprendrai le temps de ma vie ordi- naire. Mes vacances de Pâques n'ont pas été brillantes. » En effet, l'écrivain était très difficile pour lui-même, et il apportait toujours beaucoup de temps et de scru- pules minutieux au travail de la correction. Gomme il n'avait pas l'habitude de donner un manuscrit à l'avance, son éditeur, M. Calmann-Lévy, fut surpris, au commencement de cette même année 1892, alors que Renan n'avait pas donné le bon à tirer de son tome IV, de le voir lui faire composer en hâte le tome V. L'au- teur en emporta même une partie des épreuves en par- tant pour la Bretagne, et l'éditeur lui envoya le reste. « La veille de son départ, en allant lui dire adieu, — a dit M. Philippe Berger, — je trouvai M. Renan à sa table. Il avait devant lui une épreuve de bon a tirer, et me dit avec un air de satisfaction que je ne lui avais plus vu depuis longtemps : « Voilà la dernière feuille (( de mes Rabbins. Je m'étais imposé cette tâche; c'est ({ fini. Maintenant, je vais mettre la dernière main à « mon Histoire d'Israël. Je vais travailler, je le sens. « J'aurai recours à vous. Je vous enverrai des vériflca- « tions à faire. » (l) Près de Fontainebleau. 320 ERNEST RENAN « Ce sont les derniers mots qu'il m'a dits... « Hélas! les vérifications ne vinrent pas. Il m'écri- vait plutôt : « Je ne vais guère bien. Cette névralgie « est indéracinable; elle trouble toutes les fonctions; « elle me fatigue et m'affaiblit. Il y a des jours où la « mauvaise influence se porte sur la voix, et ces jours- « là je ne puis dire un mot. Je puis travailler dans « une certaine mesure à mon quatrième volume d'Israël, « mais que de temps perdu ! Plaignez-moi ! » Cependant Ernest Renan put achever lui-même, et à Rosmapamon, son Histoire du peuple d'Israël, c'est- à-dire réaliser le désir qu'il avait souvent exprimé de mener à bien, avant de mourir, sa grande œuvre histo- rique (1). M. Quellien a conté, d'admirable et touchante façon, l'un des derniers beaux jours de Renan à Rosmapamon, ainsi qu'une conversation , où il y avait un adieu dans chaque phrase. Nous lui cédons volontiers la plume : i E. Ledrain {Eclair). « C'est chose aisée de louer Renan. Sa vie fut celle d'un sage, quelques-uns disent d'un saint. Son génie d'écrivain est presque une magie. Il a versé dans notre langue tout le suc des fleurs de Grèce et de Judée, et jamais poète n'a fait chanter de plus douce musique aux oreilles des hommes. » Jules Delafosse (Le Figaro). « Nul écrivain peut-être n'a jamais tant occupé, hanté, troublé, ou ravi les plus délicats de ses contem- porains... Je suis pénétré de Renan. Nul esprit n'a si puissamment agi sur moi. » Jules Lemaitre [Les Débats). « Une des plus hautes intelligences de ce temps s'est éteinte, une force et une grince de pensée viennent de 38â ERNEST RENAN disparaître du monde. Ernest Renan est mort hier et il y aura désormais un grand vide parmi les hommes de ce temps... Il a été l'apôtre de la solidarité humaine. » Gustave Geffroy [La Justice). « Renan fut avant tout et par-dessus tout un écri- vain, un artiste... C'est le Roi du style et le Dieu du Verbe que nous venons de perdre. Quel architecte de la phrase, quel ingénieur du discours 1 » Ed. Lepelletier {L'Echo de Paris). (( Renan est, certes, la plus grande gloire des lettres françaises... Si Renan était devenu prêtre, comme il en avait le projet au commencement de sa vie, il n'au- rait pas mené une vie plus exemplaire; il n'aurait pas parlé avec plus d'émotion, de tendresse et d'éloquence, de l'Eglise et de ses œuvres... Sa place reste marquée pour l'avenir au premier rang des érudits, des pen- seurs et des écrivains. » Jules Simon (Le Temps). La Bretagne prit aussi sa part du grand deuil qui affligeait les lettres françaises. Qu'il nous suffise de re- produire ce que publia alors un journal breton du pays de Renan : (( S'il est un coin de la patrie française où le deuil du grand esprit qui vient de disparaître doive être plus douloureusement porté, n'est-ce pas le nôtr»? N'est-ce pas dans ce pays de Tréguier et de Lannion qu'il affectionnait tant et que son souvenir illustrera à jamais? (( Car les grands hommes ont cela de particulier EN BRETAGxNE. 383 qu'ils baptisent, en quelque sorte, de leur nom glorieux la terre qui fut l'objet de leur prédilection. (( Dans les siècles qui viendront, deux endroits atti- reront invinciblement les admirateurs de l'incomparable écrivain dont la pensée planait si haut au-dessus des petits événements de ce monde : Tréguier et Rosma- pamon. Tréguier, où il naquit, où il passa sa vie d'en- fant; Rosmapamon, le nid de feuillage où il vécut les plus doux moments de ses dernières années (1). » M. Edouard Lockroy — qui avait fait partie de la première mission en Phénicie d'Ernest Renan et qui eut l'honneur de lui décerner, comme ministre de l'Instruc- tion publique, la plaque de grand-officier de la Légion d'honneur — déclara, dans une interview, que le Gou- vernement avait pour devoir de prendre l'initiative de faire des funérailles nationales à Renan, en l'absence des Chambres. Ce fut l'origine du décret du 7 octobre 1892, que voici : « Le Président de la République française, « Sur le rapport du président du Conseil, ministre de l'Intérieur, du ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts et du ministre des Finances, « Décrète : « Article premier. — Les funérailles de M. Ernest Renan, Administrateur du Collège de France, membre (1) II. .Maugcr {Le Lannionnais) . 384 ERNEST RENAN de l'Académie française et de l'Académie des Inscrip- tions et Belles-Lettres, seront célébrées par les soins de l'Etat et aux frais du Trésor public. » Par un second décret, rendu en Conseil d'Etat, un crédit de j 0,000 francs fut ouvert au ministère de l'Instruction publique pour ces funérailles. La carte d'invitation aux obsèques était ainsi conçue: Obsèques de Monsieur Ernest RENAN Administrateur du Collège de France Membre de FAcadémie française Membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Membre du Conseil de Tordre de la Légion d'honneur Membre du Conseil supérieur de Tlnstruction publique Collège de France Vendredi 7 octobre, à 10 heures précises. Paris et la France savante firent à Ernest Renan les funérailles qu'avaient eues Victor Hugo et Chevreul, et Pasteur depuis. Tout ce que la capitale compte d'illus- trations dans les sciences, les lettres, les arts et la po- litique y assista. La nation y prit part et la Bretagne y fut représentée. Le défilé des obsèques et des déléga- tions dura près de deux heures. Nous n'avons pas à en parler plus longuement ici. Les admirateurs de l'illustre savant en trouveront un EN BRETAGNE. 385 fidèle récit dans le Livre d'or de Renan. Mais nous devons à la mémoire du grand Breton de citer quelques extraits des principaux discours qui furent prononcés, devant son cercueil, à la porte même du Collège de France, qui le connut pendant cinquante ans. Un des amis intimes de Renan, un illustre Breton aussi, M. Alexandre Bertrand, président de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, parla au nom de la savante société, rappelant les grands et érudits travaux de celui qui fut l'àme et le rédacteur du Corpus inscrip- tionum et l'historien d'Israël : (( ... Avec Renan, termina-t-il, disparaît l'étoile la plus brillante peut-être de cette pléiade bretonne, l'honneur de la république des lettres: Chateaubriand, Lamennais, Renan. Renan restera une des gloires de la France. Soyons-en fiers. Mais, en disant le dernier adieu à l'homme de génie, au savant éminent, n'ou- blions pas l'homme de bien. » M. Gaston Boissier parla au nom de l'Académie fran- çaise, pour rendre hommage surtout au grand écri- vain, qui fut à la fois un philologue et un artiste, un théologien, un poète, un historien, un philosophe, et toujours au premier rang : «. ... Ce qu'il faut le plus admirer, dit-il, dans les tentatives audacieuses de M. Renan, c'est qu'elles n'ont jamais rien coûté à la pureté et à la netteté de son style. Personne n'a parlé de nos jours un français plus savant à la fois et plus simple, plus limpide, plus sin- cère, à travers lequel s'aperçoit mieux la pensée. Un grand écrivain n'est tout à fait maître de la langue dont 386 ERNEST RENAN il se sert qu'à la condition de ne pas lui faire violence. Si l'on veut être trop impérieux avec elle, comme un cheval de sang, elle s'effarouche et regimbe. Mais quand on la connaît à fond, qu'on ménage sa nature et ses instincts, et qu'on sait la conduire, elle obéit en esclave et se prête à tout. M. Renan la domine, en la respec- tant; il n'a jamais eu besoin de la torturer pour lui faire exprimer en perfection les subtilités de ses pensées, les nuances de ses sentiments, les finesses de son ironie; il la plie sans effort à tous ses usages. C'est la langue de tout le monde, et pourtant il excelle à la faire sienne. A tous ceux qui prétendent aujourd'hui que le français est trop pauvre pour rendre leurs impressions et leurs idées, qui veulent l'encombrer de mots nouveaux, qui brisent à plaisir les cadres de notre vieille phrase, je ne vois qu'une réponse à faire : il faut leur demander de lire une page des Souve- nirs de jeunesse ou des Dialogues philosophiques... » Au nom du Collège de France, M. Gaston Paris, qui devait lui succéder comme administrateur, parla de l'ancien élève, du professeur et du régent du premier collège de la nation, puis il traça ce délicieux portrait: «... Les idées de Renan ont eu bien des adversaires; l'homme n'a eu que des amis. On ne pouvait l'appro- cher sans l'aimer, sans être gagné par la simplicité de ses manières et de son langage, par son haut sentiment du devoir, par le dévouement exclusif à la vérité que révélaient toutes ses paroles, par la largeur de ses vues et son impartialité sereine dans sa façon dapprécier les hommes et les choses, par son respect religieux de EN BRETAGNE. 387 la liberté d'autrui, par l'immense bienveillance qui rayonnait de lui. Nous l'avons donc aimé plus que per- sonne, nous qui l'avons connu de plus près et pendant plus longtemps. Il sera toujours présent au milieu de nous, et son esprit, qui est l'esprit même de notre maison, présidera toujours, je l'espère, aux longues destinées qui lui sont encore réservées... » Nous avons réservé le discours de M. Léon Bour- geois, ministre de l'Instruction publique, qui parla, le premier, au nom du Gouvernement de la Républi- que. Tout serait à citer dans ce bel éloge de celui dont la mort est un deuil pour les lettres françaises, pour la science et pour la pensée humaines. Ecoutez la fin de ce beau discours, qui rappelle surtout Thomme à la vie droite et exemplaire, le Breton, apôtre de la vérité : « ... Sous la verdure merveilleuse, incessamment mouvante aux souffles divers de l'infini, le roc breton se dresse et n'a jamais tremblé. (( Ses ennemis se sont cependant demandé si, dans le domaine des vérités morales, un esprit de cette puis- sance n'avait pas un devoir particulier? « Oui, Messieurs, le génie est responsable envers son temps. Je ne crois pas que Renan l'ait jamais oublié. Le vin qu'il a versé à notre siècle est un vin subtil et fort, et quelques-uns s'en sont enivrés. Laissez passer les années et comptez sur ses qualités géné- reuses. La morale de Renan est en somme une morale d'activité, de courage et de bonté : « Allez, dit-il aux K jeunes gens, allez de l'avant avec courage; allez, 388 ERNEST RENAN c( allez; ne perdez jamais le goût de la vie. Croyez à (( une loi suprême de raison et d'amour qui embrasse « le monde et l'explique. Croyez au bien; le bien « est aussi réel que le mal, et seul il fonde quelque « chose; le mal est stérile. » Messieurs, celui-là peut être écouté avec confiance qui prêche la volonté de vivre et d'agir, le devoir de la tolérance, la ten- dance à la perfection intellectuelle, et la loi de vérité et d'amour. « Et celui-là doit être salué avec respect s'il a su, comme Renan, faire de sa vie entière un exemple de ses idées. L'unité de son œuvre est égalée par l'unité de son existence. On a demandé oii était la certitude de sa doctrine : elle est dans sa belle vie, que, pour obéir à sa conscience, il a deux fois brisée. A vingt-trois ans, le jour où il sentit la raison triompher en lui de la foi, il avait quitté Saint-Sulpice, sa chère maison, et l'avenir assuré; plus tard, avec la même tristesse et la même résolution, il abandonna le Collège de France, qui semblait la demeure nécessaire de son esprit, plutôt que d'incliner son enseignement devant une autorité extérieure. Malgré les lourdes charges de famille, dans l'incertitude du lendemain, il se remit à son travail solitaire, sans hésitation, sans bruit, avec toute sa sou- riante sérénité. « Messieurs, le voici mort^ mort fidèle à lui-même, dans ce Collège de France qu'il appelait « une institu- « lion laïque et indépendante... un établissement dont « la loi fondamentale est la liberté ». « Il a été l'un des plus puissants ouvriers de la révo- EN BRETAGN . 389 lution philosophique qui fera du xtx^ siècle une des grandes époques de l'histoire des idées. « Dans cette crise, il a réuni les qualités les plus diverses : la science profonde, la haute moralité et le don de créer la beauté. Il a eu, suivant son mot a l'Académie, « l'amour de la vérité, le génie qui la « trouve et l'art savant qui la fait valoir )). De là l'extraordinaire éclat et l'influence de son œuvre : il a certainement changé quelque chose dans l'état de conscience de l'humanité. (( Messieurs, vous vous rappelez tous les admirables paroles que Renan prononçait, à Tréguier, il y a quelques années, en songeant à l'heure où nous sommes : « Ce que j'ai toujours eu, c'est l'amour de la « vérité. Je veux qu'on mette sur ma tombe : Vêtait a- « lem dilexi. Oui, j'ai aimé la vérité, je l'ai cherchée, «. je l'ai suivie où elle m'a appelé, sans regarder aux « durs sacrifices qu'elle m'imposait. J'ai déchiré les « liens les plus chers pour lui obéir. Je suis sûr d'avoir « bien fait. » Messieurs, c'est parce qu'il a aimé la vérité de cet amour sans partage et sans faiblesse que nous l'honorons aujourd'hui. « La vie de l'homme est courte, mais la mémoire « des hommes est éternelle. C'est dans cette mémoire « qu'on vit réellement. » La vie qu'il appelait la vie véritable commence aujourd'hui pour Henan. Puisse- t il demain la vivre glorieusement, à quelques pas d'ici, au sommet de la montagne de la science, dans ce temple où la République veut que dorment cùte à côte, entourés de la même reconnaissance, ceux qui ont dé- 22. 390 ERNEST RENAN fendu l'indépendance de la patrie française et ceux qui ont servi la liberté de l'esprit humain. » Le conseil des ministres du 7 octobre 1892 décida qu'un projet de loi serait déposé à la rentrée des Chambres en vue de faire transférer au Panthéon les dépouilles mortelles de Renan, Michelet et E. Quinet. En attendant cette translation, l'inhumation des glo- rieux restes de l'auteur des Origines du Christianisme eut lieu dans un caveau de famille, celui de la famille Scheffer, au cimetière Montmartre. Ernest Renan avait dit, en un jour solennel : « Je veux qu'on mette sur ma tombe : Ve?ntatem dilexi. » Cela fut même rappelé à ses funérailles par le ministre qui parla au nom du Gouvernement. Nous avons voulu savoir si le vœu du célèbre Trécorrois a été exaucé. Il n'en est rien. Renan repose toujours au cimetière Montmartre, mais son cercueil occupe une place du caveau d'Ary SchefiFer, son beau-père, et c'est le nom seul du peintre renommé qui apparaît au frontispice du monument funéraire, juste au-dessus d'un bas- relief représentant un ange qui pleure, avec cette inscription : Heureux ceux qui pleurent^ ils seront consolés. Mais le nom du grand penseur breton ne s'y lit pas; aucun mausolée spécial n'a été construit pour lui, et rien ne rappelle au passant que là repose le doux phi- losophe... même pas les deux mots : Veritatem dilexi-, qu'il désirait voir figurer sur sa tombe, La fçimille EN BRETAGNE. 391 attend sans doute que sa dépouille mortelle soit trans- férée au Panthéon pour exaucer son dernier vœu... De son vivant, l'auteur de la Vie de Jésus avait rêvé une autre sépulture. « De mes épargnes, disait Henriette à son lit de mort, je veux que tu fasses un caveau de famille. Il faut nous rapprocher, que nous soyons près les uns des autres. La petite Ernestine doit revenir avec nous (1). » Et E. Renan a conservé longtemps cette idée d'être enterré près de sa sœur Henriette. Dans une lettre de Syrie, du 12 janvier 1865, quand il visita, à Amschit, le tombeau de sa sœur, il écrivit, après avoir projeté un monument pour ce caveau : (( ... Du reste, je veux qu'un jour nous soyons réunis. Tout cela n'est à mes yeux que provisoire. Mais qui sait où elle viendra me rejoindre, et si c'est moi qui viendrai la retrouver. » D'autres fois, Renan se demande encore « en quel coin du monde il reposera »... Ce ne fut que plus tard que l'illustre enfant de Tré- guier songea à faire reposer ses os dans sa ville natale, suivant en cela l'usage séculaire du pays armoricain, qui fait ramener sous les ormes du cimetière du village natal les dépouilles des Bretons que la vie en a acci- dentellement éloignés. Et son désir a toujours été d'avoir sa tombe à Tré- guier, même, si possible, au milieu du cloître, où il avait joué enfant, et à l'ombre de la vieille cathédrale (1) La première fille d'Ernest Renan, qui ne vécut que quelques mois. 392 ERNEST RENAN qui avait abrité ses jeunes années. 11 Ta dit et redit, à Tréguier même et aux Bretons : « Ah! si elle pouvait être au milieu du cloître!... Mais le cloître, c'est l'Eglise, et l'Eglise, bien à tort, ne veut pas de moi. » La France, elle, voulut — et elle veut encore — en- sevelir Renan au Panthéon. M. Léon Bourgeois, ministre de l'Instruction pubUque, déposa au Parlement, le 22 octobre 1892, et au nom du Gouvernement, un pro- jet de loi dont voici l'exposé des motifs : « Le décret du 26 mai 1885, qui a rendu le Panthéon à sa destination primitive et légale, a décidé que les restes des grands hommes qui ont mérité la reconnais- sance nationale y seraient déposés. (( Cette disposition s'applique aux citoyens à qui une loi a décerné des funérailles nationales; mais elle peut s'appliquer à ceux à qui les circonstances n'ont pas permis de décerner ces funérailles, et qui, cependant, sont dignes de l'honneur suprême du Panthéon. (( Dans le premier cas, le transfert de leurs restes au Panthéon est une conséquence de la loi qui leur a décerné des funérailles nationales; dans le second, ce transfert doit être ordonné par une loi spéciale. « Nous avons l'honneur de vous proposer de décider que les restes de Michelet, de Quinet et de Renan seront transférés au Panthéon. « Il n'est pas besoin de longs développements pour justifier cette proposition. Michelet, Quinet et Renan sont trois grands noms de la France du xix^ siècle. (( Nous vous proposons de les associer dans ce su- EN BRETAGNE. 393 prême hommage, parce que, si divers qu'aient été leurs génies, si différentes qu'aient été leurs œuvres, il y a entre eux une communauté impérissable. Tous trois ont été professeurs cà ce Collège de France que son fondateur créa pour servir la science libre; tous les trois, ils ont combattu pour l'indépendance de la pensée humaine; tous les trois, ils ont souffert pour elle. » La presse d'alors ne fut p'as toute favorable au pro- jet de mettre Ernest Renan au Panthéon. « Les siècles seuls peuvent remettre les génies à leur vraie place, abaissant les uns, relevant les autres... — écrivait Sarcey. Voilà Renan. Certes, je le crois un grand homme; c'est un des premiers écrivains, et, je pense, de tous les temps. Je ne referai pas son éloge, mais avouons que, pour mesurer la grandeur exacte d'une gloire, il faut un peu plus de reculée... Voilà pourquoi les gloires littéraires étant sujettes à de tels retours, je souhaiterais qu'on n'octroyât à un écrivain les honneurs du Panthéon qu'après un temps plus ou moins long, qui ne pourrait cependant être moindre que cinquante ans. » Un gouvernement timoré abonda dans ce sens; il renonça à son projet. Et le grand savant, dont la mort fut une perte pour l'humanité tout entière, attend encore le suprême hommage. MM. Fournière et de Mahy, en mai 1899, reprirent le projet du Gouvernement de 1892, en y associant le nom de Balzac, mais sans plus de réussite. Il en a été de même de la plus récente proposition de M. Couyba, 394 ERNEST RENAN du 2 décembre 1902; elle dort toujours dans les cartons du Parlement. Espérons que la France savante et républicaine n'ira pas jusqu'à imposer à ces quatre célébrités nationales le stage rêvé par Francisque Sarcey, et qu'elle leur décernera, à bref délai, les honneurs du monument élevé aux Grands Hommes. Car si le Panthéon ne devait pas recevoir un mort tel que Renan, il menti- rait à sa destination. La translation de ses restes dans ce temple de la gloire terrestre n'indiquera-t-elle pas que l'on a voulu affirmer et honorer le rôle joué par Renan dans l'histoire de la pensée humaine, comme désigner son œuvre parmi celles qui représentent une direction d'idées, une étape accomplie, une ouverture sur l'avenir? C'est là, au Panthéon, et non dans le cloître de Tré- guier, que sa place est nettement indiquée. L'auteur de la Vie de Jésus a été un conducteur d'esprits, il a tra- vaillé à l'œuvre commune de l'humanité, et, si la tolé- rance et la compréhension ne sont pas de vains mots, le suprême hommage à ce grand homme ne sera pas contesté désormais et ne se fera plus attendre... XI L'Apothéose en Bretagne. (La plaque commémorative. — Les rues Renan. — La statue de Tréguier.) On a souvent rapproché le nom d'Ernest Renan de ceux, de Lamennais et de Chateaubriand, qui ont tous aidé à l'illustration et aussi à la gloire de leur siècle. L'on a vu encore, à la distribution solennelle des priK du petit séminaire de Tréguier, du 2 août 1865, Mgr Plantier, évêque de Nîmes, qui la présidait, ana- thémiser, dans un vibrant discours, à la fois Lamennais — ce (( Tertullien tombé », disait-il — et Renan — ce « nouvel Arius » — pour reporter tous ses éloges sur l'auteur du Génie du Christianisme. La Bretagne a donc vu naître les trois hommes qui, depuis Luther et Calvin, ont peut-être le plus remué d'idées religieuses. C'est donc à elle que revenait le droit de tresser la première couronne de l'apothéose de l'ancien petit élève du Collège ecclésiastique de Tré- guier, et il est facile de comprendre pourquoi sa ville natale a tenu à se réserver cet honneur. Nous pour- rions même ajouter que notre modeste étude aura le mérite de montrer maintenant, jusqu'à l'évidence, les 396 ERNEST RENAN. raisons naturelles de l'érection de la statue d'Ernest Renan à Tréguier. Lors de sa présidence d'un jour dans la patrie de Saint-Yves-de-Vérité, Mgr Plantier profita de la cir- constance pour oser lancer de bien dures paroles contre le plus illustre enfant de la ville dont il était l'hôte. « Cet homme est né dans la cité qui nous entoure, dit-il. Il fut élevé sous le toit qui vous abrite; il a tourné en poisons les sucs vivifiants dont il avait été nourri dans cette maison sainte. A ce nouvel Arius qui a déchiré le sein de sa mère, faites effort pour opposer un nouvel Athanase (1)... » Tréguier, inspiré par l'esprit de tolérance que Renan répandait autour de lui, a su amnistier celui qui était l'objet d'anathèmes de la part des ministres chrétiens, et elle a dédaigné les conseils audacieux de l'évêque contempteur du plus illustre Trécorrois. On ne blesse pas impunément les cœurs bretons en attaquant ceux qui sont leur gloire. La cité du Trécor n'a cru pouvoir mieux répondre à de telles provocations, peut-être re- nouvelées, qu'en érigeant une statue à Ernest Renan sur l'une de ses places. Quand la France entière pensait donner le Panthéon pour dernière et glorieuse demeure à l'auteur de la Vie de Jésus, alors que lui-même avait souhaité plutôt ardemment l'humble vieux cloître de sa ville natale, les Bretons de Saint-Brieuc eurent les premiers l'idée d'es- sayer de réaliser d'autre façon le désir de l'illustre Tré- (1) Discours (le Mgr Plantier^ — Chez Leflem, à Tféguier. EN BRETAGNE. 397 cbrrois et songèrent à lui élever là son premier monu- ment. Un comité se forma même à cette intention au lendemain des funérailles d'Ernest Renan. L'idée fut reprise avec plus d'éclat par les Bretons de Paris (1 , présidés par M. Armand Dayot, inspec- teur des Beaux-Arts et Renaniste des plus ardents. Voici la lettre que reçut à ce sujet M. Guillerm, maire de Tré- guier : ff Paris, 18 mars 1894. « Monsieur le Maire, « Les membres du Comité des Bretons de Paris ont l'honneur de vous informer qu'en assemblée générale, tenue le 9 mars dernier, et à l'unanimité des voix, le vœu a été formulé qu'un monument soit élevé à Ernest Renan, dans sa ville natale. « Espérant, Monsieur le Maire, que vous voudrez bien vous faire leur interprète auprès du Conseil muni- cipal de Tréguier, ils vous transmettent respectueuse- ment ce vœu, et vous prient de lui réserver un accueil favorable et de le faire consacrer par une décision de principe. « Les membres du Comité des Bretons de Paris voUs adressent, Monsieur le Maire, l'expression de leurs sen- timents de franche sympathie et de cordial dévouement. « Signé : « Armand Dayot, preszWen^ inspecteur des Beaux- Arts, chevalier de la Légion d'honneur; (1) Associatioa littéraire et artistique de Paris, aujourd'hui disparue. 398 ERNEST RENAN « Charles Le Goffic, secrétaire général, agrégé de l'Université; « Famel, trésorier, pharmacien ; « D^ HÉLARY, trésorier adjoint; « Henry Eon, secrétaire adjoint, avocat, rédac- teur au ministère de l'Intérieur; « Le Masson, secrétaire adjoint, étudiant en droit; (( Louis Le Pigault, archiviste, avocat, attaché au contentieux de la Compagnie de l'Ouest; « Babin, secrétaire de la rédaction des Débats; CflABAS, peintre; Léon Durocher, homme de lettres; Durand-Tahier, secrétaire géné- ral de la Société nationale des Beaux-Arts ; Le Fustec, homme de lettres ; Pasquiou, avo- cat; Mordant, graveur; Robert de la Ville- hervé, homme de lettres, membres de la Commission. » Le maire de la ville de Tréguier répondit en ces termes, le 11 avril 1894 : « Monsieur le Président, (( Un deuil récent est venu m'empêcher de répondre^ avant ce jour, à la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire à la date du 18 mars dernier, relativement au projet formé par les membres du Comité des Bre- tons de Paris de faire élever à Tréguier une statue à notre éminent compatriote M. Renan. « J'ai l'honneur de vous faire savoir que mon inten- EM BRETAGNE. 399 tion est, au moment de la session de mai, d'appeler le Conseil municipal à se prononcer sur cette question. « Veuillez agréer, etc. « Signé : Guillerm. » M. Guillerm tint parole, et, dans la séance du 23 mai de la même année, soumit cette proposition au Conseil municipal de la ville de Tréguier. Elle n'aboutit pas. La majorité du Conseil, étant réactionnaire, refusa avec fracas. L'extrait suivant de la délibération n'est qu'un bien faible écho de cette séance orageuse : Extrait du )'egistre des délibéi^ations. Séance du 23 mai 1894. « ... Le maire donne lecture au Conseil d'une lettre qu'il a reçue du Comité des Bretons de Paris, par la- quelle on lui fait savoir que ce Comité a émis le vœu qu'un monument soit élevé à Ernest Renan dans sa ville natale. Le Conseil est d'avis que cette question soit ajournée. » Cette idée n'était pas mûre ; les polémiques étaient d'hier. Il fallait attendre encore. Ce projet ne devait être repris que huit ans plus tard, par les Bleus de Bre- tagne. Il a abouti. Tréguier commença par honorer son illustre enfant en plaçant une plaque commémorative sur la façade de sa maison natale — et dès que les élections munici- pales de 1896 eurent amené une majorité républicaine dans le Conseil de la ville. ^00 ERNEST RENAN « Sur la proposition qui lui en est faite par un membre du Conseil municipal, il est décidé qu'une plaque commémorative sera placée sur la maison où est né, à Tréguier, Ernest Renan. Le maire devra, à cet effet, s'entendre avec la famille Renan, qui est proprié- taire de la maison. « Cette proposition a été adoptée par onze voix pour et six voix contre. Une demande de scrutin public, ayant été faite auparavant par M. de la Raronnais, a été rejetée. » {Séance du 12 août i 896.) Le vieil esprit local trécorrois, avec sa farouche into- lérance, et personnifié par cinq conseillers municipaux de la minorité, lança alors dans la presse catholique un petit manifeste, qui ne fut qu'un feu de paille. Cette tentative d'opposition mit surtout en relief l'énergique et louable initiative de M. Jules Guillerm, maire de Tré- guier, ainsi que la fermeté de ses amis républicains de la municipalité. L'inauguration de cette plaque fut fixée au 24 sep- tembre 1896. Il fut décidé que la cérémonie resterait dégagée de tout caractère officiel, et qu'elle conserverait une allure tout intime* C'était le désir de la famille Renan. Malgré ces restrictions respectables, ce premier hom- mage de Tréguier à Ernest Renan est à noter, car il permet de mesurer le terrain gagné sur un ultramon- anisme peu bienveillant, sur une opposition réelle, par de fermes et courtoises initiatives. La plaque, en beau granit sombre de Kersanton, EN BRETAGNE. 401 mesure 1 mètre de hauteur sur 0'", 70 de largeur. Elle porte cette inscription, en lettres d'or : Ernest RENAN DE l'Académie française Administrateur du Collège de France Ancien élève du Collège de Tréguier Est né dans cette maison LE 28 février 1823 Puis, à la partie inférieure, encastré dans la pierre bretonne, est un superbe médaillon de bronze où les traits de Renan, ce grand ouvrier de la pensée, sont merveilleusement rendus. Ce médaillon, dû au ciseau du maître Chaplain, était la propriété de M. Ary Renan, dont la piété filiale a bien voulu offrir à la ville de Tré- guier ce précieux et si artistique souvenir. Nous empruntons le récit de cette familiale inaugu- ration à l'un des témoins oculaires, notre -excellent confrère, M. Mauger, directeur du Lannionnais : Un premier hommage à Ernest Renan (1). « Jeudi, a eu lieu à Tréguier, ainsi que nous l'avions annoncé, l'inauguration de la plaque commémorative que le Conseil municipal de Tréguier, par un vote qui l'honore, avait décidé de faire poser sur la maison où naquit Ernest Renan. « Le rendez-vous était au grand hôtel du quai, et c'est vers quatre heures que les admirateurs d'un des plus puissants esprits que l'humanité ait produits se 1) Ltf Lannionnais du 26 septembre 1896. 402 ERNEST RENAN sont dirigés vers la modeste demeure où s'écoulèrent ses premières années. « Là, sur le seuil, se tenait la famille : M. Ary Renan, M. et M™® Psichari et leurs trois beaux enfants. « Lorsque, autour d'eux, et faisant face à la maison, se furent groupés les nombreux assistants, en tète des- quels figuraient M. J. Guillerm, le sympathique maire de Tréguier, et la majorité des membres du Conseil municipal de cette ville, M. Guillerm a pris la parole et a prononcé le discours suivant : « Messieurs, « Je vous remercie, tout d'abord, d'avoir répondu à (( notre appel. « La municipalité, en décidant qu'une plaque com- « mémorative serait placée sur la maison oii est né (( Ernest Renan, a voulu, par là même, reconnaître le (( grand savant, le brillant écrivain que l'Académie « française avait jugé digne de participer à ses travaux. (( Elle a voulu qu'avec tous les titres de notre illustre « compatriote, la plaque de granit portât celui d'ancien « élève du collège de Tréguier, comme pour mieux « montrer le chemin parcouru par l'enfant qui étudiait « sur les bancs de bois de Tréguier et qui, de là, arriva « si haut. « Puisse l'exemple de ses premiers succès à notre « collège faire naître une véritable émulation parmi la (( jeunesse studieuse de notre pays. « Nous avons voulu que le plus humble des passants, « que, plus tard, les générations qui nous succéderont, EN BRETAGNE. 403 (( sachent qu'en Bretagne, autant que partout ailleurs, {( on a le culte du souvenir et le don du respect. « Ceux qui ont fait et feront l'éloge de notre illustre a compatriote n'ont pas et n'auront pas la bonne for- ce tune que j'ai, de parler devant la modeste maison où « naquirent Ernest Renan et sa sœur Henriette. — Hen- « riette Renan! quelques-uns ici, peut-être, se la rap- « pellent; Ernest, en tous cas, appartient à tous. >> « De nombreux applaudissements ont accueilli le discours de M. le maire de Tréguier, auquel M. Ary Renan a répondu dans les termes ci-dessous : « Monsieur le Maire, « Je vous remercie des paroles excellentes que vous « venez de prononcer devant notre maison, à la mé- «. moire de notre père. J'adresse en même temps à la « municipalité de Tréguier l'expression de notre grati- « tude émue pour l'initiative qu'elle a prise il y a quel- « ques semaines. Grâce à votre tact et à votre fermeté, « Messieurs, un grand pas est fait; et cela sera com- « pris, croj-ez-le, en dehors de nos frontières régio- « nales. Grâce à vous, Tréguier ne sera pas une ville « ingrate, qui ferme les yeux à sa propre gloire : votre « fidèle et intelligent effort nous est allé au cœur, et, a dût votre modestie en être surprise, laissez-moi vous (( affirmer que la France libérale vous approuve et « applaudit. « Vous le voyez, Messieurs, nous n'avons pas voulu c( de retards et, comme il s'agissait d'un devoir tout « tracé, nous nous sommes hâtés. Cette plaque de 404 ERNEST RENAN « granit breton, nous devions la sceller ensemble sur « cette pauvre façade. Aujourd'hui, les enfants et les (( petits-enfants d'Ernest Renan vous la confient en « toute sécurité. Notre piété filiale est donc en accord « intime avec votre généreuse et touchante pensée. « D'une entente commune, nous avons voulu user de (( no.tre droit en ce qu'il a de plus noble, et notre con- « science est pure comme le fut celle du maître que (( vous honorez en ce moment. « Votre tâche et la nôtre ne se borneront pas là, (( d'ailleurs. Il faudra que chacun de nous, pour sa « part, affirme au grand jour, en toute occasion, que la (( sérénité et la bonté clairvoyante n'ont pas cessé, jus- ce qu'à ses derniers moments, d'être les vertus fonda- (( mentales sur lesquelles Ernest Renan a édifié, pour (( nous, le monument de sa vie. Ce sera un jeu, pour « ceux qui l'ont connu, que de corriger l'erreur et d'in- (( tercepter la légende. Mais, en le faisant, ils aideront a au triomphe de la vérité universelle, qu'il a tant « aimée. « Nous sommes tous trop fiers pour nous plaire à la « moindre allusion dissimulée. Permettez-moi donc, « Monsieur le Maire et Messieurs, d'espérer tout haut en l'avenir que nous préparerons ainsi. Laissez-moi prévoir publiquement pou7' Ernest Renan, notre père et voire grand compatriote, une consécration complète que sa ville natale sera peut-être la première à lui donner, et qui nous réunira de nouveau, plus nombreux et, pour ainsi dire, moins sévères. « Ce n'est pas un adieu. Messieurs, que je vous EN BRETAGNE. 405 « adresse ce soir, mais un vaillant et reconnaissant au (( revoir! » « Toutes les mains se sont alors tendues vers M. Ary Renan, qui venait d'exprimer, en si beaux termes, la pensée de ceux au nom desquels il parlait. « Puis, la plupart des assistants sont entrés dans cette demeure, désormais consacrée, et ont pieusement visité le logis où vécut le petit écolier trécorrois, dont le nom devait faire tant de bruit dans le monde des idées. « Parmi les assistants qui avaient tenu à honorer, par leur présence, cette grande mémoire, nous avons remarqué MM. Baratoux, maire de Saint-Brieuc; Le Huérou, de Plouec, avocat à Paris ; le docteur Baratoux ; le docteur Le Rolland, conseiller général, maire de la Roche-Derrien ; Le Rolland, maire de Louannec; Pierre Tassel, de Louannec; J. Morand, avocat à Lannion; et parmi les littérateurs et publicistes présents : MM. Ana- tole Le Braz, Ch. Le Goffîc, Jean Ajalbert, Gausseron, directeur de L'Echo de la Semaine; Léon Marillier, A. Verchin, etc., etc. « Le soir, un banquet intime réunissait, au grand hôtel du quai, autour de M. Ary Renan, la plupart des participants de la cérémonie et plusieurs autres amis, que des circonstances indépendantes de leur volonté avaient empêchés d'arriver plus tôt, entre autres, l'honorable M. Le Troadec, député de la circonscription. « Au cours de la soirée, de chaudes et éloquentes paroles ont été prononcées, de beaux vers ont été dits, et l'on s'est séparé en se donnant rendez-vous, dans 23^ 406 ERNEST RENAN Tavenir le plus prochain, pour une inauguration plus solennelle et, cette fois, plus éclatante. » Ce n'était que la première étape de Renan dans le Panthéon breton. Parmi les catégories d'hommages publics que les contemporains aiment à rendre aux plus illustres d'entre eux, l'une des plus communes et la moins dis- pendieuse consiste à donner leur nom à l'une des rues de la ville ou du village où ils sont nés, ou de la cité qu'ils ont illustrée. Le plus souvent, ces sortes d'hom- mages sont posthumes; parfois, quelques privilégiés profitent de cette parcelle de la gloire même de leur vivant. Ernest Renan fut un de ces rares favorisés, et même dans la plus grande ville de son pays natal. Dans une séance du Conseil municipal de Saint- Brieuc, le 11 juillet 1891, et sur la proposition du maire, M. Charles Baratoux, la municipalité briochine décida de donner le nom &' Ernest Renan à l'une des nouvelles rues de la ville. Un décret du Président de la Répu- blique, en date du 3 septembre 1891, vint approuver cette délibération. Quelques jours plus tard, l'évêque de Saint-Brieuc protestait par la lettre suivante, que nous donnons en entier : ÉVÊCHÉ DE Saint-Brieuc ET DE ÏRÉGUIER « Saint-Brieuc, 12 septembre 1891. « Monsieur le Maire, « J'apprends, par la voie des journaux, que la délibé- ration du Conseil municipal de Saint-Brieuc donnant à i EX BRETAGNE. 407 l'une de nos rues le nom de rue Renan vient d'être approuvée par un décret du Président de la République. « Après la conversation que j'avais eue avec vous et à la suite d'un entretien avec M. le Préfet, je m'étais bercé de l'espoir qu'il ne serait pas donné suite à un projet qiti causait déjà une juste et douloureuse émotion. (( Trompé dans mon attente, j'ai le devoir, Monsieur le Maire, de me faire l'interprète des sentiments de pro- fonde aflliction de tous les cœurs chrétiens, qui souf- frent avec leur évéque de l'offense faite à leur foi. « Agréez, etc. « t Pierre-Marie, « Evêque de Saint-Brieuc. « La presse républicaine des Côtes-du-Nord riposta en félicitant le Conseil municipal de Saint-Brieuc de sa patriotique initiative. « Cette assemblée — dirent les journaux — s'est honorée en rendant un si juste hom- mage à l'éminent écrivain, qui est une des plus vastes intelligences de tous les temps et l'une des plus grandes illustrations de notre siècle. » Tréguier suivit plus tard l'exemple de Saint-Brieuc, comme l'avaient fait entre temps les villes d'Issy-les- Moulineaux et de Paris, qui ont maintenant des rues Renan. Lorsque M. Villeneufve demanda au Conseil muni- cipal de Tréguier (séance du 12 février 1898j le change- ment des noms de deux rues, pour leur donner ceux du comte de la Tour et du docteur Villeneufve, M. Louis Le Gac, Gis de l'ancien maire, demanda aussi que « le 408 ERNEST RENAN nom d'un de nos grands et illustres concitoyens, Ernest Renan, soit donné à une des rues de la ville, surtout à celle dans laquelle se trouve sa maison natale ». Par sept voix contre cinq, le Conseil municipal approuva cette proposition — qui fut ratifiée par le décret prési- dentiel du 19 septembre 1902. Toutes ces petites manifestations bretonnes (1) en l'honneur de l'illustre enfant trécorrois devaient natu- rellement aboutir à sa glorification en plein pays natal. Devant le premier refus de la ville de Tréguier aux « Bretons de Paris » de placer un Renan en marbre à l'ombre du vieux cloître gothique, où il avait rêvé dor- mir son dernier sommeil, quelques-uns pensèrent éle- ver sa statue en bronze sur la belle terrasse de Rosma- pamon. Le temps et le progrès des idées ont changé tout cela, et c'est sous les ormes de la grande place de Tréguier (la place dite Levée), et à deux pas de la fon- taine autour de laquelle il joua enfant, que Renan a eu sa première statue. L'histoire de cette statue mérite d'être écrite. Renan, déjà vieux, eut un jour le vif désir de revoir la cour du (1) Ce livre était écrit quand nous avons appris que M. Camille Pelletan, ministre de la Marine, venait de signer le traité donnant à la Société des Chantiers et Ateliers de Penhoët, près Saint- Nazaire, la commande du plus grand croiseur cuirassé de la ma- rine française. Il sera de 13,300 tonneaux, long de 157 mètres, et sa vitesse atteindra 23 nœuds. N'est-ce pas là encore un judi- cieux et remarquable hommage breton envers l'illustre Trécor- rois, qui, lui aussi, fut fils et petit-fils de braves marins d'Ar- roor!.,. EN BRETAGNE. 409 petit séminaire de Tréguier, oii sa jeunesse avait eu des jours si paisibles : — Je voudrais, disait-il, je voudrais encore une fois m'asseoir comme jadis, et seulement un quart d'heure, sur l'étroit banc de pierre et considérer les choses qui me furent familières : les murs grisâtres, les allées silencieuses, l'horizon bas et borné. Nous avons pu reproduire la correspondance échan- gée entre l'ancien lévite du petit séminaire et le supé- rieur d'alors. Les portes de la sainte maison ne se sont jamais ouvertes pour Ernest Renan... Or, ce sont aussi trois autres anciens élèves de cette même école ecclésiastique, trois successeurs de Renan aux leçons de M. Mando, qui ont été les promoteurs du mouvement pour l'érection à Tréguier de la statue qui est l'œuvre du Breton Jean Boucher : MM. Armand Dayot, que nous connaissons déjà; Jules Guillerm, maire de Tréguier, et dont le père fut le condisciple de Renan ; Gustave de Kerguézec, conseiller général des Côtes-du-Nord. M. Mando n'aurait-il formé que des élèves rebelles?... Ce fut le Paimpolais qui commença cette œuvre. Délégué du ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts à l'inauguration du monument du général Hoche à Quiberon, — le 20 juillet 1902, — M. Armand Dayot y prononça un magistral discours sur le héros de la Révolution, et il sut y rattacher l'idée d'un monu- ment à élever au héros de la pensée libre, émettant, séance tenante, le vœu qu'un monument fût élevé à Ernest Renan dans sa ville natale. 4=10 ERNEST RENAN Voici ses propres paroles : « ... Permettez-moi, Mesdames et Messieurs, de ter- miner par un vœu. « Je n'ai pas reçu mission officielle de le formuler ici, mais je serais bien surpris si M. le Ministre de l'Ins- truction publique et des Beaux-Arts — qui m'a fait le grand honneur de me déléguer à cette cérémonie — m'en tenait rigueur. Je crois même pouvoir affirmer — et M. le Ministre de la Marine ne me démentira pas — que le Gouvernement de la République apporterait bien volontiers son utile concours à la réalisation de ce vœu. a Je souhaite, et tous les Bleus de Bretagne, et tous ceux qui pensent librement, le souhaitent sans doute avec moi, que la ville de Tréguier ne tarde pas davan- tage à élever, elle aussi, une statue à son plus illustre enfant, qui est une de nos gloires nationales les plus hautes, une des lumières les plus brillantes de la pen- sée humaine : je veux dire Ernest Renan... Il ne faut pas que le bruit des cloches de ses couvents étouffe plus longtemps les appels qui s'élèvent de toutes parts en faveur d'une glorification populaire qui s'est déjà trop fait attendre, car le culte des grands hommes n'est-il pas le fait le plus consolant de l'heure actuelle'/ Il y a en lui, pour employer la forte expression de Tho- mas Carlyle, un éternel espoir pour la direction du monde... » Cette fin du discours de M. Dayot fut saluée de cris mille fois répétés de : « Vive Renan! », car c'était un EN BRETAGNE. 411 vœu naturel et qui répondait à la pensée des innom- brables admirateurs de l'illustre écrivain. L'appel des Bleus de Bretagne fut entendu. Même un incident original et très inattendu précipita les événe- ments et fut la définitive impulsion du monument Renan. Peu de jours après les fêtes républicaines de Quibe- ron, la Ligue d'action républicaine des Côtes-du-Nord, réunie en assemblée générale, émettait le vœu suivant : (( La Ligue émet le vœu qu'une souscription soit ou- verte, le plus tôt possible, pour l'érection d'une statue à Ilenan dans son pays natal. Elle s'associe aux inten- tions formulées à cet égard par la Société des Bleus de Bretagne, à laquelle elle envoie l'expression de sa chaude sympathie. » Quelques jours plus tard, un autre fait vint encore aider à la réalisation de cette idée de glorification. Un ami de l'Association des Bleus de Bretagne, M. Armand- Charpentier, homme de lettres à Paris, fit à Tréguier (I) une éloquente conférence sur ce thème toujours d'actualité : République et Réaction. Très géné- reusement, il provoqua la contradiction. L'un de ses adversaires, un confrère loyal, envoyé par L'Action libérale, M. A. Cavalier, se fît remarquer par un réel talent de parole et aussi par l'élévation de sa pensée. 11 alla même, dans un large mouvement d'improvisa- tion, jusqu'à s'oublier à faire l'apologie de Renan, et à s'écrier « qu'en élevant une statue à l'auteur de VAve- (1) Le 16 août 1902. 412 ERNEST RENAN n?r de la Science, la ville de Tréguier ne faisait somme toute que payer une juste dette de reconnaissance à la mémoire du plus illustre de ses enfants » . L'élan était donné. Le Conseil municipal de Tréguier se réunit extraor- dinairement le 30 août 1902 et décida d'ériger enfin une statue au « Grand Penseur » sur une des places pu- bliques de la ville. Nous tenons à donner le texte de cette remarquable délibération, d'abord à titre documentaire, puis parce qu'elle honore le maire et la majorité républicaine du Conseil municipal de l'ancienne Trécorensis : Séance du 30 août 1 902. « Etaient présents : MM. Jules Guillerm, maire; Derlot et Bourgeois-Gavardin, adjoints; MM. Le Peltier, Le Gac, Perrot, Le Mével, Guillou, Guézennec, Le Goaster, Oudin, Goarin, Maurice, de Kerguézec, Leron- del, Husson. « Absent : M. Salpin, excusé. « M. Maurice est nommé secrétaire de la séance. « Le maire fait savoir que cette réunion a été deman- dée par la majorité des membres du Conseil municipal. « M. Oudin demande qu'il soit donné lecture des noms. Le maire répond que tous sont présents, prêts à confirmer ses déclarations; que, du reste, si ces expli- cations ne lui suffisent pas, l'article 47 de la loi munici- pale lui confère le droit de provoquer, quand il le juge utile, des réunions du Conseil, EN BRETAGNE. 413 (I Le maire prend ensuite la parole en ces termes : « Messieurs, « Quelques personnes ont paru s'émouvoir, parmi elles plusieurs membres du Conseil, de paroles pro- noncées au cours de la réunion publique et contra- dictoire du 16 août dernier. (( Il nous a été donné, au cours de cette réunion, d'entendre un des orateurs envoyés là pour réfuter notre sympathique ami M. Charpentier; il nous a été (( donné, dis-je, d'entendre un orateur catholique et « chrétien faire l'apologie d'un des enfants de Tré- « guier, Ernest Renan. « A vrai dire, Messieurs, nous savions que tôt ou « tard, quelle que pût être la composition de notre « assemblée municipale, elle aurait, sinon à rendre et « payer un tribut d'admiration à Ernest Renan, qui est « considéré à juste titre, dans le monde entier, comme « un des Français les plus illustres du xix® siècle, et « que tous saluent du titre d'apôtre de la tolérance, « tout au moins à se prononcer à son sujet. « Cette réunion a été provoquée, ai-je besoin de vous « le dire, sur une proposition déjà ancienne, qui émane (( des « Bleus de Bretagne », et aussi par plusieurs « d'entre nous, qui vous demandent de vouloir bien « mettre à la disposition d'un comité, qui sera ulté- « rieurement constitué, un emplacement que vous « voudrez bien désigner. « Vous aurez donc à vous prononcer à l'instant et à (( dire si vous consacrerez par vos votes une idée qui « est mûre et que nous ne pouvons plus ajourner. 414 ERNEST RENAN « Je VOUS prie, en conséquence, de vouloir bien déci- « der si, oui ou non, un grand Académicien, un ancien (( Directeur du Collège de France, un grand savant qui « a été honoré de l'amitié et qui a eu des relations « avec toutes les sommités du monde entier, est digne (( d'avoir sa statue sur une des places publiques de sa (( ville natale. » « Il est ensuite donné lecture d'un vœu conçu en ces termes : ic Le Conseil municipal, considérant : « 1^ Qu'il est de son devoir de rendre un public « hommage à la grande mémoire d'Ernest Renan, qui « restera un des écrivains et un des penseurs les plus « illustres du monde; « 2^ Qu'il importe de réparer l'injuste ostracisme « dont l'apôtre de la tolérance a été si longtemps frappé (( sur le sol de sa patrie bretonne ; « 3° Qu'il est de son devoir d'accepter les proposi- (( tions qui lui ont été faites par les comités centraux, « d'ériger gratuitement une statue du grand penseur « sur une des places de Tréguier; « Décide : « Qu'un emplacement sera choisi pour l'érection de (( cette statue, d'un commun accord entre les comités « centraux et le comité local ; « Que ce comité local sera immédiatement cons- « titué; « Qu'un appel sera fait au concours du gouverné- es ment de la République. Décide en outre que le nom EN BRETAGNE. 415 a de rue Renan sera donné à . la rue dans laquelle est « né l'illustre enfant de Tréguier. » « Ce vœu, mis aux voix, est adopté par onze voix contre cinq. « M. Guézennec communique ensuite au maire une protestation signée de MM. Le Goaster, Guillou, Gué- zennec et Oudin, conseillers municipaux. (( Cette protestation, dont il est donné lecture, est conçue comme suit : « Les soussignés, membres du Conseil municipal de « Tréguier, considérant : « 1° Que si Renan fut un grand littérateur, son «. œuvre philosophique a été démoralisatrice, négative « et stérile; « 2"^ Que son attitude toujours antipatriotique le fut « particulièrement lors de l'invasion allemande (1) ; « 3*^ Qu'il fut sous tous les pouvoirs courtisan du « Pouvoir; « Protestent énergiquement contre la glorification « de sa mémoire, regarderaient comme une provoca- « tion aux sentiments religieux du pays rérection de (1) E. Renan a répondu à ces propos mal rapportés par le Journol des Concourt, et exagérés encore, et perfidement depuis, dans une lettre adressée à ce sujet à son cousin de Lannion, M. Morand, avocat : -< Ah! mon cher cousin, que je vous sais gré de vous indigner pour moi, en ce temps de mensonge, de com- mérage et de faux racontars! Tous ces récits de M. de Concourt sur des dîners dont il n'avait aucun droit de se faire l'historio- graphe sont de complètes transformations de la vérité. Il n'a pas compris et il nous attribue ce que sou esprit, fermé à toute idée générale, lui a fait croire enteudre... » [le Lannlonnais,] 416 ERNEST RENAN « sa statue à Tréguier, et réclament l'insertion au « procès-verbal de la présente protestation. » (( Le maire donne ensuite lecture d'une lettre qu'il a reçue de M. le Curé. M. de Kerguézec en demande l'in- sertion au procès-verbal, et sa demande est adoptée. » Nous donnons cette lettre de protestation, à titre de document : « Monsieur le Maire, (( Le bruit s'accrédite en ville que votre Conseil municipal doit se réunir demain 30 août, à l'effet de voter l'érection d'une statue à Renan et de donner son nom à l'une de nos rues. « Si la chose est vraie, il est de mon devoir de pro- tester contre un tel projet. Je le fais ici et je le ferai publiquement dimanche, en chaire. (( Je crains, Monsieur le Maire, que cette glorification du plus grand insulteur du Christ, du blasphémateur défroqué qui, comme Judas, s'est enrichi en trahissant son Dieu et qui est mort dans la fange; je crains que cette glorification, dont votre Conseil et vous aurez été la cause, n'attire quelque fléau sur la ville. Je crains qu'elle ne rende votre nom et votre administration odieux à tous les chrétiens, pendant que le souvenir en restera. « Dieu est patient sans doute, mais parfois il se lasse et se venge de ses insulteurs. « Ne pensez-vous pas, Monsieur le Maire, que la rue qui portera le nom de l'apostat deviendra odieuse et que personne ne voudra l'habiter? EN BRETAGNE. 417 {( Pour mon compte, je vous assure que, de mon vivant, jamais aucune procession n'y passera, que jamais le Saint-Sacrement ne sera porté sur une place 011 trônera son insulteur. « Ce qu'il y a de mieux à faire pour Renan, c'est de le laisser dans Toubli. En le glorifiant, on aug- mente ses souffrances, s'il est tombé à gauche dans l'éternité. (( On vante son style, on admire son talent littéraire, mais sa doctrine n'en est que plus perfide. Le poison que Ton vous présente sur un plat d'or n'en est pas moins dangereux que présenté sur un plat de terre. « Ces réflexions, Monsieur le Maire, je vous les adresse sans aucune acrimonie. Je n'en ai contre per- sonne. Je veux seulement remplir mon devoir de prêtre et empêcher un grand scandale. « Veuillez agréer^ etc. Le Goff, « Grand vicaire, arckiprêtre. » La séance est ensuite levée. M. Guillerm, maire de Tréguier, répondit une lettre très digne au curé de Tréguier, disant « qu'il ne s'atten- dait pas à le voir s'occuper d'une affaire qui relève exclusivement des autorités civiles. La commune est dans son droit en honorant l'un des fils du pays qui l'ont illustré le plus. On ne comprend pas, par suite, que le clergé s'immisce dans cette affaire (1) ». La ville de Tréguier a voulu réserver à son illustre (1 ) Voici, à 'litre de document, la lettre de protestation qu'écri- 418 ERNEST RENAK enfant un emplacement et un cadre dignes de sa gloire, et elle s'en est dessaisie pour lui. Voici les extraits de ces délibérations : Extrait de la délibération du Conseil municipal de Tréguier (20 février 1903). « M. de Kerguézec donne lecture de la proposition suivante : u Le Conseil municipal, (( Confirmant sa délibération du 30 août 1902, aux « termes de laquelle il a accepté la proposition qui lui « était faite par lé Comité de la statue de Renan, « d'ériger cette statue sur une des places de Tréguier; « Considérant qu'il importe de déterminer l'empla- « cément sur lequel sera .élevé ce monument; que, vit aussi alors l'évêque de Saint-Brieuc. Ce n'est que l'aggrava- tion de sa précédente, à propos de la rue Renan, de Saint-Brieuc : « Saiat'Brieuc, le 2 septembre 1902. « Cher et vénéré Archiprêtre, l)kMZ (Manon\ 70,71, 72. Lasbleiz (veuve), 75, 95, lOl. Laurens (de l'Institut), 423. im ÎNDËX. Lauruen, 90, 91. Léandi, 255. Le Barazer (J.), 39, 40. Le Bellec, 29, 80, 81. Le Bigot, boulanger, 58, 60, 62, 63, 65, 244, 2Ô1, 289, 304, 305. Le Bigot (Mmo), 56, 58, 62, 63, 64, 65, 305, 306. Le Bigot (Louise), 53, 65, 261, 306. Le Blanc, 132. Le Borgne (Alain), 36, 37, 117, Le Braz (Anatole), 60, 243, 338, 340, 405, 421, 456. Le Bricquir (K.), 71. Le Goat (Joseph), 71. Le Cornu (Jeanne), 39. Le Chapelain, 249. Lechat, 342. Le Clerc, 443. Le Coniat, 38. Lédauo, 25, 26, 28. Le Dantec, docteur, 370, 374. Ledillant, 78. Ledrain (Eugène), 259, 260, 261, 270, 381. Lefébure de Gourcy, 195. Leflem, 396. Lefur, maire, 342. Le Fustec (Jean), 398. Le Gac (Louis), 407. Le Gac (Charles), 252, 258, 260, 263, 264, 265, 274,276, 277, 309, 310,312,328,329,830. Le Gall, abbé, 172, 179. Le Gallo'i, 358. Légion d'honneur, 274, 378, 383, 384, 425. Le Goaster (Ange), 56, 57, 59, 252, 311. Le Goaster (Auguste), 131, 413, 415. Le Goaster (Honoré), 89. Le Goaster, 132. Le Gotl", curé, 417. LcGofr(Guillauine),124,134,etc., 150. Le Goffic (Charles), 98, 225, 358, 359, 365, 398, 405. Le Gonnidec (Olive), 36. Le Gras (Anne), 38. Le Havre, 46. Le Hir, abbé, 177, 193, 199, 376. Le Huérou, 366, 367, 405. Leinster, 17. Le Louarn (Gillette), 30. Le Maguet, 342. Le Maître (Charles), 39, 40. Le Maître (Renée), 39, 40, 41, 73, 74. Lemaître (Jules), 381. Le Maoût (Charles), 200, 237. Le Masson, 398. Le Mée (Mgr), 104, 118. Le Mével, 413. Lemonnier (Camille), 423. Le Meunier, 184. Le Moullec (Marie), 39, 42. Le Moullec (Armand), 174. Le Moullec (Yves), 78, 81, 174. Le Moullec (Yvonne), 39, 42. Le Nepveu de Carfort, 137, 142. Lenoir (A.), 423. Le Nordez, 271. Lenquen (grève de), 365. Léofanti, 342. Léon (pays de), 262. Le pelletier (Edmond), 222, 225, 259, 260, 261, 271, 328, 382. Le Peltier, 413. Leperdit, 342. Le Picault (Louis), 398. Le Quellec, 77, 140, 143, etc. Le Rochais (Jean), maire, 355, 358, 364. Le Rolland (F.), recteur, 34, 35. Le Rolland, maire, 405. Le Rolland, docteur, 4U5. Le Rondel, 412. Le Saint (Marie), 42, 44. Le Saulx, chanoine, 149. LeSidaner,260. Le Troadec (Paul), 358,405, 421, 430, 431. INDEX. 469 Le Varat (Pierre), 35. Levasseur (de l'Institut), 423. Lézardrieux, 24, 30, 33, 38, 248 304. Liard, vice-recteur, 423. Liart (FraDcois), 113, 126, 129, 139, 149, 150. 156, 172,174, 178, 181. Liban, 229. 331. Lieux-Saints, 207. Limage, 39. Lion d'or (Hôtel du^, 63, 258, 259, 260. Lion. 157. Lissillour (Pierre), 144. Lissillour, capitaine, 68. Lockroy (Edouard^ 383, 423. Locquémau, 96. Loc-Ronan, 17, 294. Loire (la), 238. Londres, 68, 292. Longfellow (E.-W.l, 423. Lorient, 325, 338. 340, 341, etc., 350. Loth (Joseph), 19, 69, 223, 224, 226, 239, 240, 241. Loth (René), 19. Loti (Pierre). 356, 363, 426. Louannec, 280, 281, 282, 288, 298, 321, 405. Loubet (Président), 421. Loudéac, 127, 187. 248. Louis-Philippe, 102, 158. Louis XVII I, 43. Lourdes, 290, 296. Liinégan, 71. Luther, 395. Luzcl (F.-M.), 219, 223, 224, 226, 243, 250, 2ol, 252, 254, 258, 259, 261, 270, 272, 281, 287, 326, 327, 328, 329, 330, 338, 339, 359, 365, 366. M Mac-Rônan, 17. 18. Maël-Forthnrtaig, 17. iMaeterlink, 423. Mahomet, 204. Mahy (de), 393. Maître (Charles Le). (Voir Le Maître.) Maître (Renée Le). (Voir Le Maître.) Malet (P.), 42. Mallet frères, 188. Mallo Catherine), 261, 262, 263. Malio Hôtel), 253, 285, 304, 310. Manche, 66, 67. 315, 369. Maudo, chanoine, 247, 248, 249. 409. Mando (Mgr), 249. Mando, député, 249. Manon, 31, 32, 71, 83, 158, 289. Manon Lasbleiz, 70, 71. Manuel (Eugène), 345. Maoût (Charles Le), 201, 239. (Voir Le Maoût). Marc, notaire, 30. Marc-Aurèle, 220. Margueritte (Paul et Vicîor), 423. Marinier (Léon), 405. Marine (Ministère de la , 68. Marjou, 306, etc. Marlotte, 319. 368. Marqueste, 423, Martel, lieutenant de vaisseau, 46. Martin, abbé, 223. Martin (Henri), historien, 223, 224. Martray, 41. Massarani, 423. Massenet, 423. Masson (Le), 398. (Voir Le Masson.) Mathieu, évangéliste, 4.'I0. Matin {Le), 303, 305. Mauger (Henri), 383, 401. Maurice, 413. xMaze (Hippolyte), 342, 344, 345. Méditerranée, 356. Melchior, 232. Mérédith (Goorgos), 423. Merle (A.), 379. ' 27 470 INDEX. Merlin, 337. Méry, 44, 45. Meskaabélec, 26, 27, 28. Meunier (Constantin), 423. Meurice (Paul), 222, 423. Mézambélek, 26. Mezzara (Paul), 352, 358, 364, 365. Michelet, historien, 390, 392. Mikhaël-Tobia, 206. Millerand (A.), 423. Minihy ou Minic'hi, 94, 253. Mistral (le poète), 337. Mommsen, 423. Mo?ide Illustré {Le), 98. Moniteur de VEmpire, 215, 216. Monod (Gabriel), 202, 423. Mouod (Henri), 423. Monselet (Charles), 328, 337. Montalembert, 178. Montégut (Maurice), 423. Montmartre (cimetière), 390. Montparnasse (gare), 223, 225, 239. Monzie(de), 431. Morand (M^e), 97, 98, 374. Morand (Joseph), 97, 149, 248, 260, 274, 277, 279, 406, 416. Morbihan, 257, 433. Mordant, graveur, 398. Moreau (Henri), 130, etc. Moreno (MUe), de la Comédie- Française, 432. Morlaix, 177, 327, Morote (Luis), 423. Mot d'ordre [Le), 271. Moullec (Armand Le), 78, 81, 174. Moullec (Yvonne Le), 39, 41. Moullec (Marie Le), 42. Musée Renan, 65. Muséum (le), 335. N Nanthouar, 302. Napoléon I", 68, 163, 198. Napoléon 111,-208, 213, 214, 215, 218. Napoléon (prince Jérôme), 219, 220. Napoléon (impératrice), 219. Néhémie, 372. Nénot, 423. Neuilly, 205. Nîmes, 395. Noël, 179. Noël et Chapsal, 128. Nocmi, 12, 158, 206, 378. Normandie, 70, 174. Norvège, 128, 219, 226. Notre-Dame-de-Bon-Secours,161. Notre-Dame-de-Runan, 18, 240. Notre-Dame-de-la-Clarté, 296. 0 Odyssée, 360. Ollivier, maire de Bréhat, 352, 3o8, 359, 360, 361, 365. Ollivier, capitaine, 42, 161. Ollivier (Veuve), 29, 162, 249, 250, 251,351, 352. Ollivier (Jean), 29, 30. Ollivier (Françoise), 39, 40. Orient (!'), 226, 331, 332. Osiris, 448. Osterlind, peintre, 352, 358, 359, 360. Oudin, 413, 415. Oxford (Collège d'), 288, 289. Ozanam, 195. Paban (Adolphe), 260, 271. Paimpol , 27, 48, 248, 249, 354, 356, 357,460. Painlevé, 423. Palamas, 423. Palerme, 254. Palestine, 449. Pallas Athéné, 426, 446, 454, 457. Panthéon, 21, 368, 390, 393, 426. INDEX, 471 Paris, 03, 97, 98, 111, 168, 1G9, 201, 2Û2,<208, 223, 252, 271, 272, 290, 302, 385, 408. Paris (Gaston), 386, 423. Parlement (le), 393. Partheaav (Louis de), 40. Pasco, abbé, 104, 107, 108. 110, 111,124, 125, 127, 170, 182, 189, 218, 247, 266. Pasquiou, 2G0, 398. Passerieu, général, 421,429.430, 457. Passion (lal, 299. Pasteur, 385. Pelage, 268. Pelgé (M^rr), 303. Pelletan (Camille), ministre, 408. Penhoët (chantiers de), 408. Penvénan, 133. Penvern, 32, 38. Perez-Galdos, 423. Perret (Paul;, 14. Perros-Guirec, 32, 146, 248, 282, 283, 285, 289, 296, 315, 32C, 321, 322, 354, 354, 366. Perros-Hamon, 356. Perrot, 413. Perrot (Georges), 225, 226, 287, 288, 352, 355, 356, 358,364, 365, 423. Perrot (Anne), 35. 36, 37, 39, 44. Perrot (Jeanne), 35. Perrot (Olivier), 36. Perrot (Henry), 36. Perrot (Marie), 38. Petit (Léonce), 223. Petitbon, 360. Peyrouton (Aben, 380. Pezron (J.-B. , 133. Phéaciens. 360. Phénicie, 205, 208, 220. Phidias, 458. Philé, 331. Philippiste, 99, 259, 340. Picault (Louis Le), 398. Pichou (Stephen), 423. Picon ^0.). 423. Pic IX, pape, 381. Pierre (Yves), 34, 36, 38. Pierre (Louis), 145. Plantier (Mgr), 395, 396. Platon, 241. Pléguien, 130, etc. Plestin-les-Grèves, 294. Pleubian, 126, 130, etc. Pleudaniel, 33, 146, 151. Pleumeur-Gautier, 33, 130, etc. Ploézal, 22, 23, Plouaret, 130, 22 i, etc., 375. Ploubazhiuec, 356. Ploucc, 367, 405. Plouguermeur, 327. Plougucruével, 33. Plouguiel, 127, 146, 150. Plouha, 111, 118. Ploumanac'h, 248, 288, 289, 297, 315. Plounez, 22, 26, 27, 28, 32, 33, 287. Plourivô, 27, 33, etc. Plurieu, 90. Poiiicaré i^ Henri), de l'Institut, 423. Pollard, docteur, 56. PoUock sir F.), 423. Pologne, 176. Pomf/ie ^société La\ 223. Pommerit-Jaudy, 128. Pontivy, 325, 341, etc., 351. Poutrieux. 17. 22, 23, 130, etc., 261, 366, 430. Pordic. 127. Porquier, sénateur, 328. Port-Blanc, 126, 314. Port-Clos, 356, 357, 365. Potain, le docteur, 318. Potier (Mathurin). abbé. 107, 110, 121, 122, 123, 127, 266. Poulouin (J.-L.), 130, etc. Pozzi, 423. Préfet (les C6tes-du-Nord. 420, 421, 429. Préfet du Finistère, 430. Préfet d'Ille-et-Vilaine. 430. Prcsseusé (de^, 423, 430. 472 INDEX, Provençale (canonnière), 46. Provence, 318, 333. Psichari (Jean), 163, 240,258, 284, 287, 378, 402, 430, 454, 456, 458. Psichari (Mme), 212, 279, 280, 286, 378, 402. 430, 454, 436, 458. Psichari (Ernest). Psichari (Michel). Psichari (Euphrosyne), 279. Psichari (Gornélie). Pablicateur des Côtes- du- Nord, 201. Quasimodo, 132. Quatremère (de), 203, 443. Queilien (Tort), 133. Quélen (Mgr de), 169. <^uellec (Pierre Le), 77, 140, 143, etc. Queilien (Narcisse), 111, 151, 221, 223, 224, 225, 226, 229, 252, 253, 254, 259, 260, 263, 270, 272, 287, 290, 294, 297, 320, 323, 327, 345, etc., 367. Queilien ^Georges), 229. Quément, 128. QuiberoQ, 410, 411. Quimper. 45, 65, 325, 326, etc. Quinet (Edgar), 390, 392. Quinquis (Joseph), 82. R Ranc, 423. Rance, 174. Rappel [Le), 380. Rault, préfet, 430. Raz (pointe du), 337. Razavet (Yves), 141. Reboul, 328. Reclus, 423. Reinach (Salomon), 380. Renaissance (la), 49. Renan ou Rouan, 17, 18. Renan (l'Ermite), 20, 21. Renan (Alain), matelot, 38. Renan (Alain), 28, 29, 35, 36, 37, 38, 39, 40,41,43,44,50,68, 73, 74, 75, 77, 78, 89. Renan (Anne), 37, 210. Renan (Aline). Renan (Ary), 32, 202, 210, 240, 327, 345, 346, 359, 365, 371, 373, 374,376, 378, 379, 403. Renan (Elisa), 22. Renan (Ernest) ,acte de naissance, 81. Renan (Jacques), 35, 36, 44. Renan (Ernestine), 205, 391. Renan (Alain), fils de Philibert, 76, 77,79,80, 94,118, 173, 182,184, 188,191,196, 197,201,207,378. Renan (Esprit), 31, 46. Renan (Fanny), 184. Renan (François), 28, 37, 38, 77. Renan (Françoise -Guillemette), 42. Renan (Gilles), 28, 29, 30, 37, 38, 39. Renan 'Guillaume), 33, 38. Renan (Henriette), 68, 77, 78, 79, 80, 85,86,87,88,95,96,101,102, 168, 169,176, 177, 178, 182,184, 185, 191, 204, 205, 207, 209, 211, 391,404,444. Renan (Henri), 375, 376, 378, 379. Renan (Jean), 26, 33, 34, 36, 37. Renan (Jean), capitaine, 32, 431. Renan (Jean-Marie), 38. Renan (Jeanne), 37, 39. Renan (Marie), 34. 37. Renan (Marie-Françoise), 42. Renan (Musée), 65. Renan (Ollivier), 28, 37, 38, 39. Renan (Noémi), 212. (Voir M'"« Psichari.) Renan (Perrine), 31, 42, 161, 273, 360. Renan (Pierre), 20, 29, 35, 36, 37, 39, 44. Renan (Pierre-Marie), 42, 206. ! INDEX. 473 Renan (Philibert), capitaine. 32, 40, 42, 51, 66, 67, 68, 60, 70, 73,74,76,78, 79, 81, 82,86,88, 89, 91, 92. 102, 170,378. Reoan (M^e Philibert , 43. 53, 58, 70,71, 72, 74, 76, 80,82. 83, 85, 89,94,95,100,101,102,104,111, 113, 161,166, 171,175. 185, 197, 108, 199, 202, 205, 206, 207, 209, 210. Renan (M^e), née Scheflfer, 208, 249, 251, 255, 278, 316, 327, 328, 342, 343, 345, 359, 365, 375. Renan (rues). 64. Renan (saiut), 19, 20, 26, 29, 294. Renan (Yves), 33, 35, 42. Renan (Yves-Marie), 35. René, 19. René d'Ys, littérateur, 1, 2. Rennes (place de), 22 i, 225. Renouf, 327, République (la), 68, 387. République Française (La), 380. Réveillèrc, amiral, 422. 430. Réveil des Côtes-du-Sord (Le), 422. Rôville, 423. Révolution (la), 38, 43, 66, 70, 72,79,97, 105, 112, 163, 199,201, 206, 209, 210,332, 361, 410. Revue des Deux-Mondes (La), 203, 304, 318. Revue Bleue {La\ 381. Ribot, 423. Ribot (Th.), 422. Riche t, 423. Ritter (Charles), 423. Rhône (Arthur). 223, 2S8, 289, 290. Rhys (Johns 284, 291, etc., 423. Rhys (Mme et M"cs), i)96. Richard (Maurice, ministre, 219. Richelieu, 220. Richepiu (Jean), 225, Riou, 254, 260. Robert (Edmond), préfet, 422, 430,431. Robidou (Bertrand), 260. Rochais (Jean Le), 355, 356, 358, 359, 364. (Voir Le Rochais.) Roche-Derrien (La), 130, 254, 301. Rochefort (Henri), 380. Rochery (Louis), 142. Roch'Gwen, 285. Roch'Ronan, 163. Rohan, 239. Rolland (Eugène), 223. Rolland (François Le), 34, 35. Rolland (Le), docteur, 405. Rome, 160, 296. Romilly (Allen), 289. Ronais (Le), 162, 299. Roscotf, 238, 251. Rosmapamon, 62. 267, 276, 277, 281, 282, 285, 289. 296, 298, 300, 315, 321, 374,384.459. Rostaing, préfet, 342, 347. Rostand '^Edmond). 423. Rothschild, banquier, 188. Roujou (Henry;, 423, 450. Rouland, 208. Rousseau (Armand), 225, 328, 329, 330. Russie, 155. Saint Beuzec, 295. Saint-Brieuc, 39, 87, 104, 118, 165, 239. 251, 407. 418. Saint Budoc. 294. Saint Cadù, 59. Saint Cadoc, 19, 294. Saint Gorentin, 334. Saint David, 289. Saint-Donan, 118. Saint Fiacre, 42. Saint François de Sales. 331. Saint-François (rue), 126. Sainte-Geneviève, 262. Saint-Germain (le faubourg), 169. Saint-Gonéry. 19. Saint Guillaume. 36. Saint Guirec ou saint Kirok, 289, 296, 297, 298, 314. 474 INDEX Saint Iltud, 19. Saint-Ké ou Saint-Quay, 288. Saint-Louis (ordre de), 10. Saint Louis de Gonzague, 156. Saint-Malo, 66, 67, 68, 86, 87, 88, 89,90,91,95, 173,174, 184,185, 194,196, 199, 200, 203. Saint-Marc (Venise), 356. Saint-Marceaux, 425, Saint (Marie Le), 42, 44. Saint-Martin (cap), 318. Saint-Méen, 288, Saint-Michel (îlot), 90. Saint-Michel, 160,253, 256. Saint-Michel-en-Grève, 331 . Saint - Nicolas - du - Chardounet , 106, 107, 149, 168, 173, 174, 177, 441, etc. Saint-Pierre (navire), 89. Saint-Pol-de-Léou, 326, 330. Saint Benau. 19, 20, 26, 29,294. Saint-RenéTaillandier,prof.,348. Saint-René Taillandier, abbé, 204 Saint Ronao, 17, 18, 19, 295. Saint-Stanislas, 149. Saint Stanislas Kotska, 156. Saint-Sulpice, 106, etc., 150, 176, 177, 178, 191, 193, 198,388,441. Saint-Thélo, 128. SaiDt-Thomas-d'Aquin, 203. Saint Tudwal, 19, 335. Saiûte-Vierore, 83, 85, 116, 117, 190, 243, 290. Saint Yves, 49, 50, 94. 153, 156, 229, 230, 253, 259, 263, 288, 321, 396. Saint-Yves-en-Louannec, 288, 321 Salméron, 423. Salpin, 61. 412. Saud (George), 380. Sarcey (Francisque), 393, 394. Saturdoy Review, 289, 290. Saulx (Le), chanoine, 149. Schefrer (Arv), 203, 391, 446. SchcfTer (Gofnélie), 203, 206, 378, 446. (Voir M'ne E. Renan.) Sébillot (Paul), 223, 258, 259, 261. 271. Sein (île de), 327. Seine-et-Marne, 221. Sel-me-ben, 153. Sept-Iles, 335. Servel, 142. Sèvres, 210. Shetland (îles), 299, 335. Sidaner (Le), 261. Simon (Jules), 11, 56, 59, 196, 199, 220, 244, 266, 341, etc., 345, 348, 349, 350, 382, 384, 450. Skeerie, 360. Soisbault (Gélestin),126, 307, 308. Soleil (Le), 380. Solférino, 46. Sorbonne, 239, 240, 241, 264. Sorgniard, abbé, 136, 139, 142. Sour, 205. Stanislas Kotska, 156. Stanko (rue), 51, 57, 151. Stéphan, abbé, 107, 128. Sully-Prudhomme, 423. Syrie, 205, 207, 253, 391. Tacite, 173. Tahiti, 171. Tallibart, 104. Talloires, 251. Tassel (Pierre), 405. Tavéac, 299, 303, 323. Télémaque, 98. Temps [Le], 379, 381, 382. Tennysson (le poète), 292. Tertullien, 395. Thamin, 422. Theuriet (André), 225. Thomas (d'Oxford), 289. Thomé, 300. Tilly (Toussaint), 133. Tognez ar c'horn, 153. Tombouctou, 171. Toul-an-Huiiet, 24. INDEX. 475 Tour (comte Gustave de la), 309. Toussaint (Rosalie), 75. Traoû-Du, 25, 26, 27, 29, 30, 38, 46. Trebeurden, 97, 98. Trécor, 21, etc. Trédarzec, 48, 55, 155, 272. Tréguier, 6, etc. Trémadeure (M^e Ulliac), 209. Trévou-Tréguignec, 280. Trieux (Le), 22, 39, 45, 50, 287, 304. Troadec (Paul Le), 358, 405, 421, 430. Trochu, général, 457. Tromsoë, 313. Trovern, 97, 98, 161 , 162, 249, 339, 340. Tugdual (saint), 19. 335. Tuon (Louis), 81. Turquct de Beauregard, 132. Turzunel, 155, 457. U Ulliac Trémadeure (M'ie), 207. Union malouine (L'), 2H. Université de France, 192, 196. Ursulines (couvent des), 48. Urvoy, professeur, 107, 118, 128, 157. V Vacquerie (Auguste), 380. Val-de-Gràce vrue du), 202. Vandérem (Fernand), 423. Yaudervelde, 423, 430. Van der Wyck, 423. Vaneau (rue), 61. Vannes, 205, 207, 262. Varat (Pierre Le). ^ (Voir Le \ arat.) Vatican, 445. Venise. 202, 222. Verchin, 405. Verhaeren (Emile), 423. Versailles, 199. Vespasien, 371. Vicaire (Gabriel), 10, 225. Victor Hugo, 163, 222, 224, 335, 380, 384. Vierge (la), 83,116,117,190,243, 290. Viet-Villeneuve, 133, 137. Villaret-Joyeuse, amiral, 68. Villehervé (Robert de la), 398. Villemarqué (de la), 223, 224. Villcneufve, 407. Viviani, 423. Voluey, 196, 240, 241, 242. W Waldeck-Rousseau, 225, 233, 234, 236, 423. Wallon, 220. Walter Scott, 18. Waterloo, 43. Yaudet, 96. Ygrec (.Maurice), 153. Ys (ville d'), 221. Ys (René d'), littérateur, 1, 2. Yves de Kermartin, 50. Yves (saint). (Voirs aint Yves.) Zaccone (Pierre), romancier, 225, 328. Zola (Emile), 423. Zorn, 317. TABLE DES MATIERES Pages. Préface 3 Introduction 5 1. Renan et le Génie celtique 9 II. Le Clan des Renan. — Leur Berceau 17 III. La Maison natale de Tréguier 48 IV. Le Capitaine Renan. — Naissance d'Ernest Renan. G6 V. Ernest Renan écolier. — Son Evolution (Lannion, Tréguier, Bréhat, Paris) 93 VI. Paris-Bretagne. — Le Dîner celtique 193 VIL Le Retour au pays natal. — Le Dîner celtique de Tréguier 242 TIIL Séjours en Bretagne : Rosmapamon et Tréguier. 276 IX. Les Pérégrinations bretonnes d'Ernest Renan (Quimper, Lannion, Pontivy et Lorient. — Le banquet de Bréhat) 325 X. La Mort d'Ernest Renan. — Le Panthéon . . . 368 XL L'Apothéose en Bretagne (La Plaque commémo- rative. — Les Rues Renan. — La Statue de Tréguier) 395 XII. Inauguration de la Statue et le « Pardon » de Renan. — Les Discours 426 Index alphabétique des principaux noms cités dans ce volume 461 Arbre généalogique de la Famille Rknan. Table des Matières. VERSAILLES. — IMP. AUBERT ( AVENUE OC SCEAUX EN VENTE A LA MEME LIBRAIRIE Bellot de Kergorre. — Journal. Un commissaire des gwrres pendant le premier Empire, publié par M. le vicomte de Grouchy, 1901. Un vol. in-S». Prix 10 francs. G. Bertin. — Madame de liamlialle, d'après des documents inédits. 1903. Un vol. in-12. Prix 3 Ir. 50 G. Bertix. — Souvenirs militaires de Doisy de Villar- gennes. Un vol. in-8». Prix 1 fr. 50 P. DE BocRGOiNG. — Souvenîrs militaires du îsénéral comte de JDorencez. 1902. Un vol. in-8". Prix. 3 francs. M. BouTRY. — Une Créature du cardinal I>ubois. Intrigues et missions du cardinal deTencin. 1902. Un vol. in-S". 5 francs. Comte Fleury. — Fantômes et Silhouettes. 1903. Un vol. in-8o. Prix 5 francs. Comte Fleury, — lia France et la Knssie en isyo, d'après les papiers du général Fleury. 1902. Un vol. in-12. 4 francs. Krasinska. — Journal de Françoise Krasinska, adapté du polonais par la baronne C. de Bauiny. 1903. Un vol. in-12. Prix 2 francs. S. Millet. — JLe cliasseur Pierre Millet. Souvenirs de la campagne d'Egypte (1798-1801). Un vol. in-12... 3 fr. 50 Comtesse de Montholon. — Souvenirs de Sainte -Hélène (1815-18ie), publiés sous les auspices du vicomte Du Couëdic de Kergoualer, son petit-fils, par le comte Fleury. 1901. Un vol. in-12, seize gravures. Prix 5 francs. R. Peyre. — Une Princesse de la Renaissance : Margue- rite de France, duchesse de Berry, duchesse de Savoie. 1902. Un vol. in-8o. Prix 4 francs. E. RoDOCANACHi. — Un Ouvrage de piété inconnu de la Orande Mademoiselle. 1903. Un vol. in-t6 (tiré à 150 ex.). Prix 6 francs. Thurman. — Bonaparte en Egypte, trente gravures. 1902. Un vol. in-12. Prix 4 francs. Wagré. — Souvenirs d'un caporal de grenadiers (1808- 1809) . Les prisonniers de Cabrera, publiés par le comte Fleury. 1901 . Prix 3 fr. 50 "WoLF ToNE. — Récits de mes souvenirs et campagnes dans l'Armée française, publiés par M. le comte dé Diesbach, 1901 , Un vol." in-8». Prix 3 francs. Versailles. — Imprimerie Aubert, G, avenue de Sceaux. •hZ^ ^~:o La Blbtiotktqvid Université d'Ottawa Echéance Thd llbKOKij University of Ottawa Date Due f aJ9003 002560893b 0 459489-01 C E PQ ^386 tR39y8 1904 YS^ RENE 0* ERNEST RENQN EN BRETPC